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Donald Trump plus démocrate qu’Hillary Clinton ? Comment le candidat républicain s’émancipe de plus en plus des principes  “sacrés” de son parti sur la protection sociale
©Reuters

Le candidat des femmes ?

Ce mercredi 14 septembre, Donald Trump a donné un discours où il s'est prononcé en faveur d'une politique de protection des familles et des femmes, proposant notamment un congé maternité obligatoire de six semaines, rémunéré par l'État. En tenant de tel propos, le candidat républicain est, à nouveau, à contre-courant de la ligne défendue par son parti.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico : Ce mercredi, Donald Trump a donné un discours où il s'est prononcé en faveur d'une politique de protection des familles et des femmes, proposant notamment un congé maternité obligatoire de six semaines, rémunéré par l'État. Dans quelle mesure, en formulant de telles propositions, Donald Trump s'émancipe-t-il du cadre défini par le parti républicain ? Qu'a de "révolutionnaire" son discours dans un pays comme les Etats-Unis ?

Jean-Eric Branaa : Cette proposition est véritablement révolutionnaire pour un républicain ; d’ailleurs, certains élus de ce parti ne savaient même pas quoi répondre aux journalistes qui leur demandaient leur sentiment à propos de cette mesure : ils n’y avaient tout simplement jamais pensé parce qu’elle n’aurait jamais dû être proposée par l’un des leurs !

La proposition se heurte en effet à trois écueils idéologiques puissants pour le parti conservateur : il y a d’abord, bien sûr, la question du coût. Le poids sera forcément d’une manière ou d’une autre reporté sur les PME, ce qui n’est pas imaginable dans un contexte de reprise encore fragile et ne manquera pas de détruire des milliers d’emplois. Cela signifierait également une augmentation des impôts, autre cheval de bataille des Républicains, qui reprochent aux Démocrates cette propension à voter des mesures avec l’argent des autres. Mais surtout, il s’oppose à un principe de limitation de l’intervention de l’Etat : les Républicains n’en peuvent plus de voir l’Etat intervenir dans la vie privée ou dans le domaine du social. Ces questions-là n’appartiennent pas au domaine réservé de la puissance fédérale et les Républicains font une lecture très restrictive de la Constitution des Etats-Unis. Ce texte suprême stipule clairement que tout ce qui n’est pas spécifiquement délégué à l’Etat fédéral doit être exercé par les autorité locales, ou par les Etats. Les batailles sont incessantes à ce sujet, et elles ont été très aigües ces dernières années à propos de la couverture santé ou de l’éducation.

Le congé maternité payé n’existe pas aux Etats-Unis. Pour être couvert, il faut avoir souscrit une assurance spécifique, ou travailler dans une entreprise qui a bien voulu le mettre en place. On peut rappeler toutefois que la loi (le Family Act) a déjà prévu un congé maternité ou paternité qui dure 12 semaines et que toutes les femmes ou les hommes peuvent prendre ; mais il n’y a aucun salaire ni allocation attaché à cette opportunité.

Est-ce la première fois que Donald Trump adopte un discours à contre-courant de celui de son parti ? En quoi est-il, en certains aspects, plus proche des démocrates que des républicains ?

Non, ici comme ailleurs Donald Trump est imprévisible : il a pris plusieurs positions par le passé, et durant cette campagne, qui sont à contre-courant de son parti. Dans le passé, il se disait proche du Parti démocrate, qu’il a d’ailleurs financé à de nombreuses reprises. Mais, plus récemment, au cours de la dernière année, ses prises de position ont été parfois très déroutantes. Ainsi, il a repris certaines des idées de Bernie Sanders, admettant que les Américains ne gagnent vraiment pas suffisamment d’argent pour vivre décemment et estimant que monter le taux du salaire minimum à 15 dollars pouvait être un objectif. Ce n’est toutefois pas le sien pour le moment, bien qu’il ne l’exclue pas. Autre thème très à rebours de la pensée dominante au Parti républicain : l’avortement. Il a fait des propositions très confuses à ce sujet, déclarant un jour qu’il fallait punir les femmes qui avortent, pour rétropédaler le lendemain en expliquant que celles qui en arrivent à cette extrémité sont en grande souffrance et doivent être aidées. Au final il se déclare "pro-choice", c’est-à-dire qu’il souhaite laisser le choix aux femmes, alors que la quasi-totalité du Parti républicain est vent debout contre ce choix et bascule plutôt dans le camp des "pro-life", en opposition à l’avortement parce que le fœtus est déjà un être humain.

