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Et dire que le tube "Banana Split" de Lio aurait dû s'appeler "Pêche melba"
©Wikkimedia

Bonnes feuilles

Leurs noms ne disent rien à ceux qui connaissent pourtant par cœur leurs chansons. "Le Téléphone pleure", "L’Été indien", "À bicyclette", "Tout doucement", "Les Démons de minuit", "Pour le plaisir"… Quinze paroliers d’élite sont ici réunis. Alors, un tube, comment ça s’écrit ? En moins de minutes qu’il n’en faut pour le chanter nous dira Jean-Paul Dréau, en évoquant "Le Coup de soleil" qu’il offrit à Richard Cocciante ; ou bien alors en trois mois de labeur, le temps de trouver la bonne alchimie, expliquera Robert Nyel à propos de "Déshabillez-moi", que Juliette Gréco immortalisa. Extrait de "Les tubes ça s'écrivait comme ça", de Baptiste Vignol, aux éditions La tengo 2/2

Baptiste Vignol

Baptiste Vignol

Né à Carthage en 1971, Baptiste Vignol est un collanorateur régulier de la revue Schnock. Passionné par la chanson française, il est l'auteur d'une dizaine d'ouvrages sur le sujet. Ses derniers ouvrages : Renaud, chanson d'enfer et Téléphone, 3400 nuits parus chez Gründ, en 2016. Il vient également de publier Les tubes, ça s'écrivait comme ça (La Tengo).

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Jacques Duvall

Lio, justement ! Parlons-en.

À cette époque, je travaillais toujours à la Discothèque et j’étais très ami avec Alberto et Lena, ses parents, des intellectuels politisés, férus de philosophie, de jazz, de musique classique, chez qui, en allant dîner, j’avais déjà croisé cette gamine. C’était le début de ce qu’on a appelé le «mouvement punk». Il y avait à Bruxelles un café qui s’appelait «Le café du coin», où traînaient les 12 ou 13 premiers punks de Bruxelles. Bien que je ne portais pas d’épingle à nourrice dans la joue, je les trouvais rigolos et je les rencontrais dans ce café. Un café que les gens avaient plutôt tendance à éviter… Un soir, je vois entrer une petite gonzesse de 14-15 ans, très jeune, avec un manteau en cuir trop grand pour elle. Et je reconnais le manteau, c’était celui de Lena! (Rires) Je me dis : «Mais c’est Wanda!» Son culot m’avait bluffé : rentrer dans cet établissement, à cette heure, à son âge… On a discuté et je me suis dit qu’elle pourrait être l’interprète de nos chansons. Ses parents ne s’y étant pas opposés, sans être vraiment enthousiastes, on a travaillé avec Jay, on est devenus un trio très soudé. On a présenté nos premières chansons à un éditeur belge, Jan Dhaese, qui était fan de Phil Spector, qu’on aimait aussi beaucoup. Il nous annonce : «Je vais vous trouver un label.» Mais il n’en trouve pas et me dit un jour : «Tu sais, avec des chansons originales, ça va être compliqué. Est-ce que vous ne pourriez pas plutôt faire une reprise, un truc genre Spector?»

Nous, ce qu’on voulait, c’était, musicalement, faire quelque chose qui serait en même temps glacé, mais qui brûle, quoi! Et il me donne un 33 tours de chansons en édition chez lui sur lequel, avec Wanda, on trouve un titre qui nous plaît : «Peaches and Cream» des Ikettes, le backing group de Ike and Tina Turner. Si je traduis «Peaches and Cream», c’est des pêches et de la crème, «pêche Melba» en gros. Mais ça ne collait pas sur la musique. Par contre (Jacques Duvall chante) « banana na banana na banana split», ça, ça sonnait! En plus, on restait dans les glaces, et dans la métaphore vaguement sexuelle. C’était d’ailleurs beaucoup mieux avec une banane ! Je me lance, je fais un texte, et je préviens Jay qui le prend très mal. Il est furieux : «T’es un lâcheur! On écrit des trucs ensemble, ces salopards du bizness proposent de faire une reprise et tu la fais !» Je lui réponds : «Mais enfin, Jay, c’est pour entrer dedans justement! – Non, il faut qu’on reste ensemble! – OK. Je t’envoie le texte et fais une musique.» Il était tellement remonté qu’en cinq minutes, très, très vite, en réaction immédiate – c’est du pur Jay, ça – il a  fait la musique de «Banana Split». Quand on l’a entendue avec Wanda, on s’est dit : «Putain, mais c’est mieux!»

Et vous l’enregistrez immédiatement ? 

Jan nous trouve un deal avec une firme allemande qui, s’installant en Belgique, cherchait du « talent local ». Ça se passait comme ça à l’époque. Sans grande conviction, on est signés puisqu’on est parmi les premiers à se présenter. Je suis ensuite allé voir Marc Moulin du groupe Telex. On cherchait un son électronique, et peu de gens savaient travailler ce son-là. Il y avait un groupe, M, qui avait eu un tube, «Pop Muzik », et c’est ce qui nous semblait le plus proche de ce qu’on voulait, sans l’être tout à fait. Moulin aime beaucoup la chanson et nous présente Dan Lacksman, autre membre de Telex. On lui explique ce qu’on souhaiterait et Dan Lacksman a trouvé que ces cascades de son, qui étaient exactement ce qu’on voulait entendre, sauf qu’on ne les avait jamais entendues, sauf dans notre tête, quoi ! Je me souviens du jour où Wanda et moi sommes sortis de chez lui quand il nous a fait écouter le début des arrangements sur «Banana Split»… Je pense que c’était le plus beau jour de notre vie. On était fous. Dan avait tout compris.

