Vers une guerre Royal-Valls sur Notre-Dame-des-Landes : après la folle semaine d'auto-destruction de François Hollande, la décomposition en direct du gouvernement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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dans le match à distance que se livrent, sur ce dossier précis, Manuel Valls et Ségolène Royal, ce sont les prolongations de la primaire citoyenne d’octobre 2011. L’écart de 35.000 voix les séparant n’a pas été comblé manifestement…
dans le match à distance que se livrent, sur ce dossier précis, Manuel Valls et Ségolène Royal, ce sont les prolongations de la primaire citoyenne d’octobre 2011. L’écart de 35.000 voix les séparant n’a pas été comblé manifestement…
©Reuters/Charles Platiau

Rien ne va plus

Alors que la parution du livre de Gérard Davet et Fabrice Lhomme a sérieusement décrédibilisé le président de la République, Ségolène Royal, dans un entretien au JDD paru ce dimanche 16 octobre, s'est opposée à Manuel Valls sur le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Alors que la sortie du livre "Un président ne devrait pas dire ça" de Gérard Davet et Fabrice Lhomme continue de faire polémique, peut-on considérer que François Hollande s'est, au cours de la semaine qui vient de s'écouler, autodétruit ? Quel a été l'impact de cette semaine du président sur l'action du gouvernement ? Au regard des événements récents, ce dernier peut-il encore être en état de marche ?

Jean Petaux : Une des caractéristiques de la vie politique, de nos jours, c’est sa liquidité. "Tout coule" disait déjà Aristote. Sans faire de mauvais jeu de mots on pourrait dire que cette phrase ("Panta rhei" en grec) s’applique particulièrement bien à François Hollande, avec l’ambiguïté de sens qui est propre au verbe "couler" entendu soit comme "l’eau coule" (sur les plumes du canard… sans laisser de traces) ou le "bateau coule" ("fait naufrage"). On pourrait ainsi espérer pour le principal intéressé que dans l’affaire du livre de Davet et Lhomme l’eau va couler… Peut-être François Hollande le pense-t-il encore. Il va finir par être le seul à le croire. On se prend même à espérer la publication de la prochaine confession du président pour savoir comment il aura réagi aux réactions très négatives qu’aura suscitées la sortie du livre de Davet et Lhomme…

L’action du gouvernement n’est pas impactée en revanche par la polémique générée par les propos du président de la République. Elle n’est pas impactée parce que le gouvernement est à l’arrêt tout simplement. C’est la raison pour laquelle l’expression "en état de marche" n’est pas appropriée ici. En réalité, comme souvent dans un contexte pré-électoral (a fortiori quand il s’agit de la "mère des élections" sous la Vème République : la présidentielle), l’action gouvernementale se réduit considérablement. Comme s’il n’était plus possible de discuter et de faire adopter des réformes d’envergure à quelques mois de l’échéance suprême. La seule dimension qui peut encore être celle de l’action gouvernementale est celle de la "gestion des affaires courantes", ce qui ne veut pas dire que ce sont forcément des questions mineures. Parmi celles-ci il y a bien sûr l’imprévu, de nouveaux attentats par exemple, mais aussi des questions de sécurité publique, d’accidents, de catastrophes naturelles qui peuvent nécessiter une réaction rapide et conjoncturelle. Pour tous ces aspects, le gouvernement est en état de fonctionner même si le soutien populaire qu’il rencontre est réduit à portion congrue et même si celui-ci diminue encore davantage au fur et à mesure que la désaffection qui frappe le président augmente.

Eric Verhaeghe : Il faut reconnaître que François Hollande fait très fort, et très probablement par une sorte d'amateurisme tout à fait confondant. Il a manifestement pris l'habitude, au cours de son quinquennat, de recevoir régulièrement des journalistes à qui il a raconté des sornettes et des confidences. Il ne s'est pas contenté d'un ou deux journalistes. Il en a désigné plusieurs pour leur confier, au fil des semaines, des points de vue tout à fait critiques. Quel est le bon sens de cette démarche ? Hollande a en effet amorcé autant de bombes à retardement, dont il ne maîtrisait pas la date d'explosion. Dans le cas de Davet et Lhomme, on imagine assez aisément que l'éditeur a choisi la date la plus sensible pour publier le livre. Hollande n'a probablement pas mesuré à ce moment qu'il déléguait à deux journalistes et un éditeur le soin d'assurer sa communication en dehors de tout plan concerté avec ses soutiens. On peut parler ici d'une auto-destruction par dilettantisme et incompétence. Alors que Hollande a besoin de professionnaliser sa communication pour se donner une chance d'être au deuxième tour, il témoigne d'une sorte de légèreté confondante pour préparer sa défense. C'est probablement cette légèreté qui est la plus destructrice pour sa candidature : il ne donne pas le sentiment de prendre sa fonction au sérieux, ni de mesurer l'impact de sa communication sur l'opinion. Au fond, en cinq ans, Hollande ne s'est pas présidentialisé. C'est tout le problème du personnage, ou tout le défaut qui fait obstacle à sa réélection. 

