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Mal de pierres ou Mal d’amour ? Le dernier film de Nicole Garcia révèle une autre face de l’amour, loin de la bruyante passion
©Allociné

Passionnel ou platonique ?

Le dernier film de Nicole Garcia, Mal de pierres, qui sort ce mercredi 19 octobre dans les salles, pose la question du sens à donner à l'amour et au désir dans notre société.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Les couples d’aujourd’hui ne durent guère plus de trois ans. Pourtant, les unions contemporaines sont le fruit de l’amour et non plus d’une alliance contrainte par les familles comme au 19ème siècle. Paradoxalement, ce même romantisme qui, à l’époque, a donné naissance au couple moderne en plaçant les sentiments au-dessus des barrières sociales, est actuellement accusé de ruiner l’amour conjugal en ignorant ce dernier au profit de l’état amoureux. D’où des attentes exagérées… et des déceptions. Car, mis en pratique au quotidien et dans la durée, l’amour change de nature ; l’exaltation des premiers moments se mue en un lien profond, essentiel. L’attirance se fait attachement. Et à mesure que s’approfondit ce qui unit deux êtres, ce qui les attache l’un à l’autre, la fièvre de l’état amoureux s’éloigne. Or, ce qui inspire les poètes et les artistes, ce ne sont pas ces liens subtils qui forment l’arrière-plan d’une existence, c’est la passion des premiers temps de la rencontre où l’on peut encore tout attendre de l’autre. Le dernier film de Nicole Garcia, Mal de pierres, relève un défi : celui de mettre en valeur la face cachée de l’amour.

Gabrielle s’éveille au désir. Celui qu’elle inspire comme celui qu’elle ressent. Dans un monde où soleil et regards masculins brillent à l’unisson, elle se découvre un corps de femme. Elle mesure son pouvoir au silence des saisonniers aux torses luisants, courbés dans les champs de lavande, qui interrompent leur bavardage sur son passage et la suivent des yeux. Gabrielle a les sens en feu. Son ardeur lui inspire une passion pour son professeur de français. Celui-ci, innocent, n’en mesure pas l’étendue. Il la croit, comme lui, amoureuse des beaux textes. Mais l’émotion des textes se dilue chez Gabrielle dans le bouleversement des désirs. Elle ne s’en tient pas qu’à la lettre.

Le désir est un désordre que l’on doit apprendre à contenir. Froide et mesurée, la mère de Gabrielle ne peut concevoir ce désordre. Elle amène sa fille chez un psychiatre : la consultation tourne court. Gabrielle a la sincérité de l’instinct ; on ne l’apprivoisera pas. La mère de Gabrielle a peut-être connu autrefois la passion, mais elle n’est plus aujourd’hui gouvernée que par la raison. Impossible pour elle de laisser Gabrielle à l’anarchie de ses passions. C’est à un mariage de raison qu’elle va confier le soin de contenir ses débordements.

José, un saisonnier de la ferme lui paraît avoir les qualités requises. Il a fui la guerre d’Espagne pour la France. Il veut s’enraciner dans le sud, il est solide et ambitieux. Gabrielle ne l’aime pas et ne se prive pas de lui dire. Lui non plus. Le désir, alors, qu’en faire ? "Il y a des femmes pour cela", réplique sobrement José qui s’absente le week-end pour partir à la ville avec une poignée de billets. Vexée et intriguée, Gabrielle s’essaye à ce désir-là sans succès. A l’inverse de l’homme, l’amour, chez la femme, est indispensable au désir. Mais José ne semble pas affecté par l’absence du désir. Le couple, à ses yeux, n’a pas besoin d’être enchanté. Le charme lui est étranger. Il est maçon et il construit. Le couple est une construction comme une autre. Gabrielle est associée à cette entreprise. Elle y prend place. Ensemble, ils édifient une maison. Son toit aura tôt fait d’abriter un enfant.

Depuis toujours, Gabrielle a des crises douloureuses. On diagnostique des calculs. La voilà obligée de faire un séjour dans une maison de cure. Il y a là toutes sortes de patients – et en particulier un bel officier, de retour d’Indochine. Il est gravement mutilé, souffre et se drogue pour échapper à la douleur. Ses jours sont en danger. Son regard sombre est alourdi par la proximité de la mort : celle qu’il a connue sur les champs de bataille, celle qui plane au-dessus de lui. André est un héros tragique. Il est d’une lignée où l’on gagne des galons au risque de sa vie, une lignée de conquérants : son père est général. André a tout pour susciter la passion : il est au-dessus de la vie et de la mort, au-dessus du morne quotidien. Il ne construit pas : il se bat pour la gloire. Mieux encore qu’un professeur de français, ce héros qui fait fi de son existence a tout pour ravir Gabrielle, elle dont le désir est un défi à l’ordre établi. Tous deux s’abandonnent à l’ivresse de la passion qui, pour un moment, semble les faire triompher du sort. Mais André sait ses jours comptés.

Séparée de lui au terme de sa cure, Gabrielle entretient sa passion. Mais l’obstination du maçon lui fera découvrir une forme d’amour qu’elle ne soupçonnait pas, loin de la bruyante passion et ses aveuglements… N’en dévoilons pas plus.

Un mot encore, pourtant. José et André se sont croisés. Ils ont échangé sur la guerre. Tous deux ont connu la peur et l’horreur du combat, ce rite initiatique de la virilité. Toutefois, pour José il s’agissait d’une lutte pour la liberté face à un tyran : n’ayant pu triompher, José fait son chemin ailleurs. Pour André, le triomphe est une fin en soi, un trophée. En regard de ces profils masculins, deux conceptions de la relation homme-femme – deux points de vue sur l’amour – s’affrontent. L'une y voit la rencontre exaltée de l’âme-sœur qui fait échapper à soi-même en oubliant les contingences ; la seconde en fait une voie d’émancipation où chacun épaule l’autre pour écrire patiemment son histoire. Entre l’amour-transport et l’amour-parcours, lequel privilégier ? Dans l’art, on l’a vu, c’est en principe le premier. Mal de pierre a le rare mérite de nous donner à contempler le second.

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