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Comment le rouleau-compresseur de la mondialisation a mis fin au modèle de société français, ouvrant la voie au multiculturalisme à l'américaine
©artsper - Michel Le Belhomme

Bonnes feuilles

Le géographe constate que les classes dominantes captent l'essentiel des bienfaits de la mondialisation en imposant un modèle inégalitaire et défendent un discours qui décrit leur réalité mais pas celle des classes populaires. Le discours anti-Front national n'est alors qu'un prétexte et exclut encore un peu plus la France périphérique. Extrait de "Le Crépuscule de la France d'en haut", de Christophe Guilluy, aux éditions Flammarion 2/2

Christophe Guilluy

Christophe Guilluy

Christophe Guilluy est géographe. Il est l'auteur, avec Christophe Noyé, de "L'Atlas des nouvelles fractures sociales en France" (Autrement, 2004) et d'un essai remarqué, "Fractures françaises" (Champs-Flammarion, 2013). Il a publié en 2014 "La France périphérique" aux éditions Flammarion et en 2018 "No Society. La fin de la classe moyenne occidentale" chez Flammarion.

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Le modèle mondialisé accouche d'une société banalement multiculturelle. Une société travaillée par ses tensions et ses paranoïas identitaires, ses logiques séparatistes, ses ségrégations spatiales, parfois ses émeutes ethniques, en quelque sorte une société "américaine" comme les autres. Mais pouvait-il en être autrement ?

Le rouleau compresseur de la mondialisation, les abandons successifs de souveraineté et le choix de l'immigration par le grand patronat ont mis fin au modèle assimilationniste républicain1. Si la loi de 1905, l'école obligatoire et gratuite et l'État-providence nous protègent encore d'une communautarisation à l'américaine, le morcellement de la société française est enclenché. Le débat entre "multiculturalistes" et "républicains" est vif, mais il est déjà tranché par le réel. Et si les Français restent attachés au modèle républicain, laïque et égalitaire, leur réalité est déjà celle d'une société multiculturelle et de ses dérives communautaires.

La fin des illusions

Cela se passe en France : en mai 2016, l'entraîneur (blanc d'origine française) de l'équipe de France est accusé d'être raciste parce qu'il n'a pas sélectionné des joueurs d'origine maghrébine. Didier Deschamps n'a évidemment pas exclu des joueurs parce qu'ils étaient "arabes", et l'affaire sera vite oubliée, mais elle illustre parfaitement l'état de tension culturelle de la société française. Dans un pays où des joueurs et des artistes français d'origine maghrébine peuvent traiter de "raciste" un entraîneur blanc (avec un patronyme très "français") parce qu'il n'a pas sélectionné assez d'"Arabes" et (donc) trop de "Noirs" et de "Blancs", il est peut-être temps d'arrêter de faire jouer la fanfare républicaine. Et de s'en tenir à l'essentiel : entre paranoïa identitaire et revendications communautaires, on assiste banalement au déploiement d'une société multiculturelle, une société sous tensions, conforme au modèle mondialisé. Cette société "américaine" imprègne fortement les milieux populaires depuis des années, notamment les nouvelles générations. Cette tension est perceptible dans tous les milieux, et il suffit d'une étincelle pour que, comme aux États-Unis, les radicalités s'expriment. Dans la ville de Montreuil (Seine-Saint-Denis), une rumeur de pédophilie dans une école maternelle concernant un enfant noir a ainsi généré de vives tensions entre une association identitaire noire et la mairie, soupçonnée de protéger un pédophile blanc. L'association a très vite mis en avant le caractère racial de l'agression supposée et a reçu le soutien de personnalités noires du monde médiatique. Même si l'affaire a été classée sans suite par la Brigade des mœurs, elle était potentiellement explosive dans une ville particulièrement clivée socialement, spatialement et culturellement : une forte communauté noire et pauvre y côtoie une nouvelle bourgeoisie boboïsée et blanche.

La référence aux origines, à la religion, à la culture, à la race s'est banalisée dans la jeunesse populaire, c'est vrai en banlieue parmi les "minorités" noires, musulmanes, juives, c'est de plus en plus vrai dans la jeunesse populaire d'origine française blanche qui fait désormais (effet miroir) de plus en plus référence à son identité culturelle, religieuse, régionale et ethnique. Qu'on le veuille ou non, nous en sommes là. La référence n'est plus le "commun républicain", mais le commun "multiculturel" (quand ce n'est pas le "commun communautaire"), où chacun porte a minima une identité contrainte. Les "minorités" ont été les premières concernées, mais le processus a atteint l'ensemble des catégories populaires, quelles que soient leur origine ou leur religion. C'est dans ce contexte d'instabilité démographique, où les majorités peuvent devenir des minorités (et inversement), que le "Blanc est devenu blanc".

"Le vivre-ensemble est une blague, une blague sanglante", disait Jacques Julliard, pour qui le communautarisme, c'est‑à-dire la juxtaposition sur un même territoire de communautés diffé- rentes par l'origine géographique, la langue, la religion, l'histoire, la culture, la philosophie, est une énorme faillite. Ce constat est largement partagé en Europe, de David Cameron à Angela Merkel3, qui affirmait hier que "le multiculturalisme était un échec" (c'était avant que le patronat allemand exige l'arrivée d'un million de migrants en 2015). Julliard ajoute que "l'Europe, si le phénomène devait persister, ne lui survivrait pas […], [que] nos nations multiculturelles sont donc devant une alternative brutale, sans échappatoire : intégration ou guerre civile. Seule la version universelle de l'humanisme, héritée de la chrétienté, des Lumières et de la Révolution fran- çaise, nous permettra d'échapper à ce désastre".

Extrait de "Le Crépuscule de la France d'en haut", de Christophe Guilluy, aux éditions Flammarion, septembre 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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