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Pourquoi l’objectif de réindustrialisation de la France défendu par le MEDEF va être difficile à atteindre (et non, ce n’est pas pour des raisons de compétitivité)
©REUTERS/Stephane Mahe

Voeu pieux

Le renouveau de l'industrie ne peut pas passer par un retour à une activité manufacturière telle que nous l'avons déjà connue, mais n'est pas pour autant une idée qu'il faut abandonner. Ce sont les avantages comparatifs, en R&D ou en ingénierie par exemple, qui définiront l'évolution de ce secteur.

Sarah Guillou

Sarah Guillou

Sarah Guillou est économiste à l’OFCE dans le domaine de l’économie internationale et des politiques publiques affectant la compétitivité des entreprises. Son travail mobilise l’exploitation statistique de bases de données d’entreprises et de salariés ainsi que les données de commerce international par pays. Une partie de ses recherches porte sur les politiques industrielles et les politiques commerciales.

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Atlantico : Ce jeudi 22 septembre, le Groupe des Fédérations Industrielles présentait son projet "Une industrie compétitive pour la croissance et l'emploi" indiquant un objectif ambitieux, faire passer le poids de l'industrie française de 11 à 15% du PIB. Pour y parvenir, le GFI propose ainsi de poursuivre la politique de l'offre débutée par François Hollande au travers du CICE. Une logique contestée par l'économiste Patrick Artus, qui indique que la compétitivité française dépend plus du niveau de gamme que du niveau des salaires. Comment faire la part des choses entre ces deux approches ?

Sarah Guillou : Les propos du GFI et de P. Artus ne sont pas si contradictoires dans les moyens. Le retour de la compétitivité passe par deux canaux : soit baisser les salaires (ou les charges), soit améliorer la gamme/qualité des produits par l'augmentation des marges. Mais si le GFI dit "la ré-industrialisation, c'est possible", P. Artus répond "c'est impossible" car l'écart entre nos concurrents (principalement l'Espagne selon lui) et la France est trop grand pour envisager une baisse du coût du travail ou un retour à la profitabilité qui redonne aux producteurs français un avantage compétitif.

Force est de reconnaître que l’ambition du GFI de 4 points de PIB est difficile à envisager mais en même temps le "défaitisme" de P. Artus est également difficile à entendre. 

Il n’y a aucune raison de renoncer à une montée en gamme et à une amélioration de la qualité de la marque "France". Mais il faut avoir la lucidité de reconnaître que la montée en gamme de l’industrie passera par une montée des services et donc que la VA manufacturière ne verra pas sa contribution au PIB augmenter. L'industrie, si elle monte en gamme, va contribuer à augmenter la valeur ajoutée des services et de surcroît sans augmenter notamment l’emploi industriel.

Quels seraient les moteurs d'une montée en gamme de la production française ? Quelles sont les priorités d'une telle stratégie ? 

Quand Carlos Tavares, le PDG de Peugeot, énonce son intention de se diversifier dans les services liés à la mobilité et ne plus se contenter d’être seulement un constructeur automobile mais un "fournisseur de solutions de mobilité" ou quand G. Immelt, le patron de l’américain GE, la plus vieille entreprise manufacturière américaine, parie sur son département de logiciels qu’il considère comme central au développement de son entreprise, il est clair que l’industrie prend un nouveau tournant. Ces deux exemples illustrent le changement d'ère industrielle. Certains vont jusqu’à parler de révolution digitale. Indéniablement, les avantages compétitifs de l’industrie vont reposer sur leur contenu en services et l’aptitude des entreprises à embrasser l’économie digitale.

P. Artus met en exergue la faiblesse de la robotisation française relativement à ses partenaires européens pour souligner l’absence d’investissement dans les machines qui permettrait d’augmenter la productivité de l’industrie. Ces statistiques mettent en évidence une énigme française : il est étonnant que dans un pays où le coût du travail horaire est un des plus élevé (4ème rang de l’ex-UE 15 dans l’industrie), on ait si peu substitué de machines/robots au travail, tout en cumulant un fort taux de sans emplois. Au-delà de ces statistiques de comptabilité des robots, sans doute imparfaites, il importe de reconnaître que tous les pays – même l’Allemagne -- ont connu un recul séculaire de l’emploi industriel en raison précisément du progrès technique et de l’automatisation de la production.

La montée en gamme de l’industrie passera par la poursuite de ce mouvement et par l’insertion dans la concurrence internationale de l’ensemble des acteurs économiques. Pour cela, il n’est pas forcément utile de vouloir poursuivre la baisse du coût du travail à tout prix : il importe de conserver une incitation économique à substituer du capital (des machines) à du travail. En revanche, il faut contrôler de l’évolution des marges afin de maintenir les moyens financiers de l’investissement. Donc, il faut plutôt viser des incitations du côté de la fiscalité des investissements et du capital et s’interroger sur les effets de subvention indirecte des salaires élevés via le CICE et surtout le CIR.

Cependant, l'acharnement politique à vouloir relancer l'industrie française a t elle réellement un sens ? 

Je m'accorde avec l'affirmation de P. Artus que la ré-industrialisation est improbable mais non pas parce que notre économie est condamnée à un déclin productif car elle restera irrémédiablement non compétitive. La ré-industrialisation est improbable par qu’on ne reviendra pas à une spécialisation ancienne qui consacrait le manufacturier et la tangibilité de la production. On peut regretter l’intensité de la désindustrialisation en France relativement à d’autres pays et ceci surtout depuis la crise et tenter de remédier aux politiques qui ont créé cet environnement économique qui n’a pas incité les investissements dans l’amélioration de gamme. Mais il faut construire le futur sans vouloir revenir au passé.

Le souhait de redynamiser les emplois industriels est partagé par les gouvernements surtout français et anglo-saxons (nouveau credo de T. May et discours récurrent américain) parce que ce sont ces pays qui ont payé le plus lourd tribut en emplois et parce que la tradition de l’Etat "guerrier" a autrefois assuré de nombreux débouchés à l’industrie alors florissante.  A la nostalgie de ce passé s’ajoute la raison économique qui voit en l’industrie, des emplois pour la classe moyenne et une source des gains de productivité par ses dépenses en R&D et de revenus extérieurs par le dynamisme de ses exportations. Mais les décideurs politiques devraient voir que se dessinent de nouveaux avantages comparatifs. Il faut augmenter la valeur ajoutée française mais pas seulement de l’industrie. S’il y a un retour de l’industrie, cela s’appuiera sur les industries du futur qui seront intenses en services et en intelligence artificielle, et qui auront donc un faible contenu en emplois manufacturiers. Les avantages comparatifs de demain reposeront sur le contenu en RD, en ingénierie, en conception et non en manufacture. Alstom vend des trains mais ne les produit plus ou pas seulement. Son avantage comparatif est dans sa maîtrise technologique. Les emplois manufacturiers qui demeureront seront tirés par ces nouveaux avantages comparatifs : c’est sur eux qu’il faut investir.

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