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Pourquoi Trump, Le Pen et Macron présentent un même intérêt stratégique aux yeux des électeurs
©Reuters

L’autre enseignement de l’étude du Cevipof

Sécurité et chômage sont dorénavant les premières priorités des Français... sans pour autant que nos compatriotes jugent un parti crédible sur les questions qui les préoccupent. En cause ? Un diagnostic jugé biaisé par des œillères idéologiques.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Selon la dernière étude Cevipof, les principales préoccupations des Français sont désormais le chômage (30%) et la sécurité (24%). Sur l'ensemble des partis politiques aucun n'est jugé crédible en matière de chômage, mais le FN perce très nettement sur la question de son aptitude à régler les questions de sécurité (28% des français, contre 21% pour les Républicains, ou 8% pour le parti socialiste) et d'immigration (pour 66% des français contre 10% pour les Républicains). Au delà de la question de la "crédibilité" des mesures proposées par le FN, un tel résultat ne révèle t il pas un décalage entre une "aptitude perçue" du Front national reposant sur son diagnostic, en opposition à des partis perçus par l'opinion comme ayant des oeillères idéologiques, alors même que ceux-ci peuvent paradoxalement apporter plus de garanties d'organisation pour gouverner ? 

Vincent Tournier : Le sondage montre effectivement que le Front national apparaît plus crédible que les autres partis sur l’insécurité et, surtout, sur l’immigration.

C’est un résultat inquiétant pour les partis traditionnels, qui devrait quand même les inciter à se poser des questions. En même temps, ce résultat n’est pas surprenant. Une partie de l’opinion a le sentiment que les élites refusent de voir certaines réalités déplaisantes. Les partis de gouvernement mettent en avant leur attitude raisonnable, mais pour le grand public, l’attitude raisonnable signifie surtout l’inaction et l’attentisme, alors que le contexte exige des mesures fortes.

Il faut dire aussi que certaines décisions ont de quoi désorienter et agacer les électeurs, par exemple lorsque le ministre de la justice annonce un nouveau plan de construction de prisons, alors que c’est justement l’actuelle majorité qui a gelé le programme prévu avant l’alternance de 2012. De même, l’enquête de l’Institut Montaigne vient confirmer que les craintes concernant le fondamentalisme religieux ne sont nullement infondées. Mais les informations de ce type ne sont pas suffisantes pour faire bouger les lignes. Même les attentats islamistes n’ont guère eu d’effet sur les discours et les politiques publiques. En réalité, le récit de la mondialisation heureuse est trop puissant et trop attractif pour être remis en cause. Du coup, certains débats restent tabous, notamment les questions liées à l’identité nationale. L’identité nationale est un gros mot ; par contre il est très bien vu de célébrer et d’encenser l’identité des minorités. C’est un peu cette contradiction que l’on retrouve  dans la polémique sur les Gaulois : Nicolas Sarkozy est accusé de défendre une conception raciale de la nation, mais ces contradicteurs ne se rendent pas compte que ce sont justement eux qui, en ironisant sur le fait que les Noirs ou les Arabes ne peuvent pas avoir des ancêtres gaulois, introduisent une grille de lecture raciale qui renvoie chacun à ses origines biologiques. Cette polémique révèle aussi le côté hémiplégique des indignations : les bons esprits se moquent de Nicolas Sarkozy en disant qu’il propose une version totalement erronée de l’histoire, sans réaliser que la version inverse (par exemple lorsque Stéphane Le Foll soutient que la France a ses racines partout dans le monde) est tout aussi discutable. On observe aussi que les médias et les observateurs sont hypercritiques avec Nicolas Sarkozy, mais personne ne s’offusque quand François Hollande dénonce la « responsabilité des gouvernements français » dans le massacre des harkis (http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-lors-de-la-journee-nationale-d-hommage-aux-harkis/), comme si les harkis avaient été assassinés par des soldats français. Pourquoi personne ne demande à François Hollande s’il envisage de demander des comptes à l’Algérie au sujet des harkis ?

