Pourquoi le service minimum est autrement plus indispensable dans le secteur aérien qu'à la SNCF<!-- --> | Atlantico.fr
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"D'un point de vue démocratique (et je n'engage que moi), la liberté d'aller et venir est un droit supérieur à celui de la grève."
"D'un point de vue démocratique (et je n'engage que moi), la liberté d'aller et venir est un droit supérieur à celui de la grève."
©Reuters

7ème ciel

Trafic aérien perturbé ce lundi. Plusieurs organisations syndicales de personnels du transport aérien ont appelé à la grève. Elles refusent le "service minimum".

Pascal Perri

Pascal Perri

Pascal Perri est économiste. Il dirige le cabinet PNC Economic, cabinet européen spécialisé dans les politiques de prix et les stratégies low cost. Il est l’auteur de  l’ouvrage "Les impôts pour les nuls" chez First Editions et de "Google, un ami qui ne vous veut pas que du bien" chez Anne Carrière.

En 2014, Pascal Perri a rendu un rapport sur l’impact social du numérique en France au ministre de l’économie.

Il est membre du talk "les grandes gueules de RMC" et consultant économique de l’agence RMC sport. Il commente régulièrement l’actualité économique dans les décodeurs de l’éco sur BFM Business.

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Air France avait bien besoin d'une telle grève dans le transport aérien ! L'entreprise est très sensible à la conjoncture. Elle est attaquée par les compagnies du Golfe qui ne payent que très peu de charges et lui livrent ainsi une concurrence déloyale sur les marchés asiatiques. Ses lignes court courrier sont cannibalisées par le TGV, dopé aux subventions publiques, directes ou indirectes, et par les low cost. Ses résultats l'obligeront à réaliser 2 milliards d'économie d'ici à la fin 2014.

Bref, pour Air France, comme pour beaucoup d'autres compagnies aériennes, le ciel est loin d'être dégagé. Les économistes tablent sur une croissance globale du transport aérien, mais ils rappellent que la croissance du transport est double de la croissance (tout court), quand celle-ci est supérieure à 2 %. Inutile de faire un dessin, l'Europe sera en dessous.

Comment comprendre le conflit de ce jour dans un tel contexte, et comment l'analyser ? Les syndicats de l'entreprise, à commencer par les pilotes, entendent protester contre la mise en place d'un service garanti pour les passagers du transport aérien en cas de grève. Le syndicalisme du transport aérien a raté un épisode de l'évolution économique. L'avion s'est démocratisé. Le transport aérien est devenu un mass market, ouvert à tous.

Les syndicalistes ont-ils vu le changement d'échelle, eux qui ont été biberonnés aux avantages et aux GP ? Ont-ils compris que les déplacements sont devenus stratégiques dans des sociétés ouvertes comme les nôtres ? Ont-ils bien compris que les contraintes d'un marché de masse imposent de repenser la production et de changer les modes de pensée ? L'élargissement du transport aérien a créé des emplois, des activités nouvelles, la contrepartie est qu'il doit être traité à l'égal de toutes les activités de masse comparable.

Le droit de grève est constitutionnel, tout comme la liberté d'aller et venir. D'un point de vue démocratique (et je n'engage que moi), la liberté d'aller et venir est un droit supérieur à celui de la grève. Il ne s'agit pas de nier le droit de grève, il s'agit de rappeler une loi fondamentale de la vie en société telle que John Locke la formulait dès la fin du XVIIe siècle : l'homme pourrait jouir sans limite de ses droits à l'Etat de nature, mais il n'en aurait qu'une jouissance très précaire tant sa liberté absolue serait soumise aux empiètements de tiers.

Oui, pour pouvoir jouir durablement d'une liberté, il faut accepter qu'elle soit relative et non absolue. Or le droit de grève est, quoi qu'on  en dise, une atteinte à la liberté des tiers, qui sont en l'espèce les voyageurs. Demander aux grévistes de se déclarer 48 heures à l'avance n'est pas un recul démocratique mais au contraire un acte de bonne gouvernance pour tout le reste de la société. Les syndicalistes du transport aérien, dont les pilotes, donnent souvent l'impression d'adhérer à la politique du TPMG : tout pour ma gueule. Je n'ai pas inventé cette expression, c'est un syndicaliste de la CFDT qui me l'avait soufflé.

Le service garanti est donc une double exigence : en termes de libertés publiques et sur le terrain strictement économique. La SNCF a du s'y adapter et personne ne s'en plaint. Le droit de grève n'a pas été entaché ou remis en cause et les clients (non pas les usagers) y ont vu un progrès incontestable. Les grèves à la SNCF coutent cher, mais qui s'en soucie ? Les pertes sont mutualisées dans les comptes de l'entreprise. Le transport ferroviaire coûte déjà fort cher à la communauté nationale, les quelques dizaines de millions d’euros supplémentaires perdus dans les grèves ne se voient pas.

Il n'en va pas de même dans le transport aérien, et c'est un argument de plus pour justifier le projet de service minimum garanti. Les pertes lourdes occasionnées par les grèves surprises se payent au prix fort et c’est l’entreprise qui règle la note (et non la caisse de communauté). Le transport aérien est une activité à fort volume et à faible marge. On y perd en une semaine ce qu'on a mis des mois à gagner. Il y aurait donc dans ce secteur une justification économique de plus à encadrer le droit de grève. Quelque chose qui ressemblerait dans la vie de tous les jours au droit de vivre.

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