Au Japon, comment les mascottes sont devenues des armes publicitaires (et un métier d'avenir pour les grands timides)<!-- --> | Atlantico.fr
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Au Japon, on crée des mascottes pour tout et n'importe quoi : Kyuta est celle des pompiers de Tokyo.
Au Japon, on crée des mascottes pour tout et n'importe quoi : Kyuta est celle des pompiers de Tokyo.
©Reuters

Trop kawaii !

Le Japon est le pays de la mascotte. Sur l'archipel, rares sont les entreprises ou organismes à ne pas en posséder une. Le phénomène est d'une telle ampleur que le festival qui y est dédié rassemble chaque année plusieurs milliers de figurants. Un business qui peut rapporter gros.

Si un jour vous allez au Japon et que vous vous faites étreindre par deux grosses créatures disproportionnées qui vous regardent fixement de leurs grands yeux béats, ne paniquez pas. Il ne s'agit que de mascottes. Appelées yuru kyara (littéralement "personnages errants"), elles se multiplient au Japon depuis les années 1990. Et cette "mode" ne semble pas faiblir. Toujours plus nombreuses, elles sont devenues les armes publicitaires préférentielles des entreprises. Le journal The Washington Post nous dresse un portrait du phénomène.

Génération kawaii

On le sait : les Japonais, derrière leurs uniformes cintrés et leur société normée, sont très portés sur le kitsch et plus particulièrement l'univers kawaii, c’est-à-dire "mignon". Il n'y a qu'à voir les sortes d'objets que l'on vend sur l'archipel – telle que cette queue en fourrure contrôlable par la pensée – pour s'en rendre compte. Il n'en fallait pas plus pour que les marques ne saisissent l'occasion et profitent de l'engouement pour se cacher derrière des bestioles et personnages aux allures enfantines et réconfortantes qui, à coup sûr, sauront mieux attirer l'attention du consommateur et son opinion positive qu'un simple slogan. Malgré leurs allures infantiles, ces figurines à taille humaine ne sont pas les seules égéries des marques de jouets, sucreries ou autres produits affiliés au domaine de l'enfance. Il est aujourd'hui bien rare qu'une entreprise, association ou organisation n'ait pas de mascotte attitrée. Leur popularité dépasse même parfois les frontières nippones : vous devez sûrement connaître Pikachu, célèbre personnage de Pokémon et mascotte de l'équipe de football japonaise lors de la Coupe du Monde 2014 ; ou bien Hello Kitty, cette mignonne petite chatte au ruban rose noué dans les poils, dont le faciès s'est vu apposer un peu partout, le plus généralement sur les agendas, stylos et autres fournitures scolaires, nous apprend le site OJapon.

C'est simple : selon l'institut d'études Yano, les mascottes brassent chaque année l'équivalent de 17 milliards d'euros. Un business très lucratif en termes de produits dérivés qui inspire. Super Victor, la mascotte utilisée par la France pour accueillir l'Euro 2016, a notamment été utilisée pour augmenter les ventes de produits dérivés. Au Japon, on crée des mascottes pour tout et n'importe quoi : entre autres, on retrouve Kumamon, ours noir et blanc, initialement mascotte de la préfecture de Kumamoto finalement idole nationale ; Melon Kuma, un autre ours, à la tête mi-animale, mi-melon, égérie de la région d'Hokkaidō, célèbre pour sa culture des melons ; même la sinistre prison d'Asahikawa y a droit, avec Kattakuri-chan, mascotte de deux mètres de hauteur au visage enfantin surmontée d'un képi violet.