Le disque est-il sorti longtemps après ?

Enregistré début 1979, il n’est sorti qu’en septembre. Ça nous semblait long, long… On était partis en vacances au Portugal avec Wanda, on faisait écouter la chanson là-bas à des copains, et on commençait à se poser des questions, genre : «Est-ce que c’est vraiment bien ?» L’énergie retombait. Pendant ces mêmes vacances, j’étais remonté à Bruxelles et la maison de disques m’avait dit : «Écoute, on va profiter que Wanda n’est pas là pour la réenregistrer, mais avec une vraie chanteuse.» Tous les jours, pendant un mois, ils me téléphonaient et moi, je bataillais ferme pour leur faire comprendre qu’il n’en était même pas question. Même Marc Moulin n’était pas tout à fait convaincu. Il avait flashé sur nos chansons, mais il continuait de penser : «Avec qui?» Nous, avec Jay, c’était Lio, comme Marie France, qui nous plaisaient. Avoir une fantastique choriste de studio ne nous semblait pas pouvoir apporter quoi que ce soit de supplémentaire. Ça a été éprouvant de tenir bon, et Dan Lacksman nous a soutenus. Et finalement le 45 tours est sorti.

Sous le seul prénom de Lio. Pourquoi ?

C’était le prénom d’un personnage secondaire de Barbarella, la BD de Jean-Claude Forest, qui ressemblait étrangement à Wanda.

Est-ce un carton immédiat ?

Pas vraiment. Mais ça passe en radio, ce qui est déjà pour nous un miracle. Avec Wanda, on écoutait les hit-parades belges, et un jour, on entre dans le hit-parade. 49ème, puis 48ème, 47ème ! Un jour, on allume la radio, le hit-parade avait déjà commencé, n°47, n°46, n°45, et on n’y est pas. On se dit : « Ben merde! On n’y est plus !» Mais on était quand même contents d’y avoir fait un petit tour, quoi. On laisse l’émission se poursuivre, on fait autre chose et tout d’un coup : «10ème : “Banana Split.”» On était numéro 10 du hit-parade! À ce moment-là, on a compris qu’il allait vraiment se passer un truc. On n’en revenait pas. D’autant plus qu’on était sûrs d’en être sortis. Et puis on est devenus numéro un.

Ce qui séduit d’entrée avec Lio, c’est son naturel.

Était-elle à l’aise, malgré son jeune âge, en promotion? Sa première apparition, ce fut lors d’une émission de radio, en Belgique, enregistrée en public. C’était la première fois qu’elle allait défendre «Banana Split», devant des spectateurs. L’invité vedette était Bernard Lavilliers. Elle est arrivée sur le podium pour son play-back et au bout de trente secondes, gênée par ses escarpins, elle les a jetés dans le public, l’un après l’autre, puis s’est mise à danser, pieds nus. Elle dégageait une espèce d’énergie punk, et en même temps, elle était dans le fun, pas dans l’agression. Elle était hyper naturelle. Et Lavilliers, bluffé, a dit, prenant son ton un peu emphatique : «Melody Nelson a les cheveux noirs et c’est leur couleur naturelle.» Quelques mois plus tard, en France, je l’ai entendu dire, alors qu’on l’interrogeait sur Lio : «Fashion que tout cela !» (Rires)

Car après la Belgique, il y a eu le marché français.

Voilà. On est allés voir BMG à Paris peu après la sortie du 45 tours en France, et franchement, ils n’y croyaient pas trop. Christian Herrgott (il produira des albums d’Indochine, de Bénabar, de Sanseverino… – NDA) nous disait : «Vous savez, vous en avez vendu 2 000, et il ne faut pas vous attendre à beaucoup plus.» À ce moment-là, il y avait chez eux « Sur ma mob » de Lili Drop, et il nous le balançait tout le temps à la gueule : «Ça, c’est un tube.» Ça a été effectivement un petit tube… Mais profitant de la mode lancée par Jacno avec «Rectangle» (n°25 en février 1980 – NDA), «Banana Split» a été programmée sur Europe 1, RTL, et c’est parti au printemps. (Le titre sera n°1 du hit-parade en France en mai 1980 – NDA)

«Banana Split» a connu une carrière internationale.

Oui, il y a eu des pressages espagnols, italiens – ça a très bien marché en Italie –, japonais, anglais, même si on n’a pas réussi à faire le coup de «Ça plane pour moi» en Angleterre. Mais c’était des millions de 45 tours. D’ailleurs, quand j’ai reçu mon premier chèque de la SABAM (la SACEM belge – NDA), j’ai quitté la Discothèque. J’avais 28 ans, et j’encaissais 5 millions de francs belges, presque un million de francs à l’époque. C’était surréaliste pour moi.

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