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Ce militant pour le droit des Roms se faisait en fait payer pour aider à les expulser
©Reuters

Bonnes feuilles

Les auteurs, journalistes d'investigation aguerris, ont parcouru les routes de France, de Clamart à Nancy, de Strasbourg à Dijon. Ils ont questionné les prévenus, les mis en examen, mais aussi les lanceurs d'alerte, les juges, les avocats et les policiers. Dans cette comédie humaine d’un genre nouveau, on retrouve un maire véreux qui collectionne les œuvres d’art aux frais du contribuable, des parents qui se sont jurés de ruiner leur fils, un huissier de justice fraudeur, un patron qui protège sa maîtresse et bien d’autres encore… Extrait de "Le tour de France de la corruption", de Jacques Duplessy et Guillaume de Morant, aux éditions Grasset 1/2

Guillaume de Morant

Guillaume de Morant

Guillaume de Morant mène une double carrière de journaliste et d’enquêteur-généalogiste. D’abord rédacteur pour le Nouvel Economiste, reporter à l’Echo Républicain de Chartres, puis rédacteur en chef de Généalogie Magazine, il se consacre depuis 2008 à des sujets de société pour Paris Match, Jeune Afrique, Témoignage Chrétien. Il contribue aux enquêtes du Canard Enchaîné et du Point.

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Jacques Duplessy

Jacques Duplessy

Après avoir travaillé au quotidien Ouest France, Jacques Duplessy a décidé de se consacrer aux reportages et à l’investigation. Il publie dans différents journaux et magazine, dont Paris Match, VSD, Le Canard Enchaîné, Le Point. Auditeur de l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN), il a été conseiller éditorial du livre Libérez Tombouctou, journal de guerre au Mali(Tallandier, 2015).

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En arrivant à Bordeaux, je découvre que même la misère suscite des convoitises. Dans la capitale de l’Aquitaine, des populations roms se sont établies comme dans toutes les grandes villes et survivent difficilement. Sylverio Lobao était un défenseur reconnu de la cause rom. À la tête de son association Procom, il militait pour des conditions de vie dignes pour ces populations précaires, négociant avec la mairie et la préfecture l’installation d’eau, d’électricité, de toilettes dans leurs squats, ou encore de solutions d’insertion plus durables. En 2009, en partenariat avec l’association Médecins du monde, il avait obtenu la création de structures de stabilisation pour ces Roumains et ces Bulgares livrés à eux-mêmes. Parallèlement, il était devenu médiateur à la mairie de Bordeaux pour les Roms, tout en gardant la présidence de l’association Procom.

Mais Lobao avait également trouvé un moyen d’arrondir ses fins de mois. Il monnayait, auprès d’entreprises immobilières, l’évacuation « spontanée » de certains squats de l’agglomération bordelaise. C’est un gérant de société en conseil immobilier qui a révélé l’affaire. Le terrain qu’il gérait à Floirac (Gironde) était illégalement occupé par des Roms. Une de ses connaissances lui conseille alors de faire appel à Sylverio Lobao. Ce dernier peut lui arranger, moyennant finances, le départ des indésirables hors de toute procédure légale. Lui-même a déjà utilisé ses services à deux reprises en 2008 et en 2011 contre le versement d’une somme globale de 22 000 euros.

Le gérant rencontre alors Sylverio Lobao, qui lui propose d’arranger le départ des Roms contre rétribution. Une convention est même signée entre les deux parties : s’il parvient à faire partir les squatters, son association recevra 6 000 euros. Lobao échoue et, finalement, l’argent n’est pas versé. Mais la justice est alertée et ouvre une enquête. Les policiers découvrent que le président de Procom n’en est pas à son coup d’essai… et que l’argent de l’association sert pour des dépenses personnelles : locations de voitures, vacances au Portugal, frais d’hospitalisation de son père…

« À aucun moment je n’ai mélangé mon travail de médiateur et ma fonction de président d’association, a déclaré Sylverio Lobao pour sa défense. Je pense que c’est un procès politique, qui vient de politiques qui sont utilisés par la préfecture, parce qu’on veut ma tête, parce que je dérange. J’ai été le grain de sable, j’ai dénoncé des pratiques en cours concernant les Roms. On a voulu faire fermer la gueule d’un militant associatif. Je ne suis pas un profiteur, je ne suis pas un escroc. J’ai juste été maladroit sur la gestion des fonds de l’association. Je n’ai pas à rougir de ce que j’ai fait ni en tant que président d’association, ni en tant que médiateur. »

Le tribunal ne l’a visiblement pas suivi et il a été condamné en janvier 2014, pour corruption passive et abus de confiance, à un an de prison avec sursis et cinq ans d’interdiction d’exercer des responsabilités associatives ou professionnelles dans le secteur social. « C’est une enquête entièrement à charge, dénonce Julien Mazille, son avocat. La majeure partie des fonds de son association a été utilisée pour soutenir la population rom. On a voulu le faire taire. La corruption n’est absolument pas constituée. Le problème est qu’à un moment Monsieur Lobao a confondu l’association et son patrimoine personnel. Dans la mesure où il était le seul à s’en occuper, il y a une maladresse de sa part, mais il n’a abusé de la confiance de personne. La peine prononcée à son encontre est démesurée. Elle ne lui permet plus d’exercer son activité associative. On veut le bâillonner, c’est insupportable. »

En appel, Sylverio Lobao a finalement été relaxé des faits de corruption passive en septembre 2014, et le tribunal l’a condamné à six mois de prison avec sursis pour abus de confiance. La Cour a estimé que la promesse d’évacuation des Roms n’avait pas été négociée ou facilitée dans le cadre de sa mission de médiateur social, mais avait été conclue en raison de son activité militante au sein de l’association Procom. Les juges ont souligné que ses premières interventions en 2008 et 2011 étaient antérieures à son contrat de travail avec la mairie. Le tribunal a toutefois confirmé l’interdiction d’exercer pendant cinq ans des responsabilités associatives ou professionnelles dans le secteur social.

Extrait de "Le tour de France de la corruption", de Jacques Duplessy et Guillaume de Morant, publié aux éditions Grasset, novembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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