Un autre exemple, moins médiatisée, paraît emblématique de certaines œillères idéologiques : il s’agit de l’installation du groupuscule Génération identitaire dans un local à Lille. On a en effet appris que ce local allait être doté d’une salle destinée à s’entraîner aux sports de combat, ce qui a provoqué des réactions indignées (http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/09/12/01016-20160912ARTFIG00273-a-lille-le-nouveau-quartier-general-des-jeunes-d-extreme-droite-fait-polemique.php). On peut bien sûr comprendre cette réaction inquiète : après tout, pourquoi des militants politiques ressentent-ils le besoin d’apprendre à se battre ? Cela dit, les réactions d’indignation sont surprenantes lorsqu’on sait que, depuis des années, la politique de la ville a tout fait pour développer les sports de combat dans les banlieues en arguant justement que le sport est un excellent outil pour développer les vertus civiques, la tolérance et les règles démocratiques. Aurait-on raconté n’importe quoi ? A-t-on vraiment été bien inspiré de favoriser l’apprentissage des techniques de combat dans les banlieues ?

Pour revenir au sondage, un autre élément peut expliquer les réactions : c’est le sentiment que les élites sont impuissantes ou qu’elles renoncent à agir. Le pourrissement de la situation à Calais en fournit une illustration : cela devient même tellement caricatural qu’on peut se demander si le gouvernement n’a pas laissé traîner la situation pour mieux mettre en scène son intervention. En tout cas, si le FN attire, c’est parce qu’il est l’un des derniers à défendre l’idée qu’il est possible d’agi, que le peuple est souverain et peut maîtriser son destin. Dans les autres partis, ce type de discours devient rare : on met au contraire en avant les contraintes qui empêchent de faire ce qu’on veut. Les responsables politiques ne cherchent même plus à masquer leur impuissance. Le gouvernement appelle par exemple à se résigner face au terrorisme ; ou alors, il renonce à légiférer sur la question de l’emprise croissante du religieux dans l’espace public.

Pour autant, cela ne veut pas dire que la route du Front national soit toute tracée pour 2017. Aujourd’hui, tous les observateurs partent du principe que Marine Le Pen est assurée d’être au second tour. C’est effectivement une hypothèse très probable, mais il faut rester prudent. La situation du FN est bonne, mais il ne faut pas négliger certains signes, notamment le fait que le FN perde des points dans certaines élections partielles. Si on regarde par exemple l’élection cantonale partielle du Livradais, dans le Lot-et-Garonne, qui s’est tenue le 11 septembre dernier, le FN a été éliminé au premier tour, perdant près de 8 points par rapport au scrutin de 2015. Marine Le Pen mise toute sa stratégie sur le second tour, mais elle aurait tort d’oublier le premier tour. Or, sa stratégie consensuelle qui privilégie le second tour (avec son slogan « la France apaisée ») risque de désorienter ses électeurs.  

Dans quel mesure un tel constat se valide-t-il également pour Donald Trump qui bouscule les partis et les thématiques traditionnelles, s'affranchit des "règles" idéologiques classiques ? Cela vaut-il pour Emmanuel Macron également ? En quoi ces candidats perçus comme "capables" de s'extraire de ces "oeillères" bénéficient ils d'une prime au sein de l'électorat ? Quelle en est la signification pour les autres personnalités et les partis qu'ils représentent ? 

