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Yasmina Reza a reçu ce jeudi 3 novembre le prix Renaudot pour « Babylone », son troisième roman.
Yasmina Reza a reçu ce jeudi 3 novembre le prix Renaudot pour « Babylone », son troisième roman.
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Allison Mac Gillivray-d'Orglandes pour Culture-Tops

Allison Mac Gillivray-d'Orglandes pour Culture-Tops

Allison Mac Gillivray-d'Orglandes est chroniqueuse pour Culture-Tops.

Culture-Tops est un site de chroniques couvrant l'ensemble de l'activité culturelle (théâtre, One Man Shows, opéras, ballets, spectacles divers, cinéma, expos, livres, etc.).
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Livre

Babylone

De Yasmina Reza

Ed. Flammarion

220 pages

20€

L'auteur

Yasmina Reza est née le 1er mai 1959 à Paris. Elle est principalement connue pour ses pièces de théâtre, en particulier « Art », son premier grand succès public en 1994, qui reçoit deux Molière du théâtre, celui du meilleur spectacle privé et du meilleur auteur. Elle a reçu ce jeudi 3 novembre le prix Renaudot pour « Babylone », son troisième roman.

Thème

Elisabeth Jauze, ingénieur brevets chez Pasteur, et son mari, Pierre, organisent une petite fête de Printemps chez eux avec quelques collègues de travail et un couple de voisins : Jean-Lino Manoscrivi, le gentil voisin du cinquième, petit-fils d’émigrés juifs italiens ; et Lydie Gumbiner, musicothérapeute, praticienne de massage aux bols tibétains, chanteuse de jazz à ses heures perdues et militante énergique contre la maltraitance des animaux – les poulets tout particulièrement. Cette douce soirée de printemps à Deuil-l'Alouette tourne à la tragédie lorsque, après la fête, Jean-Lino étrangle Lydie pour un malencontreux coup de pied asséné à son bien-aimé chat Eduardo.

Points forts

1 La narration. 

C’est Elisabeth Jauze, la voisine de Jean-Lino et Lydie, qui est la narratrice du roman. Elle se souvient de cette fameuse soirée de printemps où tout a basculé pour son voisin Jean-Lino, avec qui elle a une amitié à la fois complice et pudique, et sa compagne Lydie. Le récit est haletant. On ne s’ennuie pas une seconde.

2 L’écriture est admirable

 J’ai eu l’impression d’être dans le salon d’Elisabeth en train de l’écouter me raconter cette histoire.

3 L’aspect décalé et humoristique des situations décrites

   et le contraste saisissant entre cette légèreté et la tragédie qui se déroule sous nos yeux effarés. Les personnages sont présentés avec leurs fragilités, leurs incohérences, leurs blessures mais aussi leurs petits décalages qui les rendent comiques, à commencer par la narratrice elle-même. Les situations ne sont jamais banales, et même si l’histoire qu’on nous raconte est tout sauf joyeuse, l’humour apporte une forme de légèreté, un merveilleux contraste.

4 La « mise en scène »

On sent la dramaturge derrière la romancière. Le lecteur est transporté dans un univers visuel, tactile et sonore. On imagine sans peine ce qui nous est raconté. Je diras même plus : on y est vraiment, comme si on était un voisin de plus écoutant le récit du drame survenu la veille chez les voisins du cinquième étage.

Points faibles

Je n’ai pas trouvé de points faibles, mais un aspect que j’ai moins aimé: la violence tacite puis exprimée avec véhémence au sein du couple Jean-Lino/Lydie. Cette violence m’a semblé désespérante, comme s’il n’y avait pas d’autre issue que le meurtre dans cette histoire… 

Yasmina Reza nous invite à regarder le monde comme elle le voit, et le regard qu’elle porte sur le couple est emprunt de cynisme, voire d’une forme de mépris. Elle décrit ce qu’on pourrait appeler une « violence ordinaire » qui peut se déployer entre deux personnes qui partagent leur vie. J’avoue ne pas avoir adhéré à cette vision douloureuse, mais c’est tout à fait personnel. Et ça n’enlève rien, ça ajoute même au talent de Yasmina Reza qui parvient à toucher, même si ça fait mal...

En deux mots

Un crime inattendu, des situations décalées et des personnages fragiles et si humains font de « Babylone » un polar haletant, contrasté et singulier qui ne nous laisse pas indemne.

Une phrase

Ou plutôt deux extraits:

- « Après l’anniversaire à Auteuil, je me suis prise d’affection pour Jean-Lino Manoscrivi. On sortait de l’immeuble pour faire quelques pas dehors et on prenait un café au coin si l’occasion se présentait. Dehors il avait le droit de fumer, chez lui non. Je le percevais comme le plus doux des hommes, et je le vois encore de cette façon. Il n’y a jamais eu de familiarité entre nous et on s’est toujours vouvoyés. Mais on parlait, on se disait parfois des choses qu’on ne disait pas à d’autres. Surtout lui. » p. 17

- « Qu’est-ce qui s’est passé Jean-Lino ? Je n’aurais pas voulu être si directe mais rien ne me venait. Le langage ne traduit que l’empêchement de s’exprimer. On le ressent plus ou moins en temps normal et on s’en arrange. Jean-Lino a secoué la tête. Il s’est penché pour attraper une mandarine sur le comptoir. Il m’en a proposé une. J’ai refusé. Il s’est mis à décortiquer la sienne. J’ai dit, vous aviez l’air heureux à la maison.

-       Non

-       Non ?...

-       Si.. Moi j’étais heureux.

-       Ne vous sentez pas obligé.

Il a posé la mandarine sur une des pelures, on a extrait un quartier dont il a enlevé les fils de pellicule blanche.

-       Je ne ressens plus rien. Est-ce que je suis un monstre Elisabeth ?

-       Vous êtes anesthésié.

-       J’ai pleuré sur le moment. Mais je ne sais pas si c’était de chagrin.

-       Pas encore. Ah oui… Oui c’est ça. Pas encore. » P. 109

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