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"Une fille aux yeux clairs" de Michel Sardou a été écrit après une semaine de thalasso dans un "un bar à filles"...
©Wikimedia Commons

Bonnes feuilles

Leurs noms ne disent rien à ceux qui connaissent pourtant par cœur leurs chansons. "Le Téléphone pleure", "L’Été indien", "À bicyclette", "Tout doucement", "Les Démons de minuit", "Pour le plaisir"… Quinze paroliers d’élite sont ici réunis. Alors, un tube, comment ça s’écrit ? En moins de minutes qu’il n’en faut pour le chanter nous dira Jean-Paul Dréau, en évoquant "Le Coup de soleil" qu’il offrit à Richard Cocciante ; ou bien alors en trois mois de labeur, le temps de trouver la bonne alchimie, expliquera Robert Nyel à propos de "Déshabillez-moi", que Juliette Gréco immortalisa. Extrait de "Les tubes ça s'écrivait comme ça", de Baptiste Vignol, aux éditions La tengo 2/2

Baptiste Vignol

Baptiste Vignol

Né à Carthage en 1971, Baptiste Vignol est un collanorateur régulier de la revue Schnock. Passionné par la chanson française, il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages sur le sujet. Ses derniers ouvrages : Renaud, chanson d'enfer et Téléphone, 3400 nuits parus chez Gründ, en 2016. Il vient également de publier Les tubes, ça s'écrivait comme ça (La Tengo).

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Claude Lemesle

Et Sardou, comment l’avez-vous rencontré ?

C’était en 1973, au « Saint-Hilaire », rue Vavin. Un soir, tard. Pierre Billon était à table. Je sortais beaucoup à cette époque, avec mon gros chagrin d’amour à consoler. Michel avait 26 ans, j’en avais 28. J’ai compris ce soir-là, en les rencontrant, que de «nouveaux tourbillons nocturnes» s’annonçaient. Michel me dit : «Je pars à Vence (où il avait une maison), viens !» Voilà, j’ai pris un avion et je l’ai rejoint. Joe Dassin vous avait dit quelques années auparavant : «Le seul que je craigne, c’est Sardou.» Oui, un truc comme ça. Joe était allé le voir à l’Olympia où Sardou passait en vedette américaine et il l’avait trouvé très, très bon. Il avait trouvé que Michel avait l’étoffe d’un vrai chanteur populaire, ce en quoi il avait raison.

Vous en a-t-il voulu d’écrire pour Michel Sardou ?

Oh! Il y a toujours un peu de jalousie, sûrement, mais je n’ai que très peu écrit pour Michel, cinq chansons, et c’étaient des chansons que Joe n’aurait pas pu chanter, donc non.

Ce qui est amusant, c’est qu’avec Joe Dassin, vous aviez entamé une sorte de dialogue par chansons interposées avec Michel Sardou.

En 1971, on avait fait une chanson pour Joe qui s’appelait «Fais la bise à ta maman». Pas excellente, mais c’est comme ça. Il y a des chansons qu’on réussit et il y en a d’autres qu’on rate. (Sourire) Son refrain disait : «Fais la bise à ta maman, fais la bise à ton papa / Donne-leur de mes nouvelles / Fais la bise à ton tonton, fais la bise à ta tata / Et dis leur bien des choses pour moi.» Bon. C’était un peu cynico-humoristique et Joe n’était pas fait pour ce genre-là. Là-dessus, Sardou chante «Bonsoir Clara» (1972) où, dans le refrain, il dit : «Fais bien la bise / À ton tonton, à ta tata », ce qui était une allusion à notre chanson. Alors, dans l’album suivant, dans une chanson qui s’appelait «C’est ma tournée» (1972), l’histoire de deux mecs qui s’encanaillent en boîte, l’un des deux dit : «Je connais un endroit / Où les clients sont plus drôles / Viens, on se fait la valise / Et bonsoir Clara!» » Voilà. Quand on s’est rencontrés, cet échange ayant déjà existé, on en a parlé, en rigolant.

Quelle fut votre première chanson ?

« J’ai 2 000 ans », si je me souviens bien. Elle m’était venue assez spontanément un soir, au bar d’une discothèque. J’étais seul, j’ai pris mon stylo, une feuille de papier et j’ai griffonné ces premiers vers : «Je n’ai pas l’âge de mes artères / Mon front sans rides est un abus / Quand je suis sorti de ma mère / J’avais déjà beaucoup vécu / Et pour mon âme aux tempes grises / Mathusalem est un gamin / Je vais prier dans des églises / Que j’ai connues temples romains…» J’ai toujours pensé qu’on avait en nous notre propre vie mais également la mémoire de bien d’autres; qu’on n’a pas l’âge de ses artères donc. Ça n’avait pas été écrit pour Michel mais je me suis dit que cela lui irait bien. Quand je suis arrivé chez lui à Vence, je lui ai montré le premier couplet, et on a fait les deux autres ensemble. C’est une bonne chanson, je trouve. Ensuite, il y a eu «Je veux l’épouser pour un soir», qui a fait un gros tube (n°1 en juin 1974 – NDA), mais honnêtement, c’est un truc que je n’écrirais plus maintenant mais… On était jeunes. On n’avait pas 30 ans.

Le travail de coécriture avec Michel Sardou était-il similaire à celui que vous aviez avec Joe Dassin ?  

