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À quels "saints" pourrait se vouer une droite sarkozyste orpheline de son champion ?
©Reuters

Trou d'air

Alors que la plupart des enquêtes sondagières donnent Alain Juppé vainqueur de la primaire de la droite et du centre face à Nicolas Sarkozy, une telle situation pourrait bien déboucher sur une certaine reconfiguration de la droite actuelle.

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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Atlantico : Alors qu'Alain Juppé est donné par tous les sondages en têtes des intentions de vote pour la primaire face à Nicolas Sarkozy, en quoi une éventuelle victoire de l'actuel maire de Bordeaux pourrait-elle engendrer une reconfiguration de la droite française ? En termes de courants et d'idées, quelle tendance sortirait renforcée d'un tel résultat ? Cette situation pourrait-elle durer dans le temps ?

Jérôme Fourquet : Il faut bien préciser d'emblée que tout dépendra de l'ampleur de l'éventuelle victoire d'Alain Juppé et de l'ambiance de la fin de campagne de la primaire, dans les derniers jours et dans l'entre-deux-tours. Tout le monde comprendra bien que nous ne sommes pas du tout dans la même configuration si Alain Juppé l'emporte à 57 ou 60% ou s'il gagne ric-rac à 52% face à Nicolas Sarkozy. De là peut dépendra l'attitude d'une partie des troupes sarkozystes, qui pourraient s'estimer flouées et lésées, voire trahies. Cela peut créer un certain ressentiment et inciter une partie d'entre eux à ne pas jouer le jeu de l'unité et ne pas voter massivement pour Alain Juppé à la présidentielle.

Outre le score étriqué, l'un des ingrédients qui pourraient conduire à cette situation serait l'argument actuellement brandi par les sarkozystes selon lequel Alain Juppé bénéficierait d'un large soutien d'une frange de l'électorat de gauche qui s'inviterait à la primaire de droite pour fausser les cartes. Si nous sommes sur un écart restreint, qu'Alain Juppé est dépeint comme un homme soutenu par la gauche pendant toute la fin de la campagne, et que lors des jours qui suivent le vote les analyses démontrent qu'effectivement il ne l'a emporté que d'un cheveu grâce à ces voix, on peut alors créer une configuration tout à fait détonante et favorable à une fragmentation – au moins électorale – du bloc de droite. Si la victoire est plus large, il y aura bien évidemment de la rancune et de la rancœur, mais le climat psychologique serait tout autre.

Nous sommes vraiment sur deux lignes idéologiques qui s'affrontent et qui sont bien différentes : la ligne Juppé et la ligne Sarkozy. Aujourd'hui, l'électorat sarkozyste est chauffé à blanc par son leader sur toutes ces questions identitaires et sécuritaires. S'il est battu, cet électorat ne se retrouvera pas pleinement – c'est un euphémisme – dans la ligne Juppé, qui visera déjà, lui, un rassemblement pour battre Marine Le Pen au second tour de la présidentielle. Et si Alain Juppé gagne la primaire assez largement, il sera enclin à ne pas dévier de sa ligne de conduite.

Toute une partie de l'électorat sarkozyste peut ne pas se retrouver du tout dans la ligne Juppé après sa victoire. Si en plus, il y a suspicion d'une "infiltration" de l'électorat de gauche et d'un rôle important dans le verdict des urnes, cela peut créer des conditions assez propices à une espèce de dissidence dans les urnes.

Une victoire d'Alain Juppé et de l'aile "centriste" de la droite pourrait-elle paradoxalement renforcer aussi l'aile identitaire et sécuritaire du parti Les Républicains, la forçant à s'affirmer davantage pour exister ?

Là aussi, tout dépendra de l'attitude de Nicolas Sarkozy. Est-ce qu'il joue le jeu ou est-ce que lui et ses lieutenants instruisent un procès en trahison et manipulation ?

Au-delà de Nicolas Sarkozy et de son entourage, il faudra aussi surveiller ce qu'il se passera du côté des élus locaux. Nous avons déjà des signaux montrant que les choses ne vont pas forcément se passer de manière apaisée. J'en veux pour preuves les discussions qui commencent à émerger sur la future majorité parlementaire et sur les accords électoraux aux législatives avec les centristes.

Instruits du précédent "François Hollande 2012" qui a gouverné avec une majorité de députés socialistes qui avaient été pour beaucoup installés par sa rivale de l'époque Martine Aubry, les juppéistes se disent qu'il leur faudra regarder tout ça très attentivement, d'autant plus quand on se souvient de la "précipitation" avec laquelle les sarkozystes ont bouclé le tour de table pour les investitures avant la primaire. L'idée ici serait d'éviter l'apparition d'un bloc de "frondeurs de droite" incarnés par un fort noyau de députés très sarkozystes tenants d'une droite identitaire "dure", qui donneraient beaucoup de fil à retordre à Alain Juppé une fois élu président de la République.

