Cette biologiste qui espère régler le problème de prolifération des rats... sans en tuer un seul<!-- --> | Atlantico.fr
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Les rats ne mesurent pas plus de 50 centimètres, la queue y compris. Ils ne sont pas aveugles non plus, ne portent pas la rage, ne sont pas gouvernés par des rois, ne peuvent pas passer par des petits trous, et ne sont pas indestructibles.
Les rats ne mesurent pas plus de 50 centimètres, la queue y compris. Ils ne sont pas aveugles non plus, ne portent pas la rage, ne sont pas gouvernés par des rois, ne peuvent pas passer par des petits trous, et ne sont pas indestructibles.
©Allociné / Buena Vista International

La guerre est déclarée

Depuis des siècles, les grandes villes tentent de se débarrasser des rats qui peuplent leurs égouts et ruelles. Elles ont toujours échoué à faire fuir l'envahisseur. Mais une autre solution se dessine : et si au lieu de les empoisonner, on tentait plutôt de stopper leur reproduction ?

L'homme, peu partageur, n'a jamais réussi à faire fuir les rats hors de ses murs. Nous avons eu beau multiplier les pièges et disposer du poison à l'entrée de leurs nids douillets, rien n'y a fait : les rats, tenaces et résistants, sont toujours là. Difficile de venir à bout d'un animal qui a survécu au cataclysme dont ont été victimes les dinosaures il y a 65 millions d'années. Mais l'homme n'a pas dit son dernier mot. Le média britannique The Guardian a rencontré Loretta Mayer, la biologiste qui a probablement trouvé la solution à cette équation jusqu'à présent insolvable.

Des voisins historiques, mais encombrants

Avant d'aller plus loin, il nous faut rappeler certaines choses, afin de considérer le plus justement possible la menace que représentent les rats. Pour commencer, il n'existe pas de "super-rats". À l'exception de certaines espèces des zones tropicales, ils ne mesurent pas plus de 50 centimètres, la queue y compris. Ils ne sont pas aveugles non plus, ne portent pas la rage, ne sont pas gouvernés par des "rois rats", n'ont pas de squelette pliable leur permettant de passer par des petits trous, et enfin, ne sont pas indestructibles. Voilà pour la dédiabolisation du rat. En revanche, ce rongeur apporte avec lui son lot de problèmes : ils dévastent les cultures des agriculteurs, peuplent les égouts où ils se nourrissent de nos déchets (ce qui n'est pas une si mauvaise affaire tout compte fait), envahissent nos maisons, souillent la nourriture qui y est stockée, fragilisent les bâtiments dans lesquels ils ont élu domicile, transmettent de nombreuses maladies, mordent les bébés, et parfois, dévorent même les sans-abri vivants. Et difficile de maîtriser leur nombre, alors qu'un couple de rats qui forniquent pour la première fois comptera plus de 15 000 descendants d'ici un an. Leur reproduction très rapide (les rats femelles ovulent et copulent plusieurs fois par jour, restent fertiles jusqu'à leur mort et accouchent de portées de six à douze petits) nous donne en effet bien du fil à retordre. Les jeunes ratons arrivent à maturité sexuelle au bout de cinq à six semaines seulement. Et ils ne s'en privent pas, alors que l'acte sexuel est, comme pour l'homme, source de plaisir. Enfin, le poison n'a qu'un effet limité sur leur population. En effet, les rats copuleront encore davantage afin de restaurer leur nombre. Voilà pour sa re-diabolisation. Le rat reste un problème majeur, alors qu'une étude menée en 2014 par l'Université Columbia révélait qu'un rat de New York transportait en moyenne 18 pathogènes, tels que le Clostridium difficile ou l'hépatite C, tous deux pouvant entraîner la mort. Enfin, nous avons un plutôt mauvais souvenir de la peste bubonique que ces rongeurs nous ont transmise au XIVème siècle, et qui a fait quelque 25 millions de morts en cinq ans à peine.

Cela fait des siècles que nous tentons de les chasser de nos villes et maisons. Nous avons tout essayé : poison, chats, chiens et furets entraînés à les débusquer, ultrasons… rien n'y fait. À la fin des années 1940, des scientifiques ont développé un anticoagulant provoquant une hémorragie interne à quiconque l'ingère – la mort aux rats que nous connaissons. En 2010, la ville de Chicago (États-Unis) a lâché une soixantaine de coyotes dans ses rues en espérant qu'ils parviennent à réduire la population de rats. Loupé, encore une fois. Comment se fait-il que nous soyons capables d'envoyer des robots sur Mars, d'utiliser Internet, de faire survivre des nouveau-nés prématurés dans des incubateurs, mais que nous ne réussissions pas à protéger notre nourriture des rats, remarque très justement The Guardian ?