Il y a certainement un côté anti-système chez Donald Trump comme chez Emmanuel Macron. Mais les deux profils sont quand même très différents. Donald Trump s’est fait tout seul en politique, il ne doit rien à personne ; de plus, il tente sa chance en passant par un parti politique et en suivant la procédure classique des primaires. Il joue donc le jeu politique, même s’il a profondément bouleversé les habitudes du Parti républicain au point de s’y faire de nombreux ennemis. De son côté, Emmanuel Macron fait exactement le contraire : il doit toute sa carrière politique à son mentor, François Hollande, et il a choisi de tenter sa chance en passant en dehors des partis politiques traditionnels, avec son propre mouvement. Par ailleurs, même s’il est encore flou, son programme politique est beaucoup moins iconoclaste que celui de Trump. A la limite, Emmanuel Macron devrait plutôt être comparé avec Hillary Clinton : comme elle, il incarne un certain establishment, les élites fortunées de centre-gauche, favorables aux libertés économiques et individuelles, ouvert sur le multiculturalisme. Donald Trump, pour sa part, correspond plutôt à une sorte de synthèse entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Mais contrairement à Macron, il reste dans le système partisan, ce qui montre aussi que les partis politiques aux Etats-Unis sont toujours très structurants. On a donc affaire à un phénomène nouveau mais qui s’inscrit dans un cadre institutionnel classique. Macron tente au contraire une aventure en solitaire. Il parie manifestement sur la déconfiture du PS et de François Hollande, ce qui n’est pas très glorieux. Il pense que la crise qui affecte les partis traditionnels lui offre une opportunité pour tenter sa chance. Mais son programme est encore très flou. Pour compenser ses faiblesses, il multiplie les signaux tous azimuts, que ce soit vers les milieux économiques ou vers les électeurs de Philippe de Villiers. Il fait donc un grand écart qu’il va avoir du mal à justifier. Pour l’instant, cette stratégie lui permet d’occuper un certain espace politique (il se situe à 12-14% dans l’enquête Ipsos pour le CEVIPOF) mais cette situation risque de ne pas tenir durant la campagne lorsque les choses sérieuses vont commencer.

Quels peuvent-être les enjeux derrière cette évolution du regard des Français tant en matière de thématiques politique que de crédibilité ? Jusqu'où cela est-il susceptible de renverser le paysage politique actuel, ses bases et ses lois ?

C’est une vraie question parce qu’on peut effectivement se demander si le système politique tel qu’il fonctionne actuellement, non seulement en France mais aussi en Europe, voire au-delà, n’est pas à bout de souffle. Il ne s’agit pas de dramatiser la situation, mais il est quand même difficile de ne pas s’interroger sur l’adaptation du système actuel. Qui peut prétendre que le système fonctionne bien, qu’il parvient à résoudre les problèmes, à satisfaire les électeurs, à régler les tensions ? En France, les signes de dysfonctionnement ne sont pas négligeables, que ce soit le décrochage de la participation électorale, la montée du FN et des partis de droite radicale en Europe, ou encore le chômage, autant de signes qui montrent que le système tourne à vide ou, pire, qu’il laisse se développer et se cristalliser des antagonismes forts, notamment sur les questions d’identité. Si on ajoute que l’expression de « guerre civile » a été évoquée, notamment par Alain Juppé, on comprend que la situation est assez inédite, même s’il y a certainement une part de tactique derrière ce vocabulaire (Alain Juppé a intérêt à dramatiser la situation pour pouvoir se présenter comme le sauveur, sur le mode classique du « moi ou le chaos »). De même, l’hypothèse d’un changement de République a été mise sur la table et, après tout, ce ne serait pas la première fois que la France changerait de régime politique. Et puis, au-delà de la France elle-même, on voit bien que le projet européen est confrontée à des difficultés sérieuses, que ce soit à cause du Brexit ou avec les difficultés que rencontre la commission européenne, qui va sortir très affaiblie de l’affaire Barroso et des Bahamas-papers. Sur le plan international, le retour des Etats-Unis à une politique isolationniste va aussi ouvrir une nouvelle ère mondiale qui risque d’être chaotique, et dont nul ne sait ce qui va en ressortir.

Or, dans ce contexte très difficile, où les tensions s’accumulent, où l’incertitude augmente, on ne peut qu’être frappé par le relatif silence des grands partis politiques, ce qui est signe supplémentaire que leur logiciel interne n’est pas vraiment adapté au monde qui vient. Le problème, c’est que l’histoire nous apprend que la résolution des tensions passe souvent par des crises car celles-ci obligent à trouver de nouvelles réponses, à modifier les institutions inadaptées. Sans crise, il est difficile de modifier une trajectoire, même pour les esprits bien intentionnés. 

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