Alors que Manuel Valls avait affirmé ce mardi l'intention du gouvernement de procéder à l'évacuation des opposants à Notre-Dame-des-Landes au cours de l'automne, Ségolène Royal a déclaré ce dimanche dans un entretien au JDD qu'il valait mieux "arrêter les frais". Le gouvernement est-il lui aussi en train de s'auto-détruire sur Notre-Dame-des-Landes ? Au vu du contexte, la meilleure stratégie n'était-elle pas, au contraire, celle de l'unité politique et gouvernementale ?

Jean Petaux : Pour n’avoir jamais été un "Royaliste", proche voire éloigné, et avoir maintes fois souligné le caractère tantôt opportuniste, tantôt ingérable de sa démarche politique, il est de l’ordre de l’évidence, en ce qui concerne les derniers propos de Ségolène Royal dans les colonnes du "Journal du Dimanche", qu’ils sont frappés au coin du bon sens, de la plus élémentaire prudence et de l’anticipation rationnelle de ce qui peut virer, sinon à la tragédie (encore que ce n’est pas exclu) à tout le moins au fiasco politique majeur. Les propos du président de la République, sur ce dossier, ressemblent quelque peu au dernier clou que les croque-morts vissent sur le couvercle du cercueil. Si François Hollande avait voulu, par avance, déligitimer un quelconque recours à la force publique pour dégager le terrain et virer les 300 activistes qui squattent cette ZND (Zone de Non Droit) il ne s’y serait pas pris autrement. Dans les mêmes colonnes du JDD on lit qu’il est nécessaire de mobiliser environ 2500 gardes-mobiles pour cette opération de "quasi-guerre". On pourrait aussi imaginer d’y faire intervenir les "Forces Spéciales" et un ou deux "Rafale"… Le ridicule risque autant d’emporter les partisans de la solution forte que les cocktails molotov des "Blacks blocks". 

En réalité ce que l’on constate dans le match à distance que se livrent, sur ce dossier précis, Manuel Valls, le Premier ministre et Ségolène Royal, la première des femmes ministres dans l’ordre protocolaire (deuxième dans l’ordre de préséance du gouvernement après l’ancien Premier ministre Jean-Marc Ayrault) ce sont les prolongations de la primaire citoyenne d’octobre 2011. Ségolène Royal y avait obtenu 6,95% des voix (elle en avait pleuré) et Manuel Valls 5,63%. L’écart de 35.000 voix les séparant n’a pas été comblé manifestement… Il advient ce qui ne manque jamais de se produire dans une situation de grande incertitude, pour toute formation politique : la dépression, le vide, créés par l’éventuelle non-candidature de François Hollande produisent forcément une situation de tension où les éventuels candidats, non pas à la succession, mais au remplacement de candidature, aiguisent d’ores et déjà leurs couteaux et prennent des postures de différenciation préludes à la "mise en garde". Voilà sans doute le ressort profond du différent Valls-Royal au sujet de Notre-Dame-des-Landes même si, encore une fois, sur le fond, les arguments développés par la ministre de l’Environnement, de l’Energie et de la Mer ne manquent pas de pertinence.

Eric Verhaeghe : On verra d'abord dans le chaos régnant au gouvernement l'un des impacts forts du chaos hollandais lui-même. Comment le gouvernement peut-il rester en ordre de bataille alors que le général semble devenir fou à l'approche de la bataille suprême ? Les troupes sont forcément en plein désarroi et en plein trouble. S'agissant de Notre-Dame-des-Landes, la confrontation entre Manuel Valls et François Hollande est inévitable. Hollande, président affaibli, a fait savoir par voie de presse (le fameux livre de Lhomme et Davet) qu'il ne croyait pas au projet. Pour Valls, la situation est compliquée, dans la mesure où il doit tenir les rênes d'un exécutif qui branle dans le manche et dont les ministres sont en proie au doute et à la panique. Selon toute vraisemblance, d'ailleurs, plus aucun d'eux ne croit vraiment à la victoire, et tous anticipent une débâcle en juin 2017. Il reste peu de soutiens à Hollande dans ce contexte. En dehors de Ségolène Royal, qui pourrait être le joker du PS pour la campagne de la présidentielle, on doit pouvoir les compter sur les doigts d'une main. En dehors d'elle, de Le Drian et de Jouyet, on voit mal qui peut encore soutenir sa candidature. Il faut donc s'attendre à une désintégration assez rapide de l'exécutif dans les mois à venir, et à une perte globale d'autorité du président et du Premier ministre, divisés sur l'essentiel. Ce chaos sera accru si Hollande ne se présente pas, d'ailleurs. On pourra alors parler de naufrage. 

