Pourquoi la gauche bannit Mélenchon<!-- --> | Atlantico.fr
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Si l’appareil communiste, ou ce qu’il en reste, a rejeté Mélenchon samedi, des calculs très intéressés sont à l’oeuvre. Seuls votaient les cadres du parti, c’est-à-dire ceux qui ont un poste ou un mandat à défendre.
Si l’appareil communiste, ou ce qu’il en reste, a rejeté Mélenchon samedi, des calculs très intéressés sont à l’oeuvre. Seuls votaient les cadres du parti, c’est-à-dire ceux qui ont un poste ou un mandat à défendre.
©Reuters / Charles Platiau

On se le demande...

Mélenchon est le grand banni de la gauche. Ce week-end encore, la Conférence Nationale du Parti Communiste a refusé d’accorder son soutien au tribun de la France insoumise. Même si la décision n’a pas surpris le leader maximo, elle illustre bien la difficulté du bonhomme dans ses relations historiques avec son camp et témoigne de l’étrange bannissement dont il fait l’objet.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Les communistes travaillés au corps par le PS

Bien entendu, si l’appareil communiste, ou ce qu’il en reste, a rejeté Mélenchon samedi, des calculs très intéressés sont à l’oeuvre. Seuls votaient les cadres du parti, c’est-à-dire ceux qui ont un poste ou un mandat à défendre. Tous savent que leur avenir est précaire et compromis, et qu’ils ont besoin du parti socialiste pour survivre. Il suffit que le PS aligne un candidat aux législatives face à eux pour qu’ils soient balayés et que leur carrière politique s’arrête.

Avec Mélenchon, ils sont sûrs de récolter cette mesure de rétorsion dans de prochaines législatives. Le PS risque fort de ne pas leur y faire de cadeau au cas où Mélenchon ruinerait, au premier tour, la chance du candidat socialiste d’arriver au second. C’est pourquoi les cadres communistes préfèrent aujourd’hui une alliance très illusoire avec Montebourg, plutôt qu’un regroupement assez naturel avec Mélenchon.

Le calcul compliqué de Pierre Laurent

Pour Pierre Laurent, secrétaire national du PCF, la situation est encore plus délicate à gérer. Depuis plusieurs mois, il refuse d’apporter son soutien à Mélenchon. Vendredi dernier, il s’est toutefois dévoilé en sa faveur, pour être démenti par ses cadres le lendemain. Ces palinodies cachent un calcul: ce sont les militants qui voteront fin novembre pour accorder ou non leur soutien à Mélenchon. Dans l’hypothèse où la base désavouerait (ce qui est plausible, voire probable) les cadres du parti, Pierre Laurent récolterait donc la mise, après avoir freiné des quatre fers la campagne du leader maximo.

Un cordon sanitaire autour de Mélenchon à gauche

Pour le reste, l’appareil politique de la gauche proroge donc le bannissement dont Mélenchon est victime depuis de très nombreuses années, probablement depuis l’invention de la gauche socialiste, au sein du Parti Socialiste, en 1988. On a oublié qu’à l’époque Mélenchon travaillait main dans la main avec Julien Dray, devenu depuis visiteur du soir à l’Elysée. Les deux compères ont suivi un chemin inverse. Dray s’est notabilisé, mu par une ambition exactement contraire à celle de Mélenchon, qui s’est radicalisé.

C’est cette radicalité qui explique sa sortie du Parti Socialiste et sa mise en quarantaine par ses anciens petits camarades.

Mélenchon, le dernier marxiste orthodoxe

Sur le fond, Mélenchon est le dernier « capé » de gauche à préserver l’héritage idéologique du marxisme. Alors que l’essentiel de l’offre politique à gauche s’est perdu dans un gloubi-boulga idéologique où la référence à une pensée unique (assez multiforme) tient lieu de substrat intellectuel, Mélenchon apparaît comme une page arrachée au livre 1 du Capital de Marx. Avec Lutte Ouvrière, il constitue donc une pièce unique.

Cette orthodoxie idéologique lui vaut sa mise à l’écart: Mélenchon a refusé de tremper dans l’espèce de combinazioneidéologique qui domine la gauche. Et ce refus lui vaut de nombreuses inimitiés.

Mélenchon victime du mépris social de la gauche bobo?

Le marxisme sous-jacent de Mélenchon suffit-il à expliquer son bannissement? On trouvera dans le livre de Davet et Lhomme (Un Président ne devrait pas dire ça…) un indice qui éclaire la fâcherie entre la gauche et Mélenchon. Hollande y avoue avoir régulièrement méprisé publiquement Mélenchon et ne l’avoir jamais pris au sérieux. Pour avoir moi-même voulu un jour inviter officiellement Mélenchon, alors ministre, dans une ambassade tenue par un proche de Hollande, sous le règne de Jospin, je revois ici la moue silencieuse mais désapprobatrice de l’ambassadeur. Le refus ne tenait pas seulement du désaccord idéologique. Il tenait aussi du mépris ordinaire pour ce « petit chose » qu’était Mélenchon. Pour la gauche, et spécialement pour les hiérarques bien nés du Parti Socialiste, Mélenchon restera toujours le fils de prolo qui n’a pas voulu sacrifier au Dieu argent et à la fascination pour les puissants.

Et ça, c’est difficile à pardonner rue de Solférino.

Mélenchon porté par sa conscience de classe

Même si la référence (implicite) au marxisme ne doit pas, chez Mélenchon et dans son entourage, dissimuler une forme de ruse ou de coquetterie, il n’en reste pas moins que le personnage reste porté par sa conscience de classe et peut se prévaloir l’assumer haut et fort quand d’autres (comme Emmanuelli) ne l’évoquent plus que comme un lointain souvenir qui peut faire bien, mais qui ne constitue plus un moteur politique.

La gauche et le prolétariat

En ce sens, le bannissement de Mélenchon est symbolique de la distance qui s’est instaurée entre le prolétariat et la gauche de gouvernement. Les puissants de gauche se méfient de ces tribuns qui puisent leur légitimité dans une relation directe avec le « peuple de gauche », sans s’appuyer sur l’appareillage compliqué de la démocratie représentative.

Le combat de 2017 sera passionnant de ce point de vue: il permettra de mesurer la capacité dont l’appareil officiel dispose encore pour torpiller un mouvement qui ressemble furieusement à un mouvement issu de la société civile, avec une forte inspiration révolutionnaire.

Cet article est également consultable sur le blog d'Eric Verhaeghe. 

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