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L'offensive Bruno Le Maire : radioscopie de ce qui le différencie des autres candidats de la primaire
©Reuters

Exégèse

En meeting à Sète ce dimanche, Bruno Le Maire passe à l'offensive et a révélé son (volumineux) projet présidentiel aux Français. Petite analyse de ce qui différencie vraiment (ou pas) son programme des autres autres candidats à la primaire de la droite.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Sur les institutions françaises

Jean Petaux : Bruno Le Maire ne se différencie pas de ses concurrents à la primaire quand il préconise le recours au référendum. C’est une "pratique gaullienne" mais les successeurs du général de Gaulle l’ont complètement dénaturée par rapport à l’usage initialement prévu et pratiqué.

Par contre, il se distingue très nettement de ses "compagnons" quand il propose la réduction du nombre de parlementaires ; quand il est pour une interdiction pure et simple du cumul des mandats et quand il demande que les fonctionnaires élus sur un mandat national démissionnent de la fonction publique. Il est le seul à proposer cette mesure parmi tous ses concurrents. De la même manière, il est le seul aussi à demander la suppression du Conseil économique, social et environnemental. Toutes ces mesures n’ont aucune espèce d’incidence financière, elles sont purement démagogiques et sont destinées à caresser l’électorat de la primaire dans le sens du poil.

La proposition de créer un statut pour les anciens chefs de l’Etat est nouvelle et originale également. Rappelons qu’au début du XXème siècle il a été décidé par la majorité parlementaire de l’époque que toute veuve d’un chef de l’Etat, pour ne pas mourir dans la misère, pourra obtenir une licence de la Régie des Tabacs et ouvrir ainsi un bureau de tabac en France. C’était déjà un embryon de statut… pour les ex-Premières dames au moins…

Maxime Tandonnet : Bruno Le Maire, parmi les candidats de la primaire de droite, est celui qui incarne par son âge le renouvellement de génération.  Il est intéressant de se demander si cet objectif se retrouve dans son projet. La publication d'un volumineux contrat présidentiel de plus de 1000 pages, allant jusqu'aux détails les plus fins . Les modalités de remboursement par la sécurité sociale des lunettes et des soins dentaires sont des sujets importants dans la vie des Français, mais ne relèvent-elles pas d'un programme législatifs davantage que d'un contrat présidentiel ? De même que le nombre précis d'agents qui seront recrutés par l'office français des réfugiés et apatrides) ? Ce projet s'inscrit clairement dans la logique de l'hyperprésidence, à l’œuvre depuis une quinzaine d'années, surtout depuis le passage au quinquennat, celle d'un chef de l'Etat incarnant à lui seul le pouvoir politique, se substituant de fait au Premier ministre, aux ministres, à la majorité parlementaire. Telle n'est absolument pas la logique initiale de la Ve République, gaullienne, qui fait du président de la République "un arbitre, garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics, de l’indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités". Ce projet présidentiel s'apparente surtout au programme de gouvernement d'une majorité. Dans sa conception élyséenne, qui fusionne les notions de présidence et de gouvernement, Bruno Le Maire s'inscrit donc dans la continuité de l'hyperprésidence actuelle qui fait du chef de l'Etat l'unique  pivot de la vie politico-médiatique.

D'ailleurs, ses propositions concernant la réforme des institutions n'innovent pas fondamentalement. Il propose une mesure très intéressante visant à favoriser le brassage de la classe politique en limitant à trois le nombre de mandats parlementaires consécutifs. L'ambition de renouvellement de la classe politique est l'aspect le plus original et ambitieux de ce programme. Il entend supprimer le Conseil économique et social, limiter le nombre de parlementaires, le cumul des mandats, et obliger les élus nationaux à démissionner de la fonction publique. Cela reflète une louable intention de réaliser des économies et d'assainir la vie politique, mais ne remet guère en cause l'équilibre entre les pouvoirs publics et le mode de fonctionnement du système politique français et surtout, son hyperprésidentialisme qui est l'un de des grandes causes du blocage politique de la France: donner l'illusion que toute l'essence du pouvoir se concentre en une seule main revient à dévaloriser et démotiver les autres acteurs du gouvernement de la France. Quant au recours accru au référendum, il est conforme à une proposition commune à quasiment tous les candidats et qui reflète la volonté de surmonter la coupure entre la France des élites dirigeantes et le peuple. 

