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Aller simple Hollywood pour le Sud-Soudan : George Clooney en croisade contre les kleptocrates du plus jeune Etat du monde
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THE DAILY BEAST

Engagé en faveur des droits de l’homme, George Clooney s’est entretenu avec le rédacteur en chef du Daily Beast, John Avlon. L’acteur a présenté Sentry, sa nouvelle initiative pour lutter contre la corruption afin de venir en aide au peuple du Soudan du Sud.

John Avlon

John Avlon

John Avlon est rédacteur en chef du Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast - John Avlon

Inciter les Américains à se préoccuper des atteintes aux droits de l’homme perpétrées à l’autre bout du monde n’est pas une mince affaire. Mais il est encore plus délicat de les mobiliser dans la lutte contre à la corruption qui alimente ces massacres. C’est pourtant ce que tentent d'accomplir l’acteur George Clooney et le défenseur des droits humains John Prendergast avec leur nouveau projet, The Sentry (en français, "La sentinelle").

"Les criminels de guerre n’ont honte de rien", explique Clooney : "Mais on peut couvrir de honte les membres de la communauté internationale : les banques et banquiers, les juristes. Il existe de nombreuses personnes qui peuvent être pointées du doigt, et qui ne veulent pas être associées à ces atrocités".

C’est là qu’entre en scène The Sentry. "La sentinelle" s’appuie sur un partenariat avec Satellite Sentinel, un précédent projet lancé en 2010 par George Clooney, qui utilise des images satellite en temps réel afin de détecter les mouvements de troupes et arrêter les massacres avant qu’ils ne soient commis. Cette nouvelle initiative s’attaque aux racines de bon nombre de conflits au Soudan du Sud : non pas les rivalités ethniques, mais l’appât du gain et la cupidité.

Pour vous rafraîchir la mémoire, voici le tableau de la situation actuelle au Soudan du Sud dressé John Prendergast, fondateur du Projet Enough : "Le président a limogé le vice-président et l’a chassé du pays en 2013, principalement pour s’assurer que sa faction aurait tout de champ libre et toutes les opportunités de corruption. Mais ce n’était qu’une question de temps avant que le vice-président et sa faction ne se frayent à nouveau un chemin vers le pouvoir, parce que c’est tout ou rien. La guerre a éclaté ; c’est un incendie qui a ravagé tout le pays… Ils utilisent les hélicoptères d’attaque. Ils utilisent le viol comme arme de guerre. Ils recrutent des enfants soldats et envoient cette chair à canon dans les villages pour massacrer les citoyens. Ce sont les pires violations des droits de l’homme perpétrées dans le monde. Voilà ce que traverse le Soudan du Sud depuis qu’il est tombé aux mains de voleurs au cours des deux dernières années".

C’est une kleptocratie particulièrement brutale, où l’argent coule à flots pour financer les trains de vie luxueux des élites politiques ainsi que l’équipement militaire qui est retourné contre le peuple.

Pour George Clooney, ce projet s’inscrit dans le prolongement de son engagement, qui consiste à mettre à profit sa célébrité pour inciter le public à se soucier d’autre chose que de la célébrité. Il a gardé confiance dans le peuple du Soudan du Sud. En 2011, son engagement acharné a participé à raviver l’attention de l’opinion publique internationale au sujet du référendum sur l’indépendance du Soudan du Sud. Promis depuis longtemps, le référendum a finalement abouti à un vote à 98% en faveur de l’indépendance, provoquant la séparation entre le Soudan du Sud et le gouvernement islamiste d’Omar el-Béchir au Soudan.

Dans le cadre d’un reportage pour Newsweek, j’ai voyagé à travers le Soudan avec George Clooney et John Prendergast pendant une semaine au moment du référendum. Même pendant les célébrations, auxquelles a participé le sénateur d’alors John Kerry, George Clooney est resté très attentif afin de ne pas trop se rapprocher du nouveau président Salva Kiir, craignant déjà qu’il puisse dériver sur la même pente glissante qu’un Robert Mugabe ou un Charles Taylor. Il était aussi lucide : l’opinion américaine a la mémoire courte. Il plaisantait à moitié en disant qu’il faudrait peut-être tourner un "Real Housewives au Soudan" pour conserver l’attention du public au sujet des fortunes amassées par la plus jeune nation du monde. Avec The Sentry, il a clairement réussi à braquer les projecteurs sur la situation sous un angle théâtral et dramatique.

L’initiative de Clooney et Prendergast s’accompagne d’un rapport d'enquête sur la corruption rampante au Soudan du Sud. Il décrit une situation digne d’un scénario hollywoodien. On y rencontre le fils du président, qui, a seulement 12 ans, contrôle déjà 25% d’une entreprise pétrolière ; un obscur marchand d’armes russe qui utilise le nom de guerre grotesque de "Mark Goldmann" ; une chaîne de casino chinoise qui mise gros sur ce pays où plus de 2 millions de personnes sont déplacées... Le neveu du vice-président a pris le contrôle par les armes d’une entreprise de sécurité parce que les associés lui avaient imprudemment demandé de payer pour acquérir ses parts. Des généraux achètent des villas de luxe et des BMW avec leurs modestes salaires de 65 000 dollars mais avec l’aide d’un puissant beau-fils surnommé "Smart boy for life", qui fait pleuvoir l’argent sur le réseau international de l’élite politique sud-soudanaise, pendant que ses concitoyens meurent de faim dans le pays.

