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Les permis de séjour pour raisons économiques… et les autres : ce que nous apprend le détail des chiffres de l’Insee pour 2015
©Reuters

Explications

D'après les chiffres publiés par l'Insee, les permis de séjour délivrés par la France ont connu une augmentation de 14,4% entre 2012 et 2015. Mais cette relative stabilité masque deux phénomènes majeurs : le niveau élevé des permis délivrés au motif du regroupement familial et la forte hausse des demandes d'asile.

Laurent Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant, membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Michèle Tribalat

Michèle Tribalat

Michèle Tribalat est démographe, spécialisée dans le domaine de l'immigration. Elle a notamment écrit Assimilation : la fin du modèle français aux éditions du Toucan (2013). Son dernier ouvrage Immigration, idéologie et souci de la vérité vient d'être publié (éditions de l'Artilleur). Son site : www.micheletribalat.fr

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Atlantico : D'après les chiffres publiés par l'Insee (voir ici), les permis de séjour délivrés par la France ont connu une augmentation de 14,4% entre 2012 et 2015, et de près de 30% depuis 2007, pour en arriver à 226 268 personnes (hors Mayotte). Quels sont les principaux facteurs de cette hausse ? Sur la même période, est-il possible d'estimer le nombre d'arrivées (et de départs) sur le territoire, ne disposant pas de permis de séjour, ceci afin de dresser une image fidèle de la situation ? En quoi les permis de séjour se distinguent-ils du solde migratoire ? 

Laurent Chalard : Il convient d’abord de constater que le nombre de permis de séjour délivrés en 2015 en France se situe à un niveau très élevé, le plus important constaté depuis plusieurs décennies, supérieur au pic du début des années 2000. Les entrées légales sur notre territoire sont donc très nombreuses. Cette hausse s’explique par l’augmentation, plus ou moins importante, des permis de séjours délivrés pour tous les motifs. Elle apparaît cependant plus importante pour l’immigration à caractère économique (+ 28,6 %), les étudiants et l’immigration à caractère humanitaire. Ces évolutions sont consécutives des effets de la mondialisation, qui entraîne une plus forte circulation de main-d’œuvre et de matière grise, comme en témoigne la forte progression des permis de séjour délivrés pour des scientifiques et des étudiants. Parallèlement, se constate un accroissement des réfugiés, produit des nombreuses crises humanitaires aux frontières de l’Europe.

Face à ces chiffres, dont les politiques peuvent facilement s’emparer pour leur faire dire ce qu’ils veulent leur faire dire, il convient de ne pas confondre les permis de séjour délivrés, qui ne correspondent qu’aux entrées légales de citoyens non originaires de l’Union européenne sur notre territoire, avec le solde migratoire, c’est-à-dire les entrées moins les sorties du territoire de toutes les personnes, quel que soit leur statut juridique. En effet, ces flux d’entrées ont en contrepartie chaque année des sorties relativement importantes, en particulier pour les étudiants et les immigrés à caractère économique, même s’il est difficile de les quantifier. En s’appuyant sur une hypothèse raisonnable d’un taux de retour de 50% pour tous les motifs (en fait, très faible pour le regroupement familial, mais très fort pour les étudiants), le solde migratoire dépasserait les + 100 000 personnes en 2015 pour les non nationaux, en gardant en tête que ces données ne tiennent pas compte de l’immigration clandestine, sous-estimant donc les entrées, d’autant qu’ils n’incluent pas les personnes originaires de l’Union européenne.

Michèle Tribalat : Les chiffres mis en ligne sur le site de l’Insee proviennent du DSED (Département des Statistiques, des Etudes et de la Documentation) du ministère de l’Intérieur. Ce service exploite le fichier de gestion des titres de séjour. Apparemment, ce sont les titres délivrés pour motif économique, pour études et pour motif humanitaire qui ont le plus augmenté. Les données du ministère de l’Intérieur ne renseignent que sur les étrangers qui ont vu leur procédure aboutir à la délivrance d’un titre de séjour. Il faut ajouter que, depuis le 1er septembre 2009, de nombreux étrangers se voient délivrer un visa de long séjour qui les dispense de passer en préfecture pour obtenir un premier titre de séjour. Normalement, ils sont réintégrés dans le fichier du ministère de l’Intérieur lors de leur passage à l’OFII (Office Français de l’immigration et de l’intégration), probablement avec un peu de perte en ligne.

L’Insee a réalisé des estimations de flux d’entrées et de sorties à partir des enquêtes annuelles de recensement. Il a récemment fait paraître une estimation des soldes migratoires (entrées – sorties) entre 2006 et 2014 des Français, des étrangers, des natifs et des immigrés. En moyenne, sur ces huit ans, le solde migratoire des étrangers aurait été de +1,27 million et celui des Français de – 0,86 millions. Soit une moyenne annuelle respectivement de +158 000 et de -107 000.

