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L’Europe, la grande oubliée du débat de la primaire de droite (ne regrettez rien, ils n’avaient pour la plupart rien de spécial à en dire)
©Reuters

Aveugles et sourds

Ce jeudi soir, l'Europe devait faire partie des principaux sujets abordés par les candidats à la primaire de la droite et du centre lors du second débat télévisé. Pourtant, celui-ci a été totalement occulté. Un "oubli" qui révèle à quel point les problèmes de l'Union européenne sont profonds.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico: Plusieurs commentateurs soulignent l'absence de l'Europe dans le débat politique français, comme cela a pu être observé lors du second débat de la primaire de la droite et du centre ce jeudi soir. Comment expliquer qu'aucun dirigeant européen, et notamment en France pourtant pays moteur de la construction européenne, ne soit capable de reconnaître la profondeur des problèmes européens et de reconsidérer l'ordre du traitement de ces problèmes?

Christophe Bouillaud: Il convient de souligner que les leaders des grands partis de gouvernement savent très bien que leur propre électorat est largement divisé sur les questions européennes. Ainsi, ouvrir une discussion sur l’Europe risque d’amener des ennuis de manière assez similaire à ce qu’a vécu le parti conservateur britannique. Ceci explique pourquoi les partis, et notamment Les Républicains, cherchent à éviter de discuter de ce sujet. Par ailleurs, aucun dirigeant européen ne semble avoir une idée très claire de la suite des opérations à donner dans le cadre de la construction européenne. 

L'Union européenne souhaite allier à la fois souveraineté, mondialisation et démocratie. Pourtant, à travers son fameux triangle, l'économiste Dani Rodrik a montré que cela était impossible, affirmant que l'un des trois devait être à chaque fois sacrifié, aussi bien dans le cadre de l'ultralibéralisme (sacrifice de la démocratie au profit de ce que Rodrik appelle l' "hypermondialisation"), que de la gouvernance mondiale (sacrifice de la souveraineté au profit de l'hypermondialisation et de la démocratie) ou de la mondialisation modérée (sacrifice de l'hypermondialisation au profit de la démocratie et de la souveraineté). Pourquoi n'a-t-on pas pensé, en amont de la construction européenne, à chacune de ces trois notions et aux effets de leur association? De l'ultra-libéralisme, la gouvernance mondiale  et la mondialisation modérée, les trois alternatives possibles suivant le triangle de Rodrik, laquelle serait la plus préférable et pourrait le mieux convenir à l'UE?

Probablement, les fondateurs de l’Union européenne, comme Altiero Spinelli, n’avaient pas du tout envisagé l’articulation entre la future Union et la mondialisation économique. Ils pensaient uniquement à une organisation du continent. Dans les années 1980-1990, l’idée de la gauche fédéraliste européenne et socio-démocrate consistait à résoudre ce dilemme à travers le fort développement d’un Etat social à l’échelle européenne. Or ce développement, prévu en contrepartie du développement du marché unique européen après l’Acte unique, n’a pas eu lieu du tout. Par ailleurs, les projets consistant à développer une démocratie à l’échelle de l’Union européenne, qui ont commencé à se faire entendre après les premières élections du Parlement européen au suffrage universel en 1979, ont lamentablement échoué. Aujourd’hui, le constat est le suivant : les élections européennes intéressent de moins en moins de gens à chaque élection, tandis qu’elles n’ont pas réussi à créer un espace politique européen démocratique. Le fait que cette conciliation n’ait pas eu lieu s’explique par le fait que la gauche social-démocrate s’est considérablement affaiblie à partir de 1989 à cause d’un libéralisme très fort et d’un nationalisme exprimé à l’Est du continent.

Si l’on considère l’Union européenne dans son état actuel, il paraît raisonnable d’aller vers une mondialisation modérée, c’est-à-dire privilégier l’émergence d’un espace démocratique en Europe et préserver la souveraineté, non pas tellement des nations particulières que plutôt celle de l’Europe, qui privilégierait des intérêts collectifs à la mondialisation. Ce projet, encore soutenu d’une certaine manière par la Banque centrale européenne, est assez peu d’actualité parce que les forces politiques dans les différents pays sont très largement favorables à un repli national. 

Comment a-t-on pu envisager la mise en place d'une Union monétaire sans politique budgétaire? Quelles sont les autres erreurs du même type commises par les dirigeants européens dans le cadre de la construction européenne et qui ont conduit à la situation actuelle? Que faudrait-il faire pour remédier à cela?

D’après les témoignages, y compris de Jacques Delors, leur idée en créant cette Union monétaire un peu bancale visait à profiter de la prochaine crise pour tendre alors vers une Union plus fédérale. Pour l’instant, l’Histoire leur a donné plutôt tort puisque les choix qui ont été faits par les gouvernements européens à partir de 2010 ont plutôt privilégier une amélioration de l’existant sans jamais vraiment oser aller beaucoup plus loin, vers une Union budgétaire forte et un Etat fédéral. C’était un pari sur l’avenir qui s’est révélé erroné.

Par ailleurs, il y avait toute une série de prédictions catastrophiques de la part d’économistes, et qui se sont avérées alors que les dirigeants européens des années 1980 ont voulu les oublier pour pouvoir aller de l’avant.

L’autre exemple que l’on pourrait donner, malheureusement, c’est le grand élargissement à l’Est où l’on est passé d’un espace avec une concurrence sur des bases salariales plutôt modérée en Europe de l’Ouest  à une concurrence totalement déraisonnable. Si vous regardez, même encore aujourd’hui, le coût du travail dans les pays baltes et celui en France ou au Benelux, vous ne pouvez qu’être effrayé. L’acceptation d’une concurrence au sein d’un espace de marché unique avec des différences salariales aussi marquées n’aurait jamais dû se produire. Ainsi, nous n’aurions pas eu toute cette polémique sur les travailleurs détachés si le rapport salarial était beaucoup plus raisonnable entre les différentes parties de l’Europe. Les Européens finissent alors par se monter les uns contre les autres comme cela a pu être mis en évidence avec le référendum en Grande-Bretagne où effectivement, l’un des problèmes majeurs ressenti par les électeurs résidait précisément dans la concurrence intra-européenne.

Malheureusement, nous arrivons très tard. Toutefois, pour résorber cette situation, il faudrait, dans un premier temps, relancer fortement l’activité économique en Europe, ce qui permettrait de desserrer l’étreinte du chômage de masse dans un certain nombre de pays de l’Europe du Sud, et en France tout particulièrement. Dans un second temps, une fois que la situation économique deviendrait plus calme, il conviendrait de réfléchir aux problèmes liés à l’euro et à la concurrence intra-européenne. Et ceci, d’autant plus que les partis politiques qui dominent la scène électorale dans beaucoup de pays sont absolument hostiles à toutes réformes dans un sens fédéraliste. Ne serait-ce que sur la directive à propos des travailleurs détachés, on voit très bien une ligne de fracture entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est. Les pays de cette dernière sont très favorables à l’état actuel de cette directive. Ils ne pourraient céder que si la situation économique venait à être si bonne chez eux qu’ils ne souhaiteraient plus avoir recours à nos marchés du travail. 

Propos recueillis par Thomas Sila

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