A côté de ces histoires ubuesques d’outrances et de corruption, le site de Sentry présente aussi une série de propositions pour lutter contre la kleptocratie en utilisant les outils dont le gouvernement américain et le monde des affaires disposent déjà.

Des sanctions ciblées sur des individus précis peuvent être imposées en étendant la portée des décrets afin de prendre en compte la corruption publique et le détournement de fonds. Mais jusqu’ici, les sanctions globales mises en place, accompagnées de très peu de suivi, ont coupé les vivres aux honnêtes citoyens, sans véritablement dissuader les responsables des exactions, déstabilisant un peu plus la jeune nation.

"Il faut y aller au scalpel", explique Clooney, "pas à la machette".

Le rapport recommande également qu’une partie du budget du Patriot Act soit utilisée par le Département du Trésor pour lutter contre le blanchiment d’argent, à travers un contrôle assidu de l’argent sale et un examen des transactions immobilières des membres de la famille.

Le rapport recommande également au département du Trésor d’utiliser les dispositions du Patriot Act pour lutter contre le blanchiment d’argent, à travers un contrôle assidu de l’argent sale et un examen des transactions immobilières des membres de la famille des élites politiques et militaires.

Une proposition plutôt ironique de la part de George Clooney, qui avait fait entendre une critique sans concession du Patriot Act sous l’administration de George W. Bush. "Quiconque tient à la démocratie considère forcément certains aspects du Patriot Act avec une certaine inquiétude", admet l’acteur. "Mais je crois que certaines dispositions s’avèrent particulièrement pratiques dans cette situation précise et je ne vois aucun mal à examiner les finances des personnes qui commettent des atrocités. Et si ce n’était pas prévu par le Patriot Act, cela devrait être dans une autre loi".

Une fois leur plan mis en place, Clooney et ses associés ont rencontré le président Barack Obama, la conseillère à la sécurité nationale Susan Rice et le secrétaire d’Etat John Kerry dans les 24 heures suivant la présentation de l’initiative au National Press Club.

"Nous ne faisons pas partie du gouvernement. Nous ne pouvons pas délivrer d’assignations à comparaître. Nous ne pouvons pas geler les avoirs", explique George Clooney. "Nous pouvons seulement inciter le gouvernement à le faire, et en tant que défenseurs des droits de l’homme, c’est précisément notre rôle".

Mais le gouvernement, selon lui, ne peut apporter qu’une partie de la solution. Le traçage de l’argent nécessite aussi la coopération des banques – et il faut les aider à admettre qu’elles ont intérêt à participer au maintien de l’ordre.

Des sociétés étrangères ont réalisé des paiement directs en faveur des généraux et des responsables politiques du Soudan du Sud, leur permettant de faire circuler facilement leur argent sale entre les différents membres de leur famille, les propriétés et les comptes bancaires. La clé du problème consiste à neutraliser les relais et les facilitateurs économiques de la kleptocratie.

"Nous vous mettons sous les yeux la preuve que vous aidez à blanchir cet argent utilisé pour commettre des atrocités", argue George Clooney, imaginant une discussion avec les banquiers profiteurs : "Je sais que vous ne voulez pas être impliqués là-dedans, et nous sommes certains qu’il y a là un outil dissuasif efficace".

"Les banques peuvent devenir nos alliées dans cette affaire", ajoute John Prendergast.

Le but ultime est d’aider le Soudan du Sud à bâtir les institutions civiles susceptibles de développer une société civile, mais cela requiert à la fois du temps et un Etat de droit, bien davantage que de la force brute. Pour ce faire, les gouvernements étrangers et les corporations doivent réclamer davantage de transparence et de responsabilité de la part des élites sud-soudanaises. Mais l’alternative est un nouvel Etat en déliquescence [*], avec encore plus de chaos, de souffrances et de carnages.

"Il ne s’agit pas seulement de contrôler l'origine de l’argent", précise George Clooney, qui veut faire comprendre aux Américains, qui détournent souvent les yeux devant les crimes financiers, pourquoi ils doivent rester attentifs aux conséquences de la corruption au Soudan du Sud.

"Si cet Etat se trouve en échec, d’une manière ou d’une autre, les influences qui arriveront au pouvoir peuvent toujours s’avérer dangereuses ; elles n’ont jamais été amicales à l’égard des Etats-Unis. Ce que nous proposons est infiniment moins coûteux. Vous êtes assis chez vous, par exemple à Cincinnati dans l’Ohio, là d’où je viens, et vous vous demandez "Pourquoi devrais-je m’en préoccuper ?". Vous devez vous en préoccuper parce que vous ne voulez pas d’un Etat défaillant. Un tel chaos est un terreau propice aux évènements tragiques et ces évènements peuvent nous toucher".

[*] La notion d’"État en déliquescence" ou "État défaillant" est proposée par le Fund for Peace qui a construit un indicateur pour caractériser un État qui ne parvient pas à assurer ses missions essentielles, comme le respect de l’État de droit. Cette notion controversée est utilisée pour légitimer une intervention de la communauté internationale, qui serait ainsi autorisée à "reconstruire" les États déficients.

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