Tuer dans l'oeuf

Finalement, nous avons peut-être trouvé la solution : empêcher les rats de se reproduire. De quoi résoudre le problème, sans devoir mener ces génocides coûteux et répétitifs. C'est Loretta Mayer, biologiste et cofondatrice du laboratoire SenesTech, qui en a eu l'idée. En parvenant à mettre un terme à leur reproduction, on trouverait alors un moyen pérenne de réduire leur population sans devoir mener ces génocides coûteux et répétitifs. Et les expériences menées par le laboratoire situé en Arizona (États-Unis) ont été concluantes. Dans des rizières d'Indonésie, dans des fermes de Caroline du Nord, dans les banlieues de Chicago et dans les métros de New York, ContraPest – c'est le nom du produit stérilisant utilisé par SenesTech – a fait chuter la population de ces rats de 40% en douze semaines seulement. Loretta Mayer est enthousiaste : "Ça va changer le monde", dit-elle. Un accomplissement pour la chercheuse, qui a toujours mis un point d'honneur à élaborer des solutions qui ne soient ni toxiques, ni létales.

Avant d'arriver à ce résultat, Loretta Mayer étudiait les effets de la ménopause –  artificiellement inculquée – sur le comportement des souris. Ce n'est que lorsqu'une de ses collègues, Patrica Hoyer, l'a contactée pour lui parler d'une certain composé chimique qui semblait rendre ces petits rongeurs infertiles, que les deux chercheuses ont synthétisé un nouveau produit, nommé Mouseopause. Dans la foulée, Mayer et Hoyer publient leurs résultats en 2005 et testent leur produit sur des chiens errants à Gallup, dans le Nouveau-Mexique (États-Unis) : c'est un succès, encore une fois. D'autant que les chiens traités ne connaissaient pas d'effets secondaires. En 2006, Mayer doit encore faire ses preuves. Des biologistes australiens lui demandent de synthétiser ce même produit, cette fois à destination des rats qui ravagent jusqu'à 30% des cultures de riz en Australie et en Indonésie.

Produit miracle

Le défi est alors plus difficile : inutile d'essayer d'administrer ce produit stérilisant à chaque rat femelle. Il fallait qu'ils puissent l'absorber tous seuls, par voie orale. Le souci est que, dans un environnement urbain, les rats ont pléthore de nourriture et de déchets à manger. De plus, ils sont néophobes – ils ont peur de ce qu'ils ne connaissent pas. Pour que ces rongeurs osent tremper leurs moustaches dans la substance, cette dernière se devait d'être très alléchante, et liquide, car les rats sont de gros buveurs – ils boivent chaque jour 10% de leur poids. À partir du moment où ces rongeurs ont les mêmes goûts que les humains, Mayer et sa femme, la biologiste Cheryl Dyer, ont ainsi rajouté du sucre et du gras dans la préparation, enrichie de l'ingrédient principal : le 4-vinylcyclohexene diepoxide. Mais le produit n'est pas assez puissant. Dyer ajoute un second principe actif à la préparation : de la triptolide. Mais encore, le produit a juste de quoi réduire les portées des rongeurs, décidément très résistants. Le dernier essai sera le bon : en le faisant boire à un rat mâle, les deux biologistes se rendent compte que le produit détruit le sperme du rat dans les secondes qui suivent. L'expérience est un succès, et les rats voient leur population diminuer. Mayer parvient à remplir ses objectifs : un produit stérilisant, sans effets secondaires sur l'animal, sur les autres animaux – dont l'homme – et sur l'environnement.

Enfin, Mayer et Dyer commencent à attirer l'attention. En 2013, la Metropolitan Transportation Agency (MTA), chargée de la gestion des transports publics de la ville de New York et son agglomération, leur propose de venir tenter la même expérience dans les souterrains de la Grosse Pomme, en proie à l'invasion des rats depuis de très longues années. Durant six mois, elles enfilent leurs combinaisons et s'enfoncent dans le réseau souterrain new-yorkais, afin de constater si ces rats, d'une autre espèce que ceux précédemment traités, étaient également attirés par le ContraPest, et surtout si celui-ci était efficace sur eux. Et ô miracle, il le fut.

C'est la consécration. Loretta Mayer et Cheryl Dyer rencontrent l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), une organisation rattachée au gouvernement qui œuvre à retirer la mort aux rats des rayons de supermarché en raison notamment du cyanure contenu à l'intérieur, composé chimique hautement polluant. Avec la bénédiction d'un organisme d'une telle importance, les regards se tournent vers cette entreprise qui pourrait enfin mettre un terme à l'invasion des rats. La vente est lancée dans onze États d'Amérique, et devrait bientôt débuter en Europe.

Alors, va-t-on finir par gagner la guerre, de surcroît sans faire de morts ? Ça en prend en tout cas bien le chemin. Et ce serait une première dans l'histoire de l'homme.

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