Un test ADN pour savoir qui risque de tomber dans l’addiction aux anti-douleurs ? Le vrai-faux de la génétique de la dépendance<!-- --> | Atlantico.fr
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Un nouveau produit prétend pouvoir détecter les personnes sujettes aux dépendances.
Un nouveau produit prétend pouvoir détecter les personnes sujettes aux dépendances.
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THE DAILY BEAST

Beaucoup de drogués se procurent leur première dose grâce à un médecin qui les soigne pour des douleurs. Un nouveau produit prétend pouvoir détecter les personnes sujettes aux dépendances avec un taux précision de 93%. Trop beau pour être vrai ?

Zachary Siegel

Zachary Siegel

Zachary Siegel est journaliste pour The Daily Beast.

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Zachary Siegel - The Daily Beast

"En ce moment, je me fais une detox d’enfer", dit James, un consommateur d’opiacés. En plus de se sentir fatigué mais incapable de dormir, ses muscles affaiblis sont enlacés dans une douleur implacable. James s’est fait rouler dessus par un bus municipal à Cleveland, dans l’Ohio, lorsqu’il avait 13 ans. Le médecin lui a donné de la morphine non-stop durant 6 jours. C’est là que son addiction a commencé. 18 ans plus tard, James a 31 ans. Il est handicapé et a toujours une addiction aux antidouleurs.

Le fait qu’il vive en Floride n’aide pas, dit-il, car c’est un Etat où la demande pour l’oxycodone et d’autres opiacés reste forte malgré un gouvernement fédéral qui sévit contre les fausses cliniques antidouleurs. "J’ai essayé par tous les moyens de me faire aider ou d’arrêter mais je retombe dedans", dit-il. L’addiction coule dans le sang de la famille. Son père est mort d’overdose d’héroïne lorsqu’il avait 9 ans. L’histoire de sa famille et le deuil de la mort de son père l’ont laissé particulièrement vulnérable à l’addiction. Mais les médecins qui l’ont traité pour son accident de bus n’en savaient rien car ils ne lui avaient rien demandé. C’est ce manque d’attention qui a eu raison de lui, dit James. "C’est tout à fait vrai que l’addiction est héréditaire", dit Keith Humphreys, directeur du département de politique de santé mentale, de psychiatrie et des sciences du comportement à l’université de Stanford. "Certaines personnes peuvent avoir des réactions très fortes, d’autres ne semblent en avoir aucune alors qu’il s’agit de la première consommation d’une même drogue. Cela peut donc être une leçon pour eux. Ça ne peut pas être autre chose que les gènes avec lesquels ils sont arrivés sur cette terre".

Mais ce qui fait de l’addiction un sujet complexe, c’est qu’une personne pourrait avoir un historique familial et un profil génétique comme celui de James et ne développer aucune sorte d’addiction. Les études sur les jumeaux montrent que la génétique compte pour la moitié des risques, laissant l’autre moitié à l’environnement. Jouer avec les deux parties n’est pas chose facile pour les scientifiques. Mais qu’en serait-il s’il y avait un moyen qui permettait aux médecins de dépister les addictions avant qu’ils ne deviennent problématiques ?

Brian Meshkin, PDG de Proove Bioscience, une entreprise spécialisée dans la médecine personnelle et basée à Irvine en Californie, pense avoir une solution. Il a développé un produit appelé Proove Opiod Risk : un test que les médecins donnent aux patients. Ce test se compose du profil génétique du patient ainsi que d’une observation clinique. Proove prétend qu’il peut prévoir le risque pour un patient de développer une addiction aux opiacés avec une précision de 93%. Meshkin explique comment le test fonctionne : on pose six questions aux patients à qui on a trouvé une forte probabilité de développer une future addiction aux opiacés, comme par exemple s’il y a un passé d’utilisation de substances ou un diagnostic de dépression. On collecte un échantillon d’ADN à la salive. L’ADN est ensuite envoyé à Proove où 12 variables génétiques seront analysées. Les 12 gènes font partie du système mesolimbique du cerveau, la partie du cerveau associé à l’addiction. Elle est souvent appelée le circuit de récompense car elle est activée lorsque des comportements comme la consommation de drogues sont en cours.

"Toutes ces informations sont traitées par notre logiciel. L’algorithme fournit alors un rapport au médecin en classifiant le patient soit avec un petit risque, un risque modéré, ou un haut risque", dit  M. Meshkin. Meshkin affirme que ce résultat de 93% de précision a été présenté à la Société Américaine des Praticiens Contre la Douleur lors du sommet annuel l’année dernière, mais n’a pas encore fait l’objet d’une publication critique dans un journal scientifique. Les tests génétiques comme ceux de Proove tombent dans une catégorie un peu floue de l’administration américaine de contrôle des aliments et des drogues. Cette catégorie est appelée "tests développés en laboratoires'', ce qui permet aux entreprises d’affirmer des choses pour le marketing sans forcément avoir les données pour les prouver.

