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Piketty ou quand un oint du seigneur se prend les pieds dans le tapis
©Reuters

Bonnes feuilles

Après avoir servi de bouc émissaire à la crise de 2008, le libéralisme, désormais réhabilité, tient lieu d’étalon de valeur entre candidats aux primaires de la droite. Pour analyser l’origine du libéralisme et sa véritable nature, Charles Gave, dans une série de billets d’humeur, revient ici sur les grands principes à l’origine de cette branche du Droit ainsi que sur les réalités économiques auxquelles la France de demain sera inéluctablement confrontées. Extrait de "Sire, surtout ne faites rien !" de Charles Gave, aux éditions Jean-Cyrille Godefroy 1/2

Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

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11 mai 2014 : Un esprit non seulement faux mais confus, et donc un vrai OdS

Thomas Sowell, le grand économiste américain, est à l’origine de cette appellation « oint du Seigneur » dont je me suis souvent servi dans le passé. Les oints du Seigneur sont ces intellectuels que personne n’a jamais élu mais qui ont des idées très arrêtées sur la façon dont l’économie devrait être gérée au bénéfice des damnés de la terre dont ils sont bien sûr les seuls à avoir les intérêts à cœur (nous disent-ils). Leur raisonnement se déroule toujours en trois phases, selon Sowell.

1. Ils commencent par identifier un problème qui peut être réel ou ne pas l’être, peu importe. Ce problème a toujours comme origine commune un « dysfonctionnement » du marché. Comme tout individu normal le sait, la caractéristique du marché est qu’il ne fonctionne pas.

2. Ils proposent donc une solution, qui bien entendu requiert une forte intervention de l’État, ce qui accroîtra leur pouvoir à eux, puisqu’ils sont les grands prêtres seuls autorisés à présenter les of randes sacrificielles à l’idole « État ».

3. Quand il devient évident que leurs actions ont transformé une situation normale en un vrai désastre, ils expliquent gravement que la catastrophe vient du fait que l’on a appliqué leurs idées beaucoup trop timidement, que la situation eût été bien pire si l’on n’avait rien fait et que d’ailleurs, ils ont un nouveau plan… ce qui nous ramène à la phase 1… Et ainsi de suite (voir l’euro par exemple).

Thomas Piketty est l’un des grands espoirs français de la classe oint du Seigneur (au sens marxiste du terme) et comme toute cette classe, il a ardemment milité pour l’élection de monsieur Hollande à la Présidence de la République. Une fois élu, le bon garçon qu’est monsieur Hollande a suivi à la lettre les conseils de monsieur Piketty et a augmenté massivement les impôts sur le capital (étape numéro 1). Le résultat fut bien entendu un désastre complet (étape numéro 2), et bien entendu monsieur Piketty a sorti un gros livre pour expliquer que si sa politique avait échoué c’était parce qu’elle n’avait pas été assez appliquée et qu’il fallait l’appliquer au monde entier… (voir étape numéro 3 plus haut). Et ce livre est devenu un best-seller. L’extraordinaire dans toute cette af aire est que l’analyse de monsieur Piketty est fondée sur une erreur logique qu’un débutant ne devrait pas faire et que peu de personne à ma connaissance, ont relevé à ce jour.

Sa thèse est la suivante (on s’accroche, ce n’est pas si compliqué) :

Si R représente la rentabilité du capital investi et si G est le taux de croissance de l’économie, comme R > G, les profits croîtront plus vite que les autres revenus, ce qui veut dire que les riches deviendront plus riches et les pauvres plus pauvres. Déjà, voilà qui est idiot. Ce n’est pas parce que les riches deviennent plus riches que les pauvres deviennent plus pauvres. Comme le dit le proverbe chinois, c’est quand les gros maigrissent queles maigres crèvent de faim. Passons sur cette première ânerie, car l’ânerie suivante est d’une amplitude bien plus considérable. Piketty confond à l’évidence la rentabilité sur capital investi et le taux de croissance des profits, ce qui est à peine croyable. Je suis actionnaire dans une boulangerie industrielle dans le Sud-Ouest de la France. Cette af aire a une rentabilité de 20 % sur le capital investi, mais il est hors de question de réinvestir les profits à 20 %. Si nous utilisions les profits pour acheter plus de machines ou embaucher plus de gens, nous ne vendrions pas un pain de plus et notre rentabilité s’écroulerait. En termes simples, cela veut dire que la rentabilité marginale du capital et du travail est négative. Les actionnaires prennent donc les profits et se les distribuent, à charge pour eux de les investir dans des endroits où la rentabilité marginale du capital est plus forte. À l’autre extrême, je peux trouver une société qui aura une rentabilité très faible, mais un taux de croissance de ses bénéfices très élevé (je pense à Amazon ou à Samsung). Toutes les sociétés dans le monde peuvent être « cartographiées » en fonction de ces deux critères : rentabilité immédiate sur capital investi et croissance des bénéfices, mais comme chacun peut le voir, il s’agit de deux notions complètement différentes.

Commençons par la croissance des bénéfices : sur le long terme, la croissance des profits ne peut pas être supérieure à la croissance du PIB, sinon, au bout d’un certain temps, les profits représenteraient 99.99 % du PIB, ce qui est idiot.