A deux mois de l'annonce officielle de sa décision de se présenter à sa réélection, François Hollande peut-il encore rebondir ? Qui, dans ses opposants à gauche, vous semble être le grand gagnant de la situation ? 

Jean Petaux :  L’Elysée est rentré en "mode campagne". Avec tout ce que cela signifie, y compris des rivalités internes entre "proches conseillers" et "visiteurs du soir". Le Foll, ancien directeur de cabinet du premier secrétaire du PS Hollande, ministre de l’Agriculture, qui piaffe d’en découdre mais qui ne parle pas à Julien Dray qui est un des plus proches du président ; les deux qui acceptent de se parler par Vincent Feltesse interposé, autre conseiller influent à l’Elysée ; tout cela avec un Gaspard Gantzer réduit au rôle de "Red Adair" (le légendaire pompier des puits de pétrole en feu) pour éteindre, auprès des médias, les incendies allumés par le président lui-même. On peut se relever de tout en politique. Alain Juppé, à sa manière en est la preuve vivante. François Mitterrand, qui devient de plus en plus le modèle d’Alain Juppé confiant dans le "1" de cette semaine qu’il aurait bien adopté la "force tranquille" comme slogan de campagne s’il n’avait déjà servi, en est un autre exemple : 4 ou 5 fois "à terre" dans toute sa vie politique, pour rebondir comme il l’a fait en 1981 et en 1988.

On peut se relever de tout en politique, à une seule condition : avoir du temps. Or François Hollande n’a plus de temps devant lui. Cela signifie que les dernières "sorties de piste" qu’il connait actuellement sont, à moins d’être des sorties définitives et des mises hors course, les toute dernières qu’il peut s’autoriser. Deux chiffres sont là comme des marqueurs forts, tous les deux dans le JDD de ce jour  : 86% des Français ne souhaitent pas que François Hollande se représente ; 73% des Français pensent qu’il sera candidat. Et comme plusieurs sondages montrent aussi que près de 4 Français sur 5 désapprouvent le fait que l’actuel locataire de l’Elysée parle autant aux journalistes (qui sont, rappelons-le, la profession la plus détestée des Français avec… les huissiers de justice.. et les assureurs….), tout concourt à faire de François Hollande un "paria idéal" : il a de mauvaises fréquentations (les journalistes) ; il ne tient pas ses promesses (inverser la courbe du chômage) ; il propose de faire adopter des réformes auxquelles il est personnellement opposé (la déchéance de nationalité)… Son casier judiciaire est totalement vierge (au moins cette question n’est-elle pas aussi prégnante avec lui qu’avec d’autres) mais ses "papiers de gauche" ne sont pas du tous en règle en revanche. Tout cela laisse planer plus qu’un doute sur sa capacité réelle à se représenter… à la primaire socialiste d’abord. Sans parler de la suite.

A qui profitera cette éventuelle défection ? A la gauche de la gauche à Mélenchon. A la droite de la gauche à Macron. Au moins, dans cette hypothèse, les électeurs orphelins de Hollande auront-il à faire à un choix simple : "élench" d’un côté, "acr" de l’autre. Montebourg gagnera peut-être la primaire mais cela ne lui servira à rien. Comment et par quel miracle, des électeurs déçus par l’absence de rigueur du président sortant choisirait-il une personnalité aussi versatile que l’ancien ministre du Redressement productif ?

Eric Verhaeghe : Le rebond de François Hollande paraît de plus en plus compliqué parce que l'intéressé lui-même semble bien décidé à torpiller tout ce qui pourrait concourir à sa réélection. Il se serait contenté de suivre les plans classiques de communication, son cas serait à coup sûr moins désespéré. Toute la question est désormais de savoir si Mélenchon constitue une alternative crédible à ce désastre qui plombera tout le PS. Par la disgrâce dont Hollande, le capitaine de pédalo, l'a frappé au cours du quinquennat, Mélenchon peut avancer aujourd'hui avec les "mains propres" face à ses électeurs. Il ne peut pas être soupçonné d'être complice du désastre hollandais. Sur ce point, les trois ou quatre prochains mois vont décanter la situation et permettre de mesurer si oui ou non Mélenchon va récupérer les voix perdues par le président sortant. 

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