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Comment l’échec cinglant du CICE révèle l’obsession française pour le faux problème du coût du travail
©Reuters

Dans le mur

Alors que la compétitivité ne concerne que les quelques entreprises en France soumises à la concurrence internationale, elle occupe l'esprit des politiques et les pousse à ne voir l'économie française qu'au travers d'une fenêtre incomplète.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : Le 22 septembre dernier, France Stratégie a dévoilé son rapport sur le CICE et ses effets sur l'emploi, la compétitivité, l'investissement et les marges, avec des résultats pour le moins insatisfaisants en comparaison avec les objectifs affichés. Faut-il mettre en cause la stratégie-même de ce dispositif, à savoir la baisse du coût du travail, ou s'agit-il plus d'un problème de conception du mécanisme, spécifique au CICE ? Comment expliquer la faiblesse des résultats obtenus malgré un total de 28,4 milliards d'euros engagés dans ce dispositif pour les années 2013 et 2014 ?

Alexandre Delaigue : Rappelons d'abord qu'il est très rare, en économie, qu'un consensus total existe. Pour autant, le moins que l'on puisse dire c'est que l'annonce du CICE n'a pas soulevé un quelconque enthousiasme dans l'ensemble de la communauté d'experts économiques travaillant sur ces questions. À gauche, on rencontrait des critiques typiques, basée sur la non-utilité d'un tel processus qui favorisait les entreprises au détriment des employés et ne génèrerait pas d'embauches. À droite, où les gens sont d'une manière générale assez favorable à la baisse du coût du travail, on dénonçait davantage une usine à gaz. Au final, peu importe les raisons invoquées, il y avait vraiment peu d'experts qui se disaient favorables à sa mise en place.

Par conséquent, il n'est pas tout à fait surprenant que les résultats du CICE soient médiocres, décevants.

Il me semble important de rappeler que sur la thématique du coût du travail, au-delà de toute forme de débat, nous avons déjà beaucoup fait en matière d'allègement de cotisations sociales. Il est, bien sûr, possible de discuter de l'efficacité de ce qui a été réalisé jusqu'à présent, mais il apparaît que nous avons fait le maximum de ce qui était à notre portée. Le gain que nous pourrions désormais retirer de ce genre de politiques, quel que soit le dispositif mis en place, commence à être assez limité. Nous avons fait le tour de cette stratégie de baisse des coûts du travail.

De nombreux économistes du travail estiment qu'il est encore possible d'obtenir des résultats sur l'emploi en focalisant ces mesures sur le coût du travail des bas salaires. C'est notamment la position de Pierre Cahuc, et d'autres. Il s'agit effectivement d'une possibilité et cela peut avoir un effet sur l'emploi. Cependant, puisque cela ne touchera, par définition, que les bas salaires et pas les autres, là encore l'effet sur l'emploi ne saurait être mirobolant. Encore une fois, on arrive aujourd'hui à la fin du dispositif.

Rappelons aussi que quand le CICE a été mis en place, il constituait une certaine reconnaissance de cet état de fait. Il a, en effet, été fait de façon très brouillonne à la suite de la forte hausse de la fiscalité qui a eu lieu en 2012 et a généré de nombreuses réactions négatives. En un sens, il s'agissait de dire aux dirigeants d'entreprises "ce que je vous prends d'une main, je vous le rends de l'autre". Ce n'est pas pour autant que le CICE est apparu comme capable de créer de l'espoir. Cela n'a jamais été autre chose qu'un bricolage.

Plus largement, une meilleure "compétitivité" des entreprises passe-t-elle nécessairement par la baisse du coût du travail ? Si non, comment expliquer l'acharnement politique à vouloir passer par cette méthode ? Qui profite de cette situation ? 

La question, importante, que cela soulève, c'est celle-ci : est-ce qu'on a véritablement besoin d'une meilleure compétitivité pour nos entreprises ? Concrètement, c'est se centrer sur le très petit nombre d'entreprises qui font l'objet de la concurrence internationale et qui regroupent essentiellement de grands groupes. C'est voir l'économie française par une toute petite fenêtre. Cette obsession des politiques est souvent dénoncée par les économistes, et pour cause : l'essentiel de l'économie de notre pays n'est pas concerné.