Le Dr. Richard Friedman, professeur de psychiatrie clinique à la faculté de médecine de Weill Cornell, et qui tient une rubrique dans le New York Times, assure que les affirmations de Proove "ne peuvent pas être prises sérieusement par les scientifiques, les médecins et surtout, le plus important, par le grand public" jusqu’à ce que ces résultats soient analysés par leurs pairs. "L’histoire de marqueurs génétiques prophétiques est un peu comme la quête du Saint Graal", dit-il. "Ils promettent beaucoup, mais au final ils offrent peu d’avantages par rapport à ce qu’un médecin fait tous les jours dans sa clinique : regarder attentivement l’historique des symptômes de la réaction aux médicaments'".

Si les médecins avaient fait cela dans le cas de James, peut-être que les 18 années de luttes lui auraient été épargnées. D’autres ont un point de vue un peu plus nuancé. Le docteur Steven Richmeir, professeur d’anesthésie et de psychiatrie à la faculté de médecine de l’université de Caroline du Sud, utilise les produits de Proove dans un protocole de recherche sur la douleur clinique. "Lorsqu’un patient voit qu’il est un profil à haut risque, il dit des choses comme 'je ne suis pas surpris'", dit-il. "En général, ils ont eu des problèmes d’addiction dans le passé ou ils savent qu’il y a un historique familial".

En réponse aux critiques du docteur Friedman – notamment sur le fait que la science soit incapable de prévoir l’addiction d’une personne comme James – le docteur Richeimer dit : ''Nous devons bien faire attention sur le fait que le test ne nous dit pas si une personne développe une addiction, mais seulement la probabilité qu’il la développe".

Il a également dit que le test facilitait la discussion entre lui et ses patients à propos des risques liés à la consommation d’opiacés. ''Si nous recevons les résultats d’un test pour un patient à haut risque, je vais insister sur le fait que nous devons explorer le fait de lui faire réduire la consommation, voire arrêter totalement". Mais une médecine personnalisée coûte de l’argent. Un test de Proove coûte à un assuré environ 100 dollars mais autour de 1000 pour une personne sans couverture santé...

"En général, les assurances paient 30% du temps'', dit M. Meshkin, en ajoutant que son entreprise plaide en faveur d’un changement des règles de remboursements. Jessica Del Pozo, une psychologue de la santé à la clinique Kaizer qui forme des médecins sur les problématiques des douleurs chroniques, se demande si le test est utile pour les patients ou pour les résultats financiers de Proove. "Le boom des opiacés ressemble à une ruée vers l’or… et maintenant toutes sortes d’entrepreneurs viennent pour 'aider' à lutter contre cette soi-disant épidémie que certains ont vu arriver il y a déjà 20 ans".

Le docteur Adam Rubinstein, un médecin spécialisé dans les addictions et qui soigne les patients avec des addictions aux opiacés est d’accord avec Mme Del Pozo. "Je n’utiliserai jamais ce test", dit-il en ajoutant que ça aidera les poches de Proove plutôt que ces patients. La réponse du docteur Rubinstein est parlante. La communauté médicale est en général sceptique lorsqu’une entreprise de nouvelles technologies parachute un nouveau produit dans leur champ de compétences.

La chute de Theranos, une entreprise de tests sanguins qui a leurré des investisseurs avec une technologie non-existante, reste encore la tache indélébile que le marché des nouvelles technologies doit subir. M. Proove doit avant tout fournir les preuves à des médecins comme le docteur Rubinstein avant qu’on accepte la légitimité de leurs affirmations. Les produits de Proove, s’ils s’avèrent être efficaces et bon marché – et pour certains c’est très hypothétique – seraient très séduisants au vu des taux de mortalités élevés.

"Le fait de nous critiquer ainsi est injuste'', déploreM. Meshkin, ajoutant que "lorsque les données seront publiées, leur perspective sur nous va changer radicalement". Il clame que Proove a l’intention de publier les résultats de ses tests sur le risque d’addiction aux opiacés dans les 4 prochains mois. Et concernant le séjour de James à l’hôpital il y a quelques années, peut-être qu’il n’avait pas besoin d’un test génétique qui coûte cher. Ces quelques questions supplémentaires sur son père auraient dû alerter la vigilance des médecins. "Je pense qu’on ne le saura jamais", dit-il, ne sachant pas si sa vie aurait été différente si les médecins avaient été plus vigilants. Il s’arrête, puis professe que les médecins doivent d’abord se soucier des gens avec des addictions afin de les soigner.

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