Sur l'Europe

Maxime Tandonnet : Le projet de M. Le Maire a l'immense avantage de ne pas tourner le dos à la question européenne et d'aborder franchement ce sujet crucial pour l'avenir. Pour autant, il donne le sentiment de se situer plus dans une logique de continuité que de renouveau et d'imagination. Renforcer l'axe franco-allemand, conduire une réflexion approfondie avec les cinq autres membres fondateurs de l'Europe sur le projet européen: tout cela est nécessaire mais ne dit pas grand chose sur les réformes  radicales dont l'Europe a besoin pour se relancer et surmonter les faiblesses constatées au cours des dernières années: fracture entre l'Allemagne et les pays du Sud, échec dans la gestion de la crise des migrants, explosion du chômage, poussée électorale extrémiste et nationaliste, Brexit, vertigineuse montée de l'euroscepticisme. Le contrat présidentiel par ses propositions sur ce point, ne semble pas à la hauteur d'un défi d'une ampleur titanesque pour les générations à venir. Par exemple, la création d'un corps de gardes frontières est un sujet dont il est question depuis 1999. L'idée serait de doter la structure de coordination actuelle, FRONTEX, de ses propres moyens en recrutant 1000 fonctionnaires européens. On a du mal à voir en quoi ce coûteux recrutement aurait le moindre impact sur la maîtrise des frontières Européennes. 

Jean Petaux : On voit bien que Bruno Le Maire a été ministre des Affaires européennes et qu’il est agrégé d’allemand et donc très germanophile….

Ce qu’il propose en matière européenne est plutôt (voire très) original par rapport à ses concurrents. Même si la mesure concernant Frontex existe déjà parmi celles préconisées par Bruxelles. Les initiatives concernant le couple franco-allemand montrent que Bruno Le Maire connait son dossier et son affaire dans cette rubrique. L’idée d’une initiative prise par le noyau fondateur de l’UE (les "Six" de Rome, 25 mars 1957)  est tout à fait nouvelle. Pas certain pour autant que le fonctionnement de l’UE s’en trouve amélioré et rénové. Mais l’idée d’un retour aux "valeurs fondatrices" a le mérite de l’originalité là encore.

En comparaison avec les propos de Nicolas Sarkozy sur l’Europe, Bruno Le Maire est bien plus mesuré. Même si, sur nombre de sujets il pourrait sans aucun doute être un Premier ministre de Nicolas Sarkozy, de nouveau à l’Elysée en mai 2017. En tous cas, ses fibres "pro-européenne" et "germanophile" le rendent  tout à fait apte à prendre ses responsabilités au printemps 2017.

Sur la sécurité

Jean Petaux : Dans le texte de 1 012 pages qui a été envoyé aux rédactions, il apparaît que les thèmes du programme de Bruno Le Maire sont classés non par ordre d’importance mais alphabétiquement. Sage précaution destinée à ne pas fâcher ceux dont les priorités se retrouveraient ainsi classées en queue de peloton si la hiérarchisation était faite sur l’importance de tel ou tel thème… C’est ainsi que les questions relevant de "l’Intérieur" sont traitées entre "Institutions" et "Justice" (ce qui n’est d’ailleurs pas si faux…). Les mesures préconisées par Bruno Le Maire sont assez spectaculaires : embauches destinées à renforcer les missions sur le terrain des représentants des policiers et des militaires ; renforcement du rôle des maires qui se trouvent mis au centre du processus de sécurité…

Les deux plus originales parmi toutes les mesures qu’il préconise sont celles-ci : 1) contraventionnalisation des infractions courantes (occupation de halls d'immeubles, usage de stupéfiant – avec une mention spéciale sur le cannabis traité p.889 - …) ; 2) Simplification du code de procédure pénale pour faciliter le travail des policiers et des gendarmes.

Aucun autre candidat à droite ne propose ce type de mesures. La seconde mesure revient à permettre aux détenteurs de l’autorité publique de faire à peu près tout et n’importe quoi… Il n’est pas du tout certain que ce genre de proposition, destinée à "faire du buzz", survive à une saisine du Conseil constitutionnelle voire à une Question Prioritaire de Constitutionnalité. On notera que Bruno Le Maire condamne quasiment sans aucune restriction la politique sécuritaire qui a été conduite entre 2007 et 2012 par Nicolas Sarkozy (suppression des RG, etc.) en rétablissant intégralement les effectifs supprimés.