Donald Trump ne cesse donc de surprendre par des prises de position qui sont volontiers qualifiées d’extrême au sein du Parti républicain, même si, à y regarder de plus près, il s’agit surtout d’un artifice de communication, le candidat étant suffisamment habile pour rester flou sur tous ces sujets polémiques. Un bon exemple est son attitude vis-à-vis de la communauté LGBT, qu’il semble laisser en paix, voire être à l’écoute de leurs demandes : on l’a entendu réagir posément et de façon très pragmatique à une polémique qui a enflammé les Etats-Unis en début d’année et qui portait sur les toilettes qui devaient être utilisées par les transgenres. Républicains et Démocrates se déchiraient sur cette question alors que Donald Trump, interrogé à ce sujet, a simplement répondu que les personnes concernées sauraient bien décider où aller. Du bon sens qui cache toutefois la vraie question sur laquelle il ne se prononce pas : quid du mariage gay ? Mais il faut dire que la question a été tranchée nationalement par une décision de la Cour Suprême juste avant le début de la campagne, le 25 juillet 2016. 

A moins de deux mois de l'élection présidentielle, comment le parti républicain va-t-il réagir aux déviations de son candidat ? Par ailleurs, comment les positions de Trump, notamment en matière sociale, vont-elles influencer la campagne d'Hillary Clinton ?

Paradoxalement, le Parti républicain ne va avoir aucune réaction, autre qu’une mauvaise humeur qui sera exprimée par quelques pontes. En réalité, on est bien trop près de l’échéance pour que qui que ce soit n’endosse la responsabilité de gripper la machine. D’autant qu’avec les ennuis récents auxquels fait face Hillary Clinton, la dynamique vient de se retourner et le vent souffle dans le dos de Donald Trump. Beaucoup commencent à penser que s’il ne commet pas d’erreur lors des débats à venir, il sera le prochain président des Etats-Unis. Enfin, il ne faut pas oublier que d’autres batailles électorales seront menées le 8 novembre à travers tous les Etats-Unis : des sénateurs, des députés (appelés "représentants" dans ce pays), des milliers d’élus dans les Etats ou au niveau local joueront peut-être leur siège, qui dépendra aussi en partie de la dynamique nationale obtenue, ou pas, par le candidat à la présidentielle. Hillary Clinton, quant à elle, va tenter de reprendre la main sur une thématique qui aurait dû être un de ses points forts : elle l’avait inscrite dans ses propositions dès la fin 2014, et répétée lors de son entrée en campagne en avril 2015. Elle va donc se battre pour les détails qui font la différence : la proposition de Trump, par exemple, ne concerne que les femmes et excluent les hommes, qui peuvent vouloir bénéficier d’un congé paternité en accompagnement ou à la place de la maman ou parce qu’ils sont gays. Il y a donc un volet discriminant évident. Cette limitation aux femmes pourrait également avoir des répercussions négatives sur l’emploi des femmes, que les employeurs pourraient alors être tentés d’écarter, du moins celles susceptibles d’avoir des enfants. La proposition, d’Hillary Clinton, enfin, prévoyait 12 semaines payées, et non pas 6, ce qui fait une différence de taille. Quelques détails parmi d’autres qui seront l’occasion de multiples échanges entre les deux candidats, avec une candidate démocrate qui n’a pas l’intention de se laisser dépouiller de son programme sans réagir. Et la lutte promet d’être féroce car chacun sait bien que le diable se cache toujours dans les détails.

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