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Quand la France vacille : de l'union face à la barbarie en janvier 2015 aux questions suscitées par les attaques de novembre 2015 auxquelles François Hollande n'a pas su répondre
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Bonnes feuilles

Pourquoi désavouons-nous si vite le candidat que nous avons élu quand il devient président ? Et, finalement, pourquoi choisissons-nous si mal nos présidents de la République ? De Giscard à Hollande, ils sont seuls à prendre certaines décisions concernant l’avenir du pays, seuls à affronter les grandes crises, à porter le deuil d’une nation face au terrorisme. Ils sont constamment épiés par leurs rivaux, leurs dauphins, leurs faux-amis, la presse ou leurs alliés maladroits.Extrait de "Seul en son palais", de Marie-Eve Malouines, aux éditions Stock 1/2

Marie-Eve Malouines

Marie-Eve Malouines

Marie-Eve Malouines a dirigé le service politique de France Info avant de prendre la présidence de la Chaîne parlementaire-Assemblée nationale en 2015. Elle a publié plusieurs livres politiques dont La Madone et leCulbuto (avec Carl Meeus, Fayard, 2006), Nicolas Sarkozy, le pouvoir et la peur (Stock, 2010), et François Hollande ou la Force du gentil (JC Lattès, 2012).

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"Bravo, hein !" jette un homme depuis une fenêtre en étage. 

Le groupe d’officiels lève la tête. Au-dessus d’eux, l’homme les apostrophe, tandis que, dans la rue, ils croisent ces "grappes humaines" de blessés silencieux. D’autres propos se bousculent dans la bouche venue d’en haut. Ils accusent plus directement une communauté. Ils tiennent les coupables ! Ils opposent une religion à la communauté nationale. Ils portent la volonté d’en découdre, de faire justice soi-même, puisqu’"ils" ne l’ont pas fait. 

"Bravo, hein ! Vous avez compris maintenant ?!"

Le petit groupe ne réagit pas, mais il entend. Le président de la République, le chef du gouvernement, le ministre de l’Intérieur, le président de l’Assemblée nationale, la maire de Paris.

Le temps a passé, mais François Hollande entend encore cette voix pour ce qu’elle disait de l’état du pays. La peur s’y mêle à la rancœur. La douleur à la colère. L’anéantissement côtoie l’impuissance. Les sentiments contradictoires s’affrontent, se mêlent et s’enflamment. Le président se souvient de cet instant, l’homme néglige sa réaction face à des propos excessifs et injustes, il adopte les mots d’un responsable politique en exercice : "Je comprends cette interpellation, alors que le drame est si proche. Et que le souvenir du mois de janvier hante les esprits. Je m’interroge sur ce qui peut nous être éventuellement reproché alors que nous avons déjoué de nombreux projets d’attentats1 ."

La France était belle le 11 janvier 2015. Face à la barbarie, la haine, l’antisémitisme et la volonté de détruire ses valeurs, elle avait réagi par un sursaut républicain d’une ampleur inattendue. À Paris bien sûr, mais aussi partout en France, les rues avaient été envahies par une foule de tous âges, de tous horizons, unie par la volonté de clamer son attachement aux valeurs tricolores : Liberté, Égalité, Fraternité. Cette foule disait sa fierté, et sa confiance dans ses repères républicains. Elle refusait d’avoir peur.

Mais le 13 novembre, rue Oberkampf, François Hollande sent que l’effroi a pris le dessus. La France vacille. Prête à basculer.

Il n’y a pas que les mots de cet homme penché à sa fenêtre. Il reçoit également des sms. En arrivant à l’Élysée, le président a refusé d’abandonner son téléphone. Il veut garder le numéro que connaissent les militants, les amis, tous ceux qu’il a croisés au cours de sa carrière. Il est moqué pour cela. Un chef de l’État qui conserve le même numéro de téléphone, ce n’est pas sérieux. "On vous sonne, et vous répondez ?" s’étonnait bourgeoisement Sacha Guitry au siècle dernier quand l’arrivée du téléphone filaire transforma l’usage de la sonnette. Le général de Gaulle avait remisé l’instrument sous l’escalier à La Boisserie. Nicolas Sarkozy et François Hollande appartiennent à une autre génération. Avoir le "06" d’une personnalité, pouvoir la joindre sans le filtre du secrétariat marque une relation privilégiée. Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac appréciaient de pouvoir joindre librement leurs interlocuteurs. François Hollande veut conserver la liberté d’être appelé au téléphone. Le 13 novembre 2015, les sms lui donnent une idée de l’opinion dont il est en train de prendre la mesure. Il y aura des réunions avec ses ministres, son cabinet, ses conseillers, mais les petits textos rédigés par des amis, des élus, des militants seront autant de petits cailloux menant au discours qu’il prononcera devant le Congrès réuni à Versailles, quelques jours plus tard.

"Je reçois beaucoup de sms, de compassion mais aussi d’autres qui nous demandent d’être implacables et impitoyables, analyse le président, qui compare ces messages avec ceux du début de l’année. Ce n’est pas la même réaction qu’en janvier, poursuit-il. Là, je sens que l’on parle de guerre. Le mot a été contesté, mais c’est de cela qu’il s’agit. Les Français ont le sentiment d’avoir été attaqués sur leur propre sol."

C’est ainsi que le président de la République appréhende l’état d’esprit du pays dans un premier temps. Viendront ensuite les notes des conseillers, les analyses des ministres, mais dans l’immédiat, ce qui oriente sa réflexion, ce sont ces images, ces regards, ces propos qui explosent du bord d’une fenêtre rue Oberkampf, ces sms envoyés comme un réflexe au premier responsable du pays, sans aucun filtre. À partir de ces interpellations désordonnées, il dresse son diagnostic.

"Certains peuvent réclamer vengeance ou appeler à des actes inconsidérés. Il est donc important alors de montrer que nous serons impitoyables et que l’État de droit sera renforcé."

Les terroristes sont peut-être en train d’atteindre leur but : nourrir une xénophobie braquée sur une religion afin d’assimiler l’islam aux islamistes, et diviser durablement le pays en vue de son implosion.

La France est au bord du gouffre. La suite n’est pas difficile à imaginer. Soupçon généralisé. Incidents. Justice privée. Escalade. Milices privées. Communautarisme exacerbé. Manifestations spontanées. Dérapages. Lynchages. Récupérations en tous genres. Manipulations. Déstabilisation du régime. Dislocation de la nation. Chaos.

"Bravo, hein !"

Les deux mots résument toute la diatribe de l’homme au balcon. Bien sûr, François Hollande est heurté par le propos, mais il entend un autre message à travers lui. L’accusation révèle une incompréhension de la politique qu’il a menée depuis le début de son mandat. L’intervention au Mali qui a bloqué la progression des terroristes, sa volonté de frapper en Syrie empêchée par les Américains avant que Daech prenne le dessus. Sa détermination à ne pas laisser s’installer l’amalgame entre terroristes et musulmans. Pourquoi tout cela n’at-il pas été compris ?

1. Toutes les citations de François Hollande dans ce chapitre sont tirées d’un entretien avec l’auteur daté du 12 mai 2016.

Extrait de "Seul en son palais", de Marie-Eve Malouines, publié aux éditions Stock, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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