En revanche, pour tout ce qui concerne les mesures de "pleine souveraineté" (déchéance de nationalité, fin du regroupement familial, etc.) on constate que Bruno Le Maire n’est pas libéral pour deux sous. Il ne se différencie d’aucune figure de la droite classique hormis peut-être d’Alain Juppé, beaucoup plus "humaniste" dans son discours… Au risque d’ailleurs de passer pour un dangereux utopiste rêvant d’identité heureuse aux yeux d’une majorité d’électeurs de la droite militante qui iront voter les 20 et 27 novembre. Bruno Le Maire, lui, plus habile, leur envoie des signaux forts.

Maxime Tandonnet : Dans le domaine de régalien, M. Bruno le maire touche un point essentiel en préconisant un renforcement du pouvoir et de la responsabilité des maires. Ils sont les plus proches de la réalité de terrain. Il leur appartient de définir et de conduire la politique locale de sécurité, en matière de prévention des crimes et des délits et de protection des population, dans le cadre d'une coordination départementale par les préfets. Ce volet du projet comporte nombre de vœux  intéressants mais dont on a du mal à voir ce qu'ils recouvrent de bien nouveau: renforcer la coordination police gendarmerie, élaborer un plan national de lutte contre les cambriolage. Il prône une "justice d'exception" contre le terrorisme. La sévérité de la justice est-elle vraiment le fond du problème face à des individus déterminées à mourir en tuant un maximum de personnes? Sur le sujet de l'immigration, central dans le projet de M. Le Maire, les propositions semblent s'éloigner de la réalité de terrain. Il propose curieusement de conditionner le regroupement familial au revenu d'un travail adapté à la taille de la famille. Tel est déjà le cas depuis les réformes de 2006 et 2007. Il préconise un contrat d'accueil et d'intégration obligatoire, qui existe depuis 2003, renforcé en 2006. Quand à son idée de mettre fin au caractère suspensif des recours devant la justice en cas de mesure d'éloignement (si l'on a bien compris), elle serait illégale au regard des principes constitutionnels, de la CEDH et du droit européen. 

Sur l'emploi

Maxime Tandonnet : En matière d'emploi, les propositions de Bruno Le Maire vont à l'évidence dans le bon sens: allègements de charges pour les entreprises, privatisation de pôle emploi, création d'une allocation de solidarité unique favorisant la reprise d'un emploi, simplification de la vie des entreprises. Un point de son programme sur l'emploi et la réindustrialisation mérite une attention particulière: sa volonté clairement affirmée de renforcer et de développer l'apprentissage, la formation professionnelle, la revalorisation du travail manuel et des formations technologiques, l'objectif de renforcer les liens entre l'entreprise et l'éducation nationale, pour la relance de l'industrialisation de la France, une politique qui est au centre de la réussite allemande. Ces propositions sont une clé de l'avenir économique de la France. Cet engagement en faveur d'un rapprochement du modèle allemand semble être la touche particulière du projet en matière économique.

Jean Petaux :Bruno Le Maire est bien moins "libéral" que plusieurs de ses concurrents à la primaire de la droite et du centre. Si Mariton est fidèle à ses origines idéologiques et ne déroge pas à son dogme "libéro-libéral", Nicolas Sarkozy et Alain Juppé sont très en retrait par rapport à une ligne libérale pure et dure (surtout Sarkozy d’ailleurs qui a bien compris que pour ne pas laisser filer l’électorat de droite au FN il faut lui parler "protection sociale"…). Bruno Le Maire propose quelques mesures symboliques destinées à frapper l’opinion comme la suppression des cotisations patronales pour les emplois à domicile. C’est très visible mais cela ne va pas créer des dizaines de milliers d’emplois. Dans le même ordre d’idées, l’exonération totale des charges pour tout emploi créé dans une Très Petite Entreprise entre le 1er septembre et le 31 décembre 2017  est destinée à frapper les esprits mais rien ne dit que cela aura un impact économique à long terme une fois passé "l’effet d’aubaine" qui se présentera pour les TPE concernées.

La mesure la plus symbolique proposée par Bruno Le Maire en matière économique et sociale est évidemment la privatisation de Pôle Emploi… C’est le seul à préconiser ce choix radical.

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