Les permis de séjour accordés au motif du regroupement familial ont augmenté de 8,8% (de 90 583 en 2012 à 98 548 en 2015). Quels sont les cas concrets regroupant la question du regroupement familial ? S'agit-il de situations correspondant réellement au concept générique de "regroupement familial" ?

Michèle Tribalat : Il vaut mieux parler de flux familiaux qui comprennent des membres de familles de Français, des membres de famille d’étrangers (regroupement familial à proprement parler) et des régularisations de situations pour liens personnels et familiaux. Dès 2013, les flux familiaux dépassaient 100 000. L’accroissement reflète les effets de la circulaire de régularisation de novembre 2012 qui a fait augmenter le regroupement familial de quelques milliers. 

Laurent Chalard : Dans la majorité des cas, le regroupement familial est un processus lié à une histoire d’amour, en théorie tout du moins ! Par exemple, le mariage entre un expatrié français dans un pays asiatique et une locale, accompagné éventuellement d’un ou plusieurs enfants s’ils sont nés à l’étranger, ou le mariage entre un Français d’origine marocaine avec une jeune Marocaine rencontrée pendant ses vacances dans son pays d’origine, ou encore l’arrivée de la compagne restée au Mali (et de leurs éventuels enfants) d’un Malien installé depuis un certain nombre d’années en France.

S’il progresse peu par rapport aux autres motifs, le nombre de permis de séjours délivrés dans le cadre du regroupement familial se maintient à un niveau élevé, autour de 90 000 personnes par an. Le motif le plus courant de regroupement familial (environ 50 000 personnes) concerne les conjoints de personnes de nationalité française, qui correspond, dans les faits, à deux situations très différentes. D’un côté, se constate l’augmentation des mariages mixtes, puisque, du fait de la mondialisation, le nombre d’expatriés français a fortement augmenté, conduisant à rendre plus fréquente l’union avec un conjoint étranger. D’un autre côté, cette évolution témoigne aussi de l’endogamie de certains Français d’origine étrangère, en particulier d’origine maghrébine, qui vont chercher leur conjoint dans leur pays d’origine, que ce soit par amour ou par simple logique migratoire. Si ces derniers se mariaient avec des nationaux, les entrées pour regroupement familial seraient bien moindres. Enfin, l’autre motif important de regroupement familial est plus traditionnel, correspondant à des étrangers résidents en France depuis un certain nombre d’années, qui font venir leur conjoint ou leurs enfants, voire des ascendants à charge. Si ce dernier motif concerne des volumes moindres, il a tendance à nettement augmenter dans les dernières années.

Les permis de séjour accordés aux réfugiés et apatrides ont connu une hausse de quasiment 25% (de 10 035 en 2012 à 12 539 en 2015), ce qui peut sembler faible au regard de l'afflux de réfugiés qu'a connu la France. Que nous apprend ce chiffre ? Comment expliquer la différence entre permis de séjour octroyés et demandes d'asile ?

Laurent Chalard : Ce chiffre nous apprend que si la France a une politique relativement généreuse concernant l’attribution du regroupement familial, pour la bonne raison qu’il relève principalement du mariage avec un étranger - qu’il est difficile d’interdire ! -, par contre, pour les demandeurs d’asile, elle l’est beaucoup moins. En effet, pour l’année 2015, pas moins de 79 130 dossiers de demande d’asile ont été déposés. Or, le nombre de permis de séjour accordés pour ce motif la même année apparaît très faible en comparaison. On ne peut donc en déduire que le gouvernement de Manuel Valls ait mené une politique de franche ouverture pour les demandeurs d’asile, contrairement à la politique d’Angela Merkel en Allemagne. Cependant, il ne faut pas être complètement dupe, nous ne savons rien du devenir des déboutés du droit d’asile et rien ne nous dit qu’ils quittent ensuite massivement le territoire national, sauf s’ils font l’objet d’une procédure d’expulsion par les forces de l’ordre.

Michèle Tribalat : Il s’agit de personnes à qui l’on a délivré un titre de séjour leur attribuant le statut de réfugié. Il faut y ajouter les personnes à qui l’on délivre un titre de séjour leur accordant l’asile territorial, une protection subsidiaire. Nous savons, grâce aux données publiées par Eurostat, que les primo-demandes d’asile en France étaient de 70 565 en 2015. Sur les six premiers mois de 2016, leur nombre est supérieur de 22% à celui enregistré en 2015. Il ne serait donc pas étonnant que, pour l’ensemble de 2016, les primo-demandes d’asile soient de 80 000 à 90 000. Ceux qui vont obtenir un titre de séjour entreront, au fil du temps, dans les données du ministère de l’Intérieur et apparaîtront dans les statistiques publiées. Ne sont évidemment jamais comptés ceux qui sont déboutés et restent sur le territoire, sauf s’ils arrivent à obtenir leur régularisation, pas plus que les migrants qui campent de manière plus ou moins sommaire à Paris ou à Calais par exemple tant qu’ils n’ont pas déposé une demande d’asile en bonne et due forme.

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