Le débat commence à monter en puissance, avec un Alain Juppé qui a indiqué que s'il était élu, il faudrait accorder une place significative aux centristes (pas uniquement l'UDI, mais aussi le MoDem de François Bayrou, qui fait figure de repoussoir pour beaucoup d'électeurs de la droite dure).

Il faudra donc scruter avec attention l'attitude de tous ces élus qui peuvent non seulement ne pas se retrouver idéologiquement dans la ligne du nouveau patron de la droite (Alain Juppé), mais qui de surcroît pourraient se sentir marginalisés en termes d'investitures ou de places qu'on voudrait bien leur laisser.

Quel impact cette éventuelle opposition pourrait-elle avoir sur les électeurs de droite ?

Nous n'avons pas encore d'éléments chiffrés très précis, tout cela étant encore assez virtuel. Mais si l'on s'appuie sur certains articles de presse ou reportages effectués auprès de la base sarkozyste, notamment au soir du meeting du Zénith à Paris, beaucoup de militants ont indiqué que si jamais Nicolas Sarkozy était battu, jamais ils ne voteraient pour Alain Juppé à la présidentielle, en tout cas au premier tour. Quand ils étaient poussés dans leurs retranchements, la réponse devenait très claire : ce serait soit Nicolas Dupont-Aignan, soit Marine Le Pen.

Deux bémols à apporter ici toutefois.

Nous parlons ici du cœur militant le plus prononcé du sarkozysme. Il n'est pas évident que l'électorat qui votera Sarkozy à la primaire soit aussi jusqu'au-boutiste.

Deuxièmement, ces militants étaient interrogés à chaud. Bien évidemment, en cas de défaite en novembre, il y aura du dépit et de la colère, mais la présidentielle n'aura lieu que quelques mois plus tard. La colère aura donc eu le temps de retomber, notamment parce que la campagne présidentielle verra un Alain Juppé candidat de la droite ferrailler avec les candidats de gauche, revigorant ainsi le réflexe partisan de certains électeurs de droite, y compris chez les sarkozystes.

En termes de personnalités, et alors qu'Alain Juppé a déjà annoncé qu'il ne ferait qu'un seul quinquennat si jamais il était élu à la présidence de la République, quelles sont celles qui pourraient émerger à court et moyen terme et voir leur position renforcée par cette reconfiguration de la droite ?

Je pense que si Nicolas Sarkozy venait à jeter l'éponge en cas de défaite, quelqu'un comme Laurent Wauquiez pourrait être tenté de fédérer une certaine fronde ou la défense d'une ligne de droite "décomplexée" dans la perspective de l'après-2017. Une fois dit cela, ceux qui ont une place institutionnelle importante aujourd'hui sont surtout, de mon point de vue, les présidents de régions (Christian Estrosi, Xavier Bertrand).

En termes de figures importantes, on peut aussi regardera du côté de l'Assemblée nationale et du Sénat. Le patron de l'Assemblée devrait plutôt être choisi parmi les fidèles de la nouvelle majorité. Par logique de système, ceux qui peuvent faire entendre leurs voix sont ceux qui ont d'ores et déjà aujourd'hui des positions institutionnelles qui leur permettent une certaine autonomie face au futur pouvoir. Cela peut être soit des barons parlementaires très implantés, soit des patrons de région. Des gens comme Laurent Wauquiez ou comme Bruno Retailleau (patron des sénateurs Les Républicains au Sénat) ne sont pas juppéistes et peuvent, eux, éventuellement faire entendre leur voix.

Soyons également attentifs à quelqu'un comme Guillaume Peltier qui, malgré un poids électif bien moindre, est encore à la tête du courant de la Droite Forte et conserve une certaine audience auprès des militants.

Enfin, il faudra aussi regarder du côté d'un certain nombre de candidats aujourd'hui sur les rangs (Jean-François Copé, François Fillon) pour voir s'ils prennent la tête d'une éventuelle fronde. Mais ayant été battus vraisemblablement au premier tour et s'étant heurtés très durement à Nicolas Sarkozy, ils ne seraient pas forcément les mieux placés pour rallier les sarkozystes déçus.

Il faut donc à la fois un poids politique non négligeable, une indépendance institutionnelle, et être sarko-compatible pour essayer de capter cet électorat, qui présente plus de risques centrifuges que l'électorat Le Maire ou Fillon.

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