Néanmoins, s'il faut rester concentré sur cette toute petite fenêtre que constituent les entreprises concernées par l'échange international, il est important de faire un point sur la notion de compétitivité. Il existe deux types de compétitivité, l'une repose sur la qualité du produit, l'autre sur son coût. Fondamentalement, il s'agit soit de faire aussi bien que les autres – ou un peu moins bien – pour un tarif moins conséquent ; soit de faire mieux sans se préoccuper de ce que cela va coûter. On peut résumer ces deux lignes en comparant l'offre d'une Dacia à celle d'une Mercedes. D'un côté, la Dacia rend le même service qu'une autre voiture, est opérationnelle et ne coûte pas très cher (ce qui relève d'un vrai savoir-faire), de l'autre, la Mercedes est d'une meilleure qualité, dispose de davantage de fonctions et revient à un prix d'achat plus élevé.

Quand on souhaite développer sa compétitivité, il faut choisir l'un de ces deux axes. En France, et cela fait désormais trente ans que cela dure, on cherche à se baser sur le modèle de compétitivité à l'allemande, ce qui signifierait monter en gamme. Cela permettrait la hausse des salaires, de soutenir notre système social, entre autres. Cependant, en parallèle, on mène des politiques de baisse du coût du travail, pour aider des entreprises qui ne parviennent pas à aligner leur compétitivité sur celle des entreprises allemandes. Or, en incitant sans arrêt à la baisse du coût du travail, on ne permet pas la mise en place d'une compétitivité qualitative. Par conséquent, pour répondre aux difficultés des entreprises, on met de nouveau en place des politiques de baisse de coût du travail… et ce cycle infernal, dont on ne parvient pas à sortir, se poursuit depuis 30 ans. Le CICE en est le dernier avatar en date.

Ce qui a poussé le gouvernement à mettre en place une solution comme le CICE, c'est clairement le court-termisme : il s'agissait de donner des subventions aux dirigeants d'entreprises, pour qu'ils cessent de râler. C'est une solution rapide et immédiate qui visait avant tout à éteindre les plaintes émises par les patrons. Le temps du politique pousse invariablement à ce genre de réponse. Cependant, la deuxième raison qui pousse à ce type de réponse est moins négative et relève des effets positifs passés de tels dispositifs. Cela ne fonctionne plus véritablement aujourd'hui, mais nous avons tout de même gardé quelques réflexes.

Dès lors, quels sont les moyens à disposition des pouvoirs publics pour créer un climat favorable à l'embauche, à l'investissement, etc. ? Quels sont les dispositifs les plus efficaces ?

Difficile à dire. Si je le savais, je serais président de la République depuis un moment déjà. Cependant, il est difficile de ne pas constater que l'ensemble des pays du monde rencontrent le même genre de difficultés à relancer la croissance économique. On cherche encore le pays modèle qui aura su endiguer le ralentissement de son économie et cela souligne qu'il n'y a très probablement pas de réponse politique miraculeuse à cette situation. Tous ceux qui prétendent savoir sont des menteurs, ou se bercent d'illusions.

Cela ne signifie évidemment pas que nous ne puissions rien faire. Beaucoup de questions, sur l'environnement réglementaire des entreprises, pourraient être soulevées. En France, le climat économique n'est pas le plus favorable à l'embauche, notamment du fait de la très lourde orientation de nos institutions à préserver l'existant, bien plus qu'à la construction de l'avenir. De manière systématique, dès que quelque chose de nouveau apparaît, on assiste à un discours sur les effets négatifs, à un cynisme désabusé ou à une opposition générale. C'est quelque chose qui se traduit notamment dans les réglementations… Aujourd'hui, on se pose beaucoup plus la question de la mort de la presse que celle de la reconstruction et de la réorganisation d'un nouveau monde de la presse. Nous manquons clairement d'enthousiasme pour ce qui est neuf et permet pourtant la croissance. Si à cette équation on ajoute des politiques publiques très malthusiennes, qui ne vont donc pas dans le sens de l'investissement public, tout cela met en place une attitude générale peu propice à la croissance.

Propos recueillis par Vincent Nahan

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