SOS 3ème voie : mais qui saurait nous sortir de la guerre "élites libérales" contre "populistes anti-mondialisation" ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A gauche on peut citer certains hommes politiques tels que Benoit Hamon ou Arnaud Montebourg. À droite, il y a Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino. Ils ont bien compris que la mondialisation ne fonctionnait pas bien pour les classes populaires.
A gauche on peut citer certains hommes politiques tels que Benoit Hamon ou Arnaud Montebourg. À droite, il y a Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino. Ils ont bien compris que la mondialisation ne fonctionnait pas bien pour les classes populaires.
©capture écran BFMTV

Alternative

L'élection de Donald Trump aux Etats-Unis montre que le populisme anti-mondialisation peut remporter la guerre qu'il mène contre les élites libérales. Entre ces deux positionnements politiques et les visions du monde qu'ils véhiculent, une troisième voie pourrait pourtant émerger.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Aujourd'hui en Occident, l'opposition entre gauche et droite semble avoir été remplacée par une opposition entre élites libérales et populistes anti-mondialisation. Mais alors que les élites libérales ont une part de responsabilité dans cette crise démocratique, elles qui n'ont pas permis l'émergence d'une alternative au discours dominant pro-mondialisation, et alors que les populistes anti-élites menacent de mettre à mal le modèle social occidental bâti depuis 1945, la recherche d'une troisième voie entre ces deux positionnements n'est-elle pas nécessaire aujourd'hui ?

Eric Verhaeghe : Je dirais plutôt que la réponse à votre question est contenue dans la réponse. Car je ne comprends pas bien le sens de l'expression "élites libérales". De quelles élites parle-t-on, et en quoi sont-elles libérales? Dans la pratique, il y a bien des élites qui ont transformé nos systèmes démocratiques en démocratie censitaire. Peu à peu, tous ceux qui ne sont pas issus de cette caste, ou qui ne lui sont pas inféodés ont été écartés du pouvoir de telle sorte que n'accèdent plus aux mandats nationaux que des personnalités triées sur le volet et dont la loyauté est sûre. L'expérience du 49-3 et des échecs des motions de censure au printemps l'a prouvé: quels que soient les effets de manche, le jour J, il faut pouvoir compter sur des gens sûrs comme Jean-Marc Germain qui a sauvé le gouvernement en expliquant qu'il voulait sauver les postes de ses amis députés. En quoi cette élite est-elle libérale? On se le demande bien. Tous sont d'accord pour sauver un système fondamentalement étatiste, et qui nous met, comme le disait Hayek, sur la route de la servitude. Prenez l'exemple de la sécurité sociale. Voilà bien un système d'asservissement sous couvert de solidarité. Officiellement, la sécurité sociale protège contre les risques de la vie professionnelle. Dans la vie, elle permet d'arrimer les plus pauvres à un système qui les exclut. Quelle frange de l'élite libérale propose aujourd'hui de remettre ce système en cause? Plus personne parmi les élites soi-disant libérales ne conteste ce fonctionnement. Dans ces conditions, on voit mal pourquoi ces étatistes seraient qualifiés de libéraux, puisque, en réalité, leur vision du monde repose sur une étatisation générale. D'où l'idée de votre troisième voie, expression qui peut être gênante aux entournures. La troisième voie consiste précisément à réinventer un véritable libéralisme. Pas un libéralisme de think tank porté par des voix qui espèrent un poste de ministrable dans le prochain gouvernement. Mais un véritable libéralisme fondé sur une réduction durable du rôle de l'Etat et activation intelligente des dépenses publiques. 

Christophe Bouillaud : Il serait effectivement souhaitable que quelqu'un propose une alternative. Malheureusement, il se trouve que les libéraux ont empêché la création en leur sein d'une version plus consciente des problèmes des populations plus défavorisées. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir été avertis par des organisations comme l'OCDE, qui ont très tôt alerté sur l'explosion des inégalités résultant de leurs politiques. Ces élites savaient donc que cette augmentation brusque des inégalités était perçue comme injuste par la plus grande partie de la population et avait par ailleurs une inefficacité croissante. 

Malheureusement, les libéraux n'ont pas entendu ce message. C'est le cas par exemple de Matteo Renzi, qui aurait dû l'entendre : il était en lien direct avec les analystes de l'OCDE, à commencer par son ministre de l'Economie. Cela n'a pas marché parce que dans leur vision des choses, l'économie prime sur le reste. Ils ne sont donc pas capables de comprendre qu'il y a dans l'économie qu'ils pratiquent une véritable faille – c'est-à-dire une incapacité à percevoir les réels problèmes de la population. Il me semble aussi que les élites libérales ont su adapter leur discours aux thématiques identitaires. La manœuvre de Nicolas Sarkozy qui consiste depuis quelques années à adopter un discours qui se situe aux marges de l'extrême-droite se retrouve dans un certain nombre de pays européens de la part de nombreux partis libéraux. Mais ces discours-là n'ont pas su non plus contenter les citoyens qu'ils visaient, car ils n'ont jamais pris de mesures réellement efficaces contre la mobilité des travailleurs. De ce côté-là, les élites libérales ont été perçues comme tenant un double discours : d'un côté, on condamne la concurrence des immigrés sur les marchés du travail, de l'autre, on prend des mesures libérales qui renforcent le sentiment d'inégalité. 

