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Président de la République, un homme seul en son palais et surtout seul face aux critiques (et les plus acerbes viennent de son camp)
©Rémi Mathis / CC BY-SA 3.0

Bonnes feuilles

Pourquoi désavouons-nous si vite le candidat que nous avons élu quand il devient président ? Et, finalement, pourquoi choisissons-nous si mal nos présidents de la République ? De Giscard à Hollande, ils sont seuls à prendre certaines décisions concernant l’avenir du pays, seuls à affronter les grandes crises, à porter le deuil d’une nation face au terrorisme. Ils sont constamment épiés par leurs rivaux, leurs dauphins, leurs faux-amis, la presse ou leurs alliés maladroits.Extrait de "Seul en son palais", de Marie-Eve Malouines, aux éditions Stock 2/2

Marie-Eve Malouines

Marie-Eve Malouines

Marie-Eve Malouines a dirigé le service politique de France Info avant de prendre la présidence de la Chaîne parlementaire-Assemblée nationale en 2015. Elle a publié plusieurs livres politiques dont La Madone et leCulbuto (avec Carl Meeus, Fayard, 2006), Nicolas Sarkozy, le pouvoir et la peur (Stock, 2010), et François Hollande ou la Force du gentil (JC Lattès, 2012).

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Les présidents rechignent à l’admettre, mais, avant de s’installer dans le bureau présidentiel, ils n’imaginaient pas essuyer autant de critiques venues des leurs. Ils sont surpris, voire blessés, mais se reprennent toujours assez vite. Ils savent que personne ne les plaindra.

Nicolas Sarkozy confie cependant avoir été usé par cette pression constante. « J’ai fini épuisé physiquement et mentalement », reconnaît l’ancien président de la République, formulant ainsi un aveu dont il n’est pas coutumier. Il en a gros sur le cœur. « Ce n’est pas tant le travail qui fatigue, pas davantage les responsabilités, mais plus sûrement la déferlante incessante des attaques, des critiques, des cruautés petites et grandes qui finissent par user les tempéraments les plus aguerris. »

Dans le viseur de Nicolas Sarkozy, la presse sans doute, mais aussi ses vrais et faux amis qui alimentent cette dernière en confidences et petites phrases cruelles. Il est vrai que, en 2007, les parlementaires UMP n’apprécient guère l’ouverture pratiquée par le président qui fait cadeau de ministères et secrétariats d’État enviés à des personnalités représentatives de la gauche. Un ancien ministre de François Mitterrand, Bernard Kouchner, est nommé aux Affaires étrangères, le socialiste Éric Besson à la Prospective et l’Évaluation des politiques publiques, l’ami de François Hollande, Jean-Pierre Jouyet aux Affaires européennes, Fadela Amara ex-présidente de l’association Ni putes ni soumises à la Politique de Ville, l’ancien socialiste Jean-Marie Bockel à la Coopération et la Francophonie. « L’œcuménisme a ses limites, souvent les courants d’air proviennent de ce qu’il y a trop d’ouverture », proteste le président du groupe UMP au Sénat Josselin de Rohan. En fin de mandat, Nicolas Sarkozy sera accusé de mener une politique trop à droite.

Exercer son mandat sous les feux des critiques internes fait partie du jeu. Les présidents le savent et s’en consolent toujours de la même façon, grâce au vieil adage : « Nécessité fait loi. » Quel que soit le camp du président, l’Élysée se tranquillise en se persuadant que, à l’approche des élections législatives, les ardeurs belliqueuses internes se calmeront d’ellesmêmes. Les députés et le président de la République sont sur le même bateau. Il est impossible aux députés de se dissocier du bilan de leur président.

