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Pourquoi les universitaires français sont aujourd’hui massivement à gauche (alors qu'ils ne le sont pas tous au départ...)
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Infiltration

Alors que beaucoup d'observateurs jugent le milieu universitaire fortement ancré à gauche, cette hypothèse se confirme pleinement dans les chiffres. Un constat qui s'explique, entre autres, par le niveau de diplôme des chercheurs, leur statut de fonctionnaire et l'influence culturelle de leur domaine de spécialité.

Raul  Magni Berton

Raul Magni Berton

Raul Magni Berton est professeur de sciences politiques. Il a enseigné à Paris, Montréal et Bordeaux et enseigne depuis 2009 à l’Institut d’Études politiques de Grenoble. Spécialiste de politique comparée, il travaille sur les régimes, les élections et l’opinion publique, surtout dans les pays européens. Il a publié plusieurs livres et articles dont Démocraties libérales (Economica, 2012) et Que pensent les penseurs ? (PUG, 2015).

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Atlantico : Dans votre ouvrage Que pensent les penseurs ? co-écrit avec Abel François, vous effectuez une enquête sociologique sur le milieu universitaire français. Alors que ce milieu est bien souvent catalogué "à gauche", est-ce un constat que vous vérifiez dans votre étude ?

Raul Magni-Berton : Oui, définitivement. En particulier, nous avons posé la question du placement sur une échelle en 10 points qui va de l'extrême-gauche à l'extrême-droite, et leur moyenne est de 3,8 (donc bien à gauche), contre 5 pour la population française. Aucun autre groupe professionnel n'affiche de tels scores. Même parmi les groupes réputés plutôt de gauche (fonctionnaires, ouvriers, chômeurs), aucun n'a des réponses aussi marquées. De plus, ces résultats valent pour toutes les disciplines, de la physique à l'histoire en passant par l'économie et la biologie. En fait, les disciplines qui se situent le plus à droite - la chimie ou le droit - sont quand même en moyenne plus à gauche que toutes les autres catégories socio-professionnelles. 

Comment expliquer ce décalage assez net entre les opinions politiques des universitaires français et le reste de la population ? Est-ce dû à leur formation, leur statut, leur poste actuel, leurs études… ?

Ce qui est étonnant, c'est que les universitaires ne viennent pas nécessairement de familles de gauche. Lorsqu'ils sont amenés à placer leurs parents sur une échelle, on observe que leurs parents ne diffèrent pas de la moyenne nationale. En général, donc, les universitaires ne sont pas de gauche, ils le deviennent. Globalement, des facteurs structurels ont une forte influence : le niveau de diplôme et le statut de fonctionnaire sont associés au positionnement de gauche, et les universitaires que nous avons étudiés cumulent les deux aspects. Il y a également des facteurs culturels : les disciplines intellectuelles, et particulièrement les sciences sociales, ont massivement été investies par la gauche. 

Au-delà de ces facteurs, il apparaît qu'il y a deux "gauches" à l'université. La première est centrée sur des idées fortement démocrates et égalitaristes, mais reste minoritaire. L'autre est centrée sur les valeurs scolaires : il faut que l'on récompense davantage les diplômes et le savoir, au détriment d'autres activités moins nobles. Cette conviction n'a pas, en elle-même, une allure de gauche, mais elle le devient lorsqu'on identifie l'économie de marché comme la source principale de trouble de l'ordre scolaire. En particulier, les universitaires qui voient le succès scolaire comme déconnecté du succès sur le marché du travail, sont fortement hostiles au marché et orientés à gauche. C'est cette gauche plutôt élitiste qui ressort le plus des réponses des universitaires.

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Quelles conséquences peut-on observer vis-à-vis de cette situation d'hégémonie intellectuelle de la "gauche" dans le milieu académique ? Y a-t-il des sujets qui ne sont pas traités ? Les universitaires formant une grande partie des élites de demain, cette situation d'ancrage à gauche du milieu académique français est-elle vouée à se reproduire ?

L'effet d'une orientation massivement de gauche n'est pas partout la même. Les mathématiciens ou les physiciens de gauche n'ont vraisemblablement pas des cours ou des publications qui diffèrent substantiellement de ceux de droite.  Parmi les auteurs les plus cités, par exemple, Darwin est le plus populaire, bien que les groupes politiques qui s'en sont revendiqués ont été plutôt de droite. Simplement, la théorie darwinienne, en elle-même, n'est ni de gauche ni de droite. 

La situation est un peu différente dans les sciences sociales. Celles-ci traitent d'objets qui sont associés à des enjeux politiques. Il faut donc être particulièrement rigoureux pour ne pas mélanger enjeux politiques et enjeux scientifiques. Malgré tout, on peut aisément sentir ces orientations dans les travaux en sciences sociales. Par exemple, les partis de gauche sont plus étudiés que les partis de droite où, à l'inverse, le vote pour l'extrême-droite nous étonne plus que le vote pour l'extrême-gauche. 

Cela dit, il ne faut pas exagérer les biais des universitaires, ni leur influence. Les universitaires américains sont aussi beaucoup plus à gauche de la population. Pour autant, les Etats-Unis restent un pays massivement hostile aux politiques de gauche. En France, après des décennies d'enseignements par des universitaires socialistes, nous avons deux partis de droite en tête des sondages. 

En ce qui concerne le futur de l'université, il me paraît assez stable. Les enquêtes similaires dans d'autres pays, ainsi que les travaux français plus anciens, font état d'un fort ancrage à gauche dans l'université. L'ancrage à gauche n'est pas du tout une caractéristique de l'université française actuelle, mais une caractéristique très répandue du monde universitaire en général. 

Au-delà de la question de savoir si c'est souhaitable ou pas, quels moyens pourraient être mis en œuvre pour "rééquilibrer" davantage les opinions politiques des universitaires français (formation, mode de recrutement, changement de statut, ouverture sur l'extérieur, salaire, etc.) ?

C'est difficile à dire. Aux Etats-Unis, la gauche est majoritaire aussi dans les universités privées. Dans les années 1970, elle était même plus présente chez les universitaires les mieux payés. Par ailleurs, il n'y a pas de preuve concernant les biais de recrutement. Récemment, des sociologues américains ont envoyé des candidatures d'étudiants fictives dans les universités en incrivant parfois dans les CV "j'ai travaillé pour la campagne de McCain" et parfois "j'ai travaillé pour la campagne d'Obama". Les seconds n'ont pas été plus avantagés que les premiers. Enfin, concernant les formations, les universitaires n'ont pas eu des formations si différentes que les diplômés qui deviennent cadres supérieurs et qui votent à droite. 

Bref, si on voulait que la droite soit plus représentée à l'université, il faudrait opter pour une méthode bien plus radicale, comme, par exemple, instaurer un régime communiste. Dans les pays d'Europe de l'est, cela semble avoir marché. 

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