Autorités dépassées

Mais ce n'est pas tout : les mascottes ne restent pas à l'état de dessins sur la devanture des magasins. De véritables costumes sont créés pour que quiconque puisse se glisser dans la peau de ces créatures. Comme l'indiqueLe Monde, l'euphorie commence même à inquiéter les autorités, puisque le ministère des Finances a ouvertement critiqué l'ampleur des investissements en yuru kyara réalisés par les services publics. En effet, la confection du costume et la rémunération des personnes qui l'endossent a un coût. Pour exemple, la ville d'Osaka a dû se séparer de certaines de ses 92 mascottes créées pour populariser les services fiscaux. De son côté, la commune de Rumoi située sur l'île d'Hokkaidō a été invitée à diviser le nombre de ses mascottes par huit, alors que l'on comptait une mascotte pour 6 500 habitants (la ville comptait plus de 26 000 habitants en 2008). Ce qui n'a pas empêché leur nombre de continuer d'augmenter à travers tout le pays. Chaque année, un festival y est même dédié : lors de l'édition 2015, un nouveau record a été battu, avec 1 727 mascottes venues prétendre au titre.

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En mascotte, fais ce qu'il te plaît

Outre les très certaines odeurs de transpiration que l'on doit retrouver une fois à l'intérieur de ces costumes, certains se complaisent bien dans ces enveloppes impersonnelles qui font barrière entre eux et le monde extérieur. En témoigne Michiyuki Arano, mascotte interrogée par The Washington Post : "Au moment où tu enfiles le costume, tu deviens quelqu'un d'autre. Un cochon ou un écureuil… Et tu vois les personnes réagir en te voyant". "Je trouve cela vraiment plaisant", ajoute Shinji Kumamoto, une autre mascotte. "Je peux sauter, danser dans les rues, faire des choses qu'on ne peut pas faire normalement dans la vie de tous les jours. Je peux sortir de ma coquille". Et une troisième mascotte, Yuko Mura, de renchérir : "D'habitude, quand tu marches dans la rue, personne ne vient t'aborder et te parler. Mais si tu es un personnage, les gens aux alentours – même les adultes – viendront discuter avec toi et te taper dans la main".

Ces trois personnes, mascottes à leurs heures perdues, sont inscrites dans une drôle d'école, où l'on apprend à devenir mascotte. Se mouvoir comme elles, savoir s'économiser afin de ne pas finir par succomber à la chaleur, pouvoir mimer des émotions… La suite en images,

Mais une fois le masque tombé, les trois interlocuteurs interrogés se montrent brusquement bien plus timides, remarqueThe Washington Post."Je ne souhaite pas être interviewée", décide l'une de ces apprentis, de bien meilleur poil dans son costume de renard tout juste quitté. De quoi considérer le rôle que joue l'industrie des mascottes dans la société nippone, où l'individualisme a souvent mené vers un manque de sociabilité entre les individus – qui se caractérise notamment par un très faible taux de fécondité et des premiers rapports sexuels tardifs. Et si ces mascottes étaient en quelque sorte une thérapie pour tous ces Japonais et Japonaises en manque d'allant, de confiance en eux ? C'est en tout cas l'avis d'Akihiko Inuyama, auteur d'un livre sur le sujet : "Certaines personnes aiment incarner des mascottes car cela leur permet de s'échapper de leur vie ordinaire. Ils peuvent alors se détacher de la société et présenter un autre visage de leur personnalité. Dans la vie de tous les jours, les  passants ne s'arrêtent pas pour vous admirer. Mais avec une mascotte sur la tête, vous devenez populaire en un instant". Et le petit plus ? Une journée de travail en costume est rémunérée en moyenne à hauteur de 89 euros. Pas mal, non ?

Mais pourquoi au juste, les mascottes sont-elles si populaires ? L'expert a la réponse : "Les personnes réagissent avec les mascottes comme elles le feraient avec un animal. Les mascottes sont considérées comme des animaux. Elles gardent le silence, comme eux, et acceptent l'amour qu'on leur donne. Il n'y a pas besoin d'appréhender la confrontation avec elles, car elles vous acceptent tout simplement. Elles vous serrent la main, vous enlacent. Leur existence vous fait vous sentir pleinement accepté dans la société".

Le Japon est, et devrait rester de longues années encore, un pays à part.

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