Mais au-delà de tuer Nicolas Sarkozy, quel objectif politique pour Patrick Buisson aujourd'hui ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour Patrick Buisson, la question des questions, la seule qui vaille, c’est l’avenir de la civilisation.
Pour Patrick Buisson, la question des questions, la seule qui vaille, c’est l’avenir de la civilisation.
©Reuters

Billard à 66 bandes

Si l'homme est connu pour son esprit d'analyse, il l'est aussi pour sa capacité à être dans l'action.

Bruno Larebière

Bruno Larebière

Journaliste indépendant, spécialisé dans l’étude des droites françaises, Bruno Larebière a été durant dix ans rédacteur en chef de l’hebdomadaire Minute. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Jean-Paul II (éd. Chronique, 1998) et De Gaulle (éd. Chronique).

Il prépare actuellement un ouvrage sur Les Droites françaises vues de droite (parution 2017).

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Atlantico : Patrick Buisson a publié jeudi 29 novembre son dernier ouvrage, La cause du peuple. Il s'en prend notamment à Nicolas Sarkozy, qu'il considère comme trompeur quant à son discours politique. Mais au-delà, quel est l'objectif de son ancien conseiller ? Patrick Buisson a montré à plusieurs reprises qu'il était autant un homme d'analyse que d'action... A quel projet plus global ce livre peut-il répondre ?

Bruno Larebière : Le livre de Patrick Buisson fait 464 pages et elles ne se lisent pas comme on survole un journal people en prenant son petit-déjeuner. Hormis quelques rares privilégiés, personne ne l’a lu avant sa sortie. Or, tout le monde le commente déjà ! Cela fait partie de notre société de l’immédiateté et de la superficialité que dénonce, entre autres, Patrick Buisson, où l’important serait d’avoir un avis sur tout, à commencer par ce qu’on ne connaît pas, parce que demain, il faudra parler d’autre chose, que l’on n’aura pas plus pris le temps d’étudier, et ainsi de suite. Nous ne connaissons de son livre, moi inclus, que des brides, considérées comme les plus savoureuses, ce qui ne veut pas dire que ce sont les plus importantes.

Pour avoir commencé à parcourir cet ouvrage, que je veux prendre le temps de lire et d’analyser en sa totalité avant de le commenter, je peux même vous dire que c’est l’inverse : le livre de Patrick Buisson n’est pas l'un des produits périssables faits d’anecdotes distrayantes oubliées sitôt lues car chassées par une nouvelle production éditoriale.

C’est un livre d’idées politiques. C’est un livre de refondation de la droite française sur des idées, dans l’optique d’une refondation de la France. C’est un livre où l’anecdote, dont on se repait ces jours-ci, a pour but principal si ce n’est unique d’éclairer une pensée générale sur l’état de la classe politique française – et tout particulièrement sur ceux qui se réclament de la droite ou y sont classés –, et, au-delà, sur l’état de la France.

C’est aussi un livre en totale rupture avec ce qui tient actuellement lieu de pensée : là, on passe enfin aux choses sérieuses ! On sera d’accord ou pas, mais au moins on pourra, si on accepte d’en faire l’effort, engager le débat sur les questions fondamentales, en constatant que pour l’heure, elles ne sont jamais débattues.

Pour Patrick Buisson, la question des questions, la seule qui vaille, c’est l’avenir de la civilisation. Il l’a dit mercredi soir sur France 2, et ce fut son propos majeur : il faut une "politique de civilisation" pour redresser la France, politique qui n’est selon lui proposée par aucun des prétendants à la présidence de la République, et c’est cela qu’il propose. Voilà à quel "projet plus global" ce livre entend répondre.

Patrick Buisson est souvent décrit comme un maurrassien. Quelle France pourrait le satisfaire ?