Il aura fallu de très longues années et l’apparition de très jeunes visages pour que les socialistes ne soient plus assimilés aux septennats de Fran- çois Mitterrand dont le dernier a pris fin il y a plus de vingt ans. Cette conviction selon laquelle les candidats députés auront besoin du président de la République sortant s’appuie sur le calendrier électoral tel qu’il est organisé depuis 2002. Le raccourcissement du mandat présidentiel à cinq ans et l’inversion du calendrier électoral, dont le résultat est que les législatives sont organisées quelques semaines après la présidentielle, font croire que la couleur politique du président élu détermine celle qui constituera la majorité désignée dans la foulée à l’Assemblée nationale. Les députés « devraient » leur élection à celle du président. C’est ce dont était convaincu Nicolas Sarkozy. C’est ce que pense toujours l’Élysée. À l’approche d’une nouvelle élection présidentielle, les députés mettront une sourdine à leurs critiques pour affronter les ennemis extérieurs.

Mais de président en président, cette règle a tendance à s’émousser. Les partis politiques ne sont plus régis par l’autorité de leur leader. À la fin du mandat de Jacques Chirac, Alain Juppé a beau tenir les rênes de l’UMP, les candidats députés clignent de l’œil vers Nicolas Sarkozy. À la fin du mandat du même Nicolas Sarkozy, sa majorité prend beaucoup de temps pour se replacer dans le giron présidentiel.

Quant à son rival socialiste, François Hollande, il a beau avoir été désigné candidat par le vote des militants et des sympathisants, le PS demeure aux mains de sa rivale Martine Aubry. C’est elle qui a mené l’essentiel des négociations avec les Verts, et qui a donné son imprimatur au choix des candidats aux législatives. Une partie des « frondeurs » lui doit leur investiture, bien plus qu’à François Hollande. Ceux-là en restent convaincus, l’échec présidentiel ne sera pas le leur. Au contraire, leur salut passe par une prise de distance bien marquée et visible d’avec le pouvoir présidentiel.

Or la façon la plus logique de se distinguer de la hauteur élyséenne est de revendiquer sa proximité avec le terrain. Plus le président apparaît prisonnier de sa solitude élyséenne, plus il semble lointain, et plus les députés s’accrochent à l’immédiat et se font les porte-parole des mécontents. Ils dessinent leurs autoportraits a contrario de celui du président. Plus ils se disent « proches des préoccupations des gens » pour contester la politique pré- sidentielle, et plus le président apparaît solitaire et déconnecté.

Pour lutter contre cette image et pour entendre lui aussi « les préoccupations des gens », le chef de l’État doit sortir de son palais pour rencontrer le peuple. Mais il n’a plus de circo où il sait décoder le moindre froncement de sourcils, la remarque faussement humoristique et la vraie déception. Ses services lui organisent donc des sorties hors les murs. De Jacques Chirac à Nicolas Sarkozy puis François Hollande, ils effectuent tous ces « visites de terrain à la rencontre des Français ». L’objectif est double : le président nourrit sa propre connaissance de l’état du pays, les médias créent l’image d’un président moins solitaire, plus « proche des gens », moins engoncé dans sa fonction.

Néanmoins, les médias ne sont pas dupes. Ils décryptent la gestuelle présidentielle. L’opération n’est pas examinée au regard de son contenu mais en fonction de la grille d’analyse de la communication. Le remède est souvent pire que le mal. Pour ne pas prendre le risque d’un incident qui parasiterait le message présidentiel ou abîmerait la fonction, ces visites sont placées sous haute protection. Les services de sécurité sont omnipré- sents. La spontanéité y est rare. Non seulement le président de la République reste lointain, mais il semble manquer d’authenticité. Dans le même temps, les parlementaires usent d’un vocabulaire de moins en moins respectueux en se dissociant de plus en plus du chef de l’État. Désormais candidat à la primaire de la gauche, en juin  2016, le socialiste Gérard Filoche résume sa pensée quant à la confiance qu’il lui accorde : « Même une chèvre gagnerait contre François Hollande. »

Extrait de "Seul en son palais", de Marie-Eve Malouines, publié aux éditions Stock, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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