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You Want It Darker : la dernière chanson de Leonard Cohen est aussi la meilleure de toute sa carrière
©Reuters

THE DAILY BEAST

A 82 ans, la légende Leonard Cohen affronte son créateur dans la chanson "You Want It Darker" qui rappelle les derniers enregistrements de Johnny Cash, et qui pourrait bien être son oeuvre la plus marquante.

Jay Michaelson - The Daily Beast

Le légendaire compositeur Leonard Cohen a déjà une vie de chefs d'oeuvres derrière lui, dont beaucoup, comme Hallelujah pour citer le plus célèbre, sont très imprégnés de thèmes religieux. Aujourd'hui, à l'âge de 82 ans, il vient de sortir l'un de ses morceaux les plus bouleversants.

La chanson intitulée You Want It Darker, d'une durée de quatre minutes environ, consiste en la sombre confession religieuse d'un homme qui affronte sa propre mortalité. (Récemment, Leonard Cohen a rédigé une lettre d'adieu à l'une de ses premières muses, Marianne Ihlen, peu avant qu'elle ne décède, en juillet. “Je te rejoindrai très bientôt” a-t-il écrit.) Les paroles empruntent beaucoup à la liturgie juive et à des textes bibliques. Les choeurs sont ceux du chantre et de la chorale de la synagogue de la ville natale de Leonard Cohen, Montreal. De l'avis de ce rabin, dévôt de très longue date de Leonard Cohen, il s'agit d'un "chef d'oeuvre immédiat".

 If you are the dealer, I’m out of the game/If You are the healer, I’m broken and lame/ If thine is the glory, then mine must be the shame/ You want it darker – we kill the flame./ Magnified, sanctified is your holy name /Vilified, crucified in the human frame /A million candles burning for the help that never came/ You want it darker /Hineni, Hineni, I’m ready, my Lord.

Si tu es le dealer/Je me retire du jeu/ Tu es le guérisseur, je suis brisé et faible/ Si la gloire est à toi, alors la mienne doit être la honte/ Tu souhaites que cela soit encore plus sombre  - Nous tuons la flamme/ Magnifié, sanctifié est ton saint nom/Avili, crucifié est le cadre humain/Un million de bougies brûlant pour le secours qui n'est jamais venu/ Tu souhaites que cela soit encore plus sombre/ Hineni, Hineni, je suis prêt Seigneur.

Comme Bob Dylan, l'autre troubadour juif, Leonard Cohen entretient depuis longtemps une relation ambivalente avec le Dieu de l'Ancien (et du Nouveau) Testament. D'un côté, Leonard Cohen ne se contente pas de citer le Kaddish (la prière pour les morts des juifs)  : “magnified, sanctified…” ("amplifié, sanctifié..".), il s'adresse aussi directement au Divin. D'un côté, c'est un Dieu qui a exclu Leonard Cohen du jeu, ignoré le ''million de bougies'' allumées dans le vain espoir d'une rédemption et qui semble uniquement "vouloir assombrir''. Dieu est réel mais c'est un sacré "motherfucker".

Cela va bien au-delà d'autres paroles célèbres de Leonard Cohen, empruntées au poète soufi Roumi, que nous devrions “faire sonner les cloches qui peuvent encore sonner/ oublier votre parfaite offrande/Il y a une fêlure dans chaque chose/C'est par là que pénètre la lumière.” Le vaisseau n'est pas seulement fêlé, désormais il s'est entièrement disloqué.

You Want It Darker fait aussi penser aux derniers enregistrements de Johnny Cah, eux aussi profondément emprunts de la spiritualité du pêcheur, de l'homme brisé au bout de sa vie dissolue qui en appelle à Dieu tout en se désespérant. Mais là ou Johnny Cah avait gardé foi dans l'ordre moral de l'univers jusqu'à la fin, Leonard Cohen chante (ou gronde) : “Ils mettent en rang les prisonniers et les gardes mettent en joue”. Il est difficile d'imaginer Johnn Cash provoquer Dieu comme Leonard Cohen le fait. Si le monde est aussi sombre qu'il semble l'être, si l'humanité est si peu rachetable, alors Dieu doit le vouloir ainsi. Le mot hébreu "Hineni", que Leonard Cohen répète dans la chanson, signifie littéralement  “Me voici.”

"Hineni" est prononcé par Abraham et d'autres figures bibliques. C'est une acceptation de responsabilité morale : je suis ici. Je ne m'enfuis pas. Je suis ici. La chanson-titre de l'album à venir a été lancée en avant-première à une date opportune : le mot "Hineni" est également le titre de la prière dite par le chantre durant Yom Kippour, qui y confesse n'etre pas digne de représenter la congrégation et se tient devant le Tout-Puissant. Leonard Cohen semble faire une confession similaire. Je suis peut-etre un poète, un héros, et une vedette, mais tu sais tout aussi bien que moi que je ne suis pas digne de tout cela. Je suis là devant toi, prêt si tu veux me prendre. Ce n'est pas que Leonard Cohen ou moi croyons littéralement en ces choses, bien sûr. Le discours religieux agit sur un niveau plus profond que le sens littéral. Voici les mots d'une âme de 82 ans au bout d'une longue vie charnelle et spirituelle. C'est une poésie, et non de la prose, le coeur brisé et non l'esprit logique.

On sait que Leonard Cohen pratique également le bouddhisme et il a eu tendance à priviléger la poésie iconoclaste des maitres zen à la méditation et la ''pleine conscience'' adorée de la Silicon Valley de nos jours. Il y a aussi la brutalité de l'art zen dans You Want It Darker , de l'ordre du "c'est ainsi, c'est tout." Leonard Cohen nous le dit sans vernis. Heureusement, les paroles sont ici mises en valeur par la production du morceau, au lieu d'en être affaiblies comme dans certains de ses enregistrements passés. Adam Cohen, le fils de Leonard, lui aussi chanteur et compositeur, protège la simplicité avec une ligne de basse, des percussions accoutiques et électroniques, et un subtil orgue Hammond en arrière-plan.

Le son est actuel, surtout pour un octogénaire, mais la vedette est donnée aux paroles et à la lancinante musique sacrée. Est-ce qu'un chanteur né en 1934 va produire un hit en 2016? Probablement pas. Se souviendra-t-on de ce chef d'oeuvre tardif longtemps après que Leonard Cohen nous ait quitté ? Absolument . 

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