Continuons par la rentabilité du capital. Si la rentabilité de ma boulangerie baissait pour se retrouver en dessous du taux de croissance de l’économie, R, je serais obligé de la fermer puisque le capital libéré aurait une rentabilité plus forte si j’achetais une obligation d’État, dont le rendement en général est proche du taux de croissance de l’économie (G). Par construction, TOUTES les activités sans croissance doivent avoir une rentabilité supérieure au taux de croissance de l’économie, sinon elles doivent fermer.

Les deux branches de la démonstration de monsieur Piketty n’ont donc aucun sens économique. Ce cher homme est un ignoramus de la pire espèce, c’est-à-dire un ignoramus pédant. Ce que fait notre « oint du Seigneur », c’est simplement de nous resservir le vieux brouet marxiste de la « paupérisation inéluctable du prolétariat » et de la « loi d’airain des salaires ».

L’histoire des 2 milliards de personnes de la pauvreté la plus absolue à une honnête aisance dans les 20 dernières années montrent à quel point nous ne sommes pas ici dans l’analyse des faits mais dans des incantations de nature religieuse, faisant appel au pire des sept péchés capitaux, l’envie.

Il n’en reste pas moins que Marx avait écrit ce qui a été prouvé comme faux par l’expérience bien avant que Bohm-Bawerk, Von Mises, Jevons, Alfred Marshall, Wicksell, Schumpeter ne publient leurs travaux sur la notion de la rentabilité marginale du capital investi. Ces grands hommes essayaient de répondre à la question suivante : Quel accroissement de la rentabilité suis-je en droit d’attendre si je mets au travail une unité supplé- mentaire de capital ? (Dans le cas de ma boulangerie, la réponse est négative, et donc je n’investis pas). Je plains les élèves de monsieur Piketty tant il semble qu’il n’ait pas compris cette notion alors qu’elle a été mise à jour il y a plus de 100 ans…

La question suivante est bien sûr de se demander pourquoi ce livre entaché d’une erreur aussi grotesque est-il devenu un best-seller ? La réponse nous est fournie par un autre grand économiste et sociologue de la même époque, Wilfredo Pareto. Pour les gens au gouvernement, les théories peuvent se scinder en quatre groupes :

1. Celles qui sont fausses et inutiles

2. Celles qui sont vraies et utiles

3. Celles qui sont vraies et inutiles

4. Celles qui sont fausses et utiles

Les oints du Seigneur définissent l’utilité d’une théorie non pas en fonction des résultats qu’elle va obtenir dans la vraie vie, pour le peuple, mais en fonction d’un autre critère : cette théorie va-t-elle leur permettre d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir ? Par exemple la lutte des classes et le keynésianisme ont toujours amené à des désastres invraisemblables partout où ces théories ont été appliquées, mais elles ont toujours fort bien servi les intérêts de mes chers oints du Seigneur.

Et la théorie de monsieur Piketty, médiocre avatar de celle de la lutte des classes, arrive à point nommé pour redorer le blason de ceux qui ont comme but de voler au lieu de travailler.

Mais qui sont ces oints du Seigneur et d’où viennent-ils ? Schumpeter nous fournit la réponse à cette question. Dans « Capitalisme, Socialisme et Démocratie » ce grand esprit fait l’analyse suivante : Le capitalisme, en autorisant la création destructrice entraîne une immense augmentation du niveau de vie, qui va permettre un développement foudroyant de l’éducation. Un certain nombre des gens nouvellement éduqués ne trouveront pas la place dans la société à laquelle ils aspiraient et en ressentiront un très fort dépit. En suivant les conseils de Gramsci, ils essaieront de prendre le contrôle du système éducatif et de la culture pour enseigner aux jeunes que le capitalisme ne fonctionne pas et qu’il faut le remplacer par le socialisme. Au bout de trente à quarante ans, le système politique tombera comme un fruit mûr dans leurs mains. Ces gens-là, nous dit Schumpeter, arriveront à prendre le contrôle de l’économie en capturant le système politique et nous ramèneront à terme à un système clérical où les grands prêtres géreront la pénurie qu’ils auront créée à leur profit exclusif. Le « projet » socialiste, c’est le retour à l’Égypte des Pharaons.

Que le lecteur me comprenne bien. En aucun cas, je ne suis contre l’éducation, toute ma vie prouve le contraire. En revanche, je suis férocement contre un système éducatif centralisé, car si des forces mauvaises en prennent le contrôle, cela met en cause non seulement notre bien-être et celui de nos enfants et petits-enfants, mais aussi notre liberté individuelle.

C’est exactement ce qui s’est passé en France. Une classe cléricale, mal éduquée, incompétente, a pris le pouvoir dans les milieux éducatifs et culturels il y a cinquante ans et elle mène notre pays à sa perte. Le cœur du cancer qui ronge la France, c’est l’Éducation nationale et le ministère de la Culture.

Et pourquoi cette classe hait-elle à ce point le libéralisme ? Parce qu’elle sait fort bien, nous dit Raymond Boudon, que dans un système libéral, cette cléricature serait payée à sa juste valeur. Piketty, incompétent et de nature jalouse en est une émanation parfaite, et comme tel il est fêté dans le monde entier par ceux qui haïssent la liberté et ils sont nombreux. Rien de nouveau donc, aurait sans doute dit Jean-François Revel, en riant beaucoup pour dissimuler son indignation.

Extrait de "Sire, surtout ne faites rien !" de Charles Gave, publié aux éditions Jean-Cyrille Godefroy, octobre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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