Il faut comprendre que la réflexion de Patrick Buisson – et l’homme lui-même – s’inscrit dans le temps long. Son ouvrage s’inscrit dans la continuité de toute son action. Il est le fruit d’une longue réflexion, il s’appuie sur une culture monumentale – on peut au moins lui reconnaître cela – et son livre est destiné à infuser dans la société.

Dans la vieille classification de René Rémond, Patrick Buisson relève assurément de la "droite légitimiste". Ses références sont effectivement, et entre autres, Charles Maurras, Charles Péguy, Léon Bloy ou Georges Bernanos. Patrick Buisson vomit cette droite libérale, cette droite bourgeoise qui s’est accaparée la France, au détriment de son peuple, au détour de la Révolution française. Une phrase de Bernanos lui convient assez bien et donne une clé de compréhension du personnage : "Je ne voudrais pas mourir sans faire ronfler ma fronde aux naseaux morveux du bœuf gras de la droite".

La France de Patrick Buisson, c’est une France qui aurait renoué avec son âme, une France qui aurait renoué avec elle-même donc, et qui se serait délivrée – dans la perspective qui est la sienne, le mot de "délivrance" ne me paraît pas trop fort – de ce qu’on appelle les "valeurs républicaines", considérées comme un corset artificiel et incapacitant dans lequel la France a été enfermée.

Selon vous, Patrick Buisson dispose-t-il de suffisamment de soutiens pour promouvoir ses idées et son projet ?

Vous me demandez en quelque sorte : Patrick Buisson, combien de divisions ? Vous voudrez bien excuser ma réponse abrupte : ce n’est pas la question ! A-t-on jamais demandé à Karl Marx, lorsqu’il a publié Le Capital, s’il disposait des moyens humains et matériels pour assurer la propagation de sa pensée et sa postérité ?

Evidemment, les idées conceptualisées par Patrick Buisson ne seront pas portées au pouvoir l’an prochain lors d’une élection présidentielle sur laquelle il a lui-même déjà fait l’impasse. Encore une fois : sous la double pression des ambitions politiques personnelles et des impératifs médiatiques, nous sommes de plus en plus conduits à mesurer la validité et la viabilité des idées en fonction de leur succès immédiat, c’est-à-dire de leur rentabilité sur le très court terme. Elles n’ont pas été rentables, donc elles n’étaient pas bonnes ! Comme si un corpus idéologique devait être "bankable" !

A rebours de ce que je viens de dire, je note cependant que Patrick Buisson a gagné l’élection présidentielle de 2007 par Nicolas Sarkozy interposé sur une déclinaison, mineure et politicienne certes mais bien réelle, de son corpus idéologique, et que c’est la personnalité de Nicolas Sarkozy qui a empêché sa traduction en actes, alors que le peuple français, à 53% de son corps électoral, l’avait validé.

Je note aussi que les auteurs des plus grands succès éditoriaux de ces dernières années ont pour nom Eric Zemmour et Philippe de Villiers – lequel s’apprête à publier un nouvel ouvrage – et que tous deux remplissent des salles enthousiastes sur des thèmes qui relèvent de la "politique de civilisation" que Patrick Buisson appelle de ses vœux, preuve que ces idées font plus qu’infuser, elles bouillonnent.

"Nous sommes en 1958 et il n’y a pas de Gaulle", dit à peu près Patrick Buisson, et c’est tout le problème de l’incarnation des idées politiques qui est posé, et c’est peut-être là aussi que son propos trouve sa limite. Depuis l’instauration de l’élection du président de la République au suffrage universel direct, en 1962, on en revient toujours à la même question : qui ? Qui pour incarner telles idées ? Qui pour "sauver la France" ? Qui pour "guider le peuple" ? Il n’y aurait de salut que dans la verticalité.

La conjonction des institutions de la Ve République et de la demande autoritaire exprimée par le peuple français à travers tous les sondages peut faire émerger le leader espéré. Elle peut aussi conduire à de très regrettables malentendus…

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