Mais je pense que le véritable drame est surtout l'absence de perception des dégâts de la mondialisation, et de la localisation très précise de ces perdants de la mondialisation. Ceci est dû au fait que la plupart des hommes politiques contemporains, de droite comme de gauche, ont une très mauvaise formation historique, et n'ont au fond aucune sensibilité à la durée des choses. Ils demandent en plus aux individus des adaptations rapides que l'immense majorité n'est pas capable d'accepter.

Quels sont les risques inhérents à la persistance de cette nouvelle opposition entre élites et populistes ? 

Christophe Bouillaud : Il me semble que nous n'avons plus besoin aujourd'hui de les anticiper : les risques sont devant nous. La victoire de Trump aux Etats-Unis est tout de même un événement historiquement majeur, qui n'aurait pas été possible s'il n'y avait pas eu cet aveuglement des élites libérales sur la détérioration de l'état du marché du travail aux Etats-Unis, sur la très longue durée. On constate aussi que les élites libérales sont complètement aveuglées par leurs propres statistiques : ce n'est pas parce que vous avez un taux de chômage satisfaisant, un taux d'inflation satisfaisant, et un taux de croissance satisfaisant que les choses vont bien. Il faudrait maintenant regarder beaucoup plus en détails la réelle condition matérielle et "spirituelle" des populations. Le refus des libéraux d'aller plus loin que ces indices les mène aujourd'hui au désastre, dans la mesure où l'élection d'un Trump dans des conditions aussi favorables sur le papier montre bien que ces conditions n'étaient en fait pas aussi favorables que ce qui se disait. Malheureusement, cette considération vaut dans de nombreux pays, où les chiffres d'inflation, de chômage et de croissance sont plutôt bons mais ne disent plus grand-chose.

Eric Verhaeghe : Je ne suis pas sûr que cette opposition soit nouvelle. En réalité, elle hante avec des fortunes diverses les sociétés occidentales. En regardant de près, on s'apercevrait que la critique des élites est au coeur des discours politiques des années 30, mais aussi des années 1770 et 1780. Plus loin encore, on trouvera autour des années 1380, un peu partout en Europe, un phénomène similaire. Ce qui est marquant aujourd'hui c'est la mondialisation du phénomène. La montée du populisme incarné par Trump est parallèle aux phénomènes que l'on constate en Europe, comme aux phénomènes connus autour de Chavez en Amérique du Sud. De fait, les sociétés, dans le monde entier, sont parcourues par le sentiment que les élites sont disqualifiées car incapables de résoudre les crises et même à l'origine de beaucoup d'entre elles. Prenez l'exemple de Goldmann Sachs: cette banque est accusée de tous les maux, notamment de gagner énormément d'argent en truquant les chiffres officiels et en pratiquant la connivence. Voilà bien un exemple où l'on voit clairement que l'élite est perçue comme la cause de la crise et non comme sa solution. L'issue de ce divorce est bien connu, et probablement souhaitable exception faite des brutalités qui devraient l'accompagner: les peuples procéderont au renouvellement de leurs élites. Il n'est pas sûr que tous les peuples le fassent, mais il est très vraisemblable que le peuple français se consacre à cette tâche dans les années à venir. Songez qu'en 2017, on devrait assister à un duel politique entre des hommes (Hollande, Juppé, Sarkozy) qui ont tous commencé leur carrière politique au mieux dans les années 80, au pire dans les années 70. Entre temps, sont quand même apparus la révolution informatique, puis numérique, l'islamisme radical, la Russie non soviétique, le traité de Maastricht, l'euro. Il est incompréhensible que le monde ait autant changé, et que la classe politique française soit restée aussi figée. 

En France, quelles(s) personnalité(s) présente(nt) le plus de capacités politiques et idéologiques pour mettre en place cette troisième voie face à ce conflit entre élites libérales et populistes anti-mondialisation ?

Eric Verhaeghe : Personnellement, je crois que la France ne fera pas l'économie d'une purge dans ses élites et d'un changement de régime. La bonne question ne me semble donc pas être de savoir qui est le plus à même de mettre en place une troisième voie, mais bien de savoir qui peut le mieux l'accompagner. Deux scénarios sont possibles: l'un consiste à privilégier une personnalité nouvelle, que nous ne connaissons pas encore. L'autre consiste à imaginer que cette personnalité existe déjà, est déjà identifiée, et peut porter la réforme en son camp. Personnellement, j'ai un doute, mais je peux imaginer que certains voient dans Emmanuel Macron ce type de "sauveur". Personnellement, je n'y crois pas dans la mesure où les propositions de Macron visent à tout changer sauf les élites et leurs leviers de pouvoir. D'autres espèrent encore qu'un Nicolas Sarkozy sera capable d'entrer dans cette logique. C'est là que le doute est permis. 

Christophe Bouillaud : Il existe des personnalités de gauche comme de droite. A gauche on peut citer certains hommes politiques tels que Benoit Hamon ou Arnaud Montebourg. À droite, il y a des personnes telles que Nicolas Dupont-Aignan et Henri Guaino. Toutes ces personnalités ont bien compris que la mondialisation ne fonctionnait plus bien, et qu'elle ne fonctionnait au moins pas bien pour les classes populaires. Ce sont des personnalités qui veulent tous la démocratie et ont des sentiments libéraux. Malheureusement, dans leurs camps respectifs, ils restent minoritaires et n'ont aucun attrait sur l'ensemble de la population. Aussi bien Montebourg qu'un Nicolas Dupont-Aignan restent des personnalités inacceptables pour des électeurs de droite ou de gauche. Ils demeurent minoritaires aux seins de leurs propres familles politiques.

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