Pas du tout. Avec Michel, on coécrit vraiment, c’est du ping-pong. On se balance des phrases, certaines conviennent à l’autre, d’autres pas, et on avance. Ça allait assez vite, d’autant plus qu’il était lui-même l’interprète, c’est donc plus facile : il sait tout de suite s’il a envie de chanter tel mot ou pas. Avec Dassin, c’était différent. Le ping-pong avait lieu entre Delanoë et moi, et après Joe tranchait. C’était beaucoup plus long.

Racontez-nous cette virée à Trouville chez Mme Andrée.

Ça, c’est extraordinaire ! Carlos m’y avait emmené car il avait une maison à Deauville, une maison de famille du côté de sa mère où nous allions parfois. On décide avec Michel et (Jacques) Revaux d’aller en cure aux thermes marins de Deauville. (Rires) On était au « Normandy », et je les emmène chez Mme Andrée qui était véritablement la « Madame Andrée » de «Jef», la chanson de Brel. Elle tenait un bar à filles qui s’appelait «Le Surcouf», où il y avait… deux filles, quoi. Pas plus. Enfin, il y en avait! On s’installe, on commande un whisky coca chacun – ce qui pour des gens qui étaient en cure n’était pas forcément la meilleure idée… La patronne n’avait pas reconnu Sardou malgré les signes que lui faisait la petite prostituée qui était là! À un moment, Michel, timidement, lui demande : «Dites-moi Madame, quand on s’ennuie ici, à Trouville, qu’est-ce qu’on fait? » Et Mme Andrée lui répond : «Ben écoute mon p’tit, soit on va au cinéma, soit on se fait sucer»! Comme ça. Et puis on y est retournés deux ou trois jours plus tard. C’était cet après-midi-là, jour de course cycliste. Tous les habitants de Trouville applaudissaient les coureurs. Nous, on se faufile dans la foule pour arriver jusqu’au Surcouf qui se trouvait dans une petite rue et nous voilà en train de boire un coup. La course cycliste se termine, les gens rentrent chez eux, des adolescentes passent devant le Surcouf, regardent par la vitre et qu’est-ce qu’elles voient? Michel Sardou ! Il sortait de « La Maladie d’amour» (n°1 du hitparade en juin-juillet-août 1973 – NDA) et des «Vieux mariés» (n°7 en décembre 1973 – NDA) ! Le choc. Ça commence à s’agglutiner : 10, 15, 20, 25 adolescentes devant la vitrine du bordel local… Une, plus audacieuse que les autres, ouvre la porte et Mme Andrée, d’abord très réticente : «Non, non, mesdemoiselles, ça n’est pas un endroit pour vous», ne peut pas endiguer le flux, fait le service d’ordre et organise la file comme dans un salon du livre. De son côté, Michel s’installe à une table et signe dans le bordel des autographes pour les adolescentes! (Rires) Et Mme Andrée qui répétait : «Ne poussez pas, mesdemoiselles, il y en aura pour tout le monde. Monsieur Sardou n’est pas pressé! » C’était hallucinant.

Après cette semaine de thalasso, reposés, vous écrivez « Une fille aux yeux clairs».

Oui, à Megève, un dimanche matin. Il m’avait appelé : «Viens vite, j’ai une idée.» Il avait écrit le premier couplet et on l’a terminée ensemble. Et ça a très bien marché ! (n°1 en décembre 1974 – NDA) Jacques Revaux m’a avoué plus tard qu’il en avait fait la musique aux toilettes, assis sur le chiotte, avec sa guitare. Après, on a fait « Un Roi barbare » (1976), une chanson intéressante, étonnante. Là encore, l’idée venait de Michel. Bizarrement, plein de gens m’ont dit ensuite : « Ben dis donc, t’es franc-maçon ?» (Rires) Pas du tout. Nous ne sommes maçons ni lui, je crois, ni moi en tout cas. Mais c’est vrai, ce sont des paroles curieuses, qui ne sont pas éminemment explicables. Et puis je trouve aussi que Jacques Revaux a fait une musique magnifique ! Plus tard, en 1978, alors qu’on ne se voyait plus, on s’est retrouvés avec une chanson que j’avais écrite pour Mort Shuman : «On a déjà donné ». Mort habitait rue Édouard Nortier à Neuilly, dans un immeuble juste en face de l’hôtel particulier de Sardou. Il vivait dans un studio qui était en fait le pied-à-terre de Jacques Brel quand Brel venait à Paris. On imagine mal Brel à Neuilly, mais bon, c’était comme ça. Brel le lui avait prêté car Mort momentanément était un peu à la rue. Quand il a fini son album, Le Nègre blanc, Mort a traversé la rue, sonné chez Sardou et le lui a fait écouter. En entendant «On a déjà donné », Sardou dit : «C’est pour moi!» Il m’appelle : «Claude, j’ai entendu une chanson formidable, je veux l’enregistrer mais on doit changer quelques vers.» Je suis allé à Neuilly, on a modifié cinq ou six lignes et Sardou l’a mise sur l’album Je vole (1978), si bien que la version de Mort n’est pas la même que celle de Michel.

Extrait de "Les tubes ça s'écrivait comme ça", de Baptiste Vignol, aux éditions La tengoPour acheter  ce livre, cliquez ici

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