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Pourquoi sommes-nous toujours occupés ? Parce que nous le voulons bien
©Allociné

Contre-la-montre

Dans cette société où la technologie nous permet de faire toujours plus et toujours mieux, nous vivons esclaves de nos emplois du temps. Et si on l'employait moins, le temps ?

Voilà qui est paradoxal. En voulant décharger l'homme des tâches les plus difficiles et chronophages, nous avons amélioré nos technologies, les avons rendues plus performantes, plus productives, pour, idéalement, libérer – en partie – l'humain du fardeau qu'est le travail. Et pourtant, nous nous disons toujours plus occupés. Si pour certains philosophes, le travail est un moyen pour l'homme de s'accomplir, il est surtout aujourd'hui un beau plat de semoule dans lequel nous pédalons gaiement – ou pas.

Perception du temps

Pourquoi n'arrivons-nous pas à nous défaire de nos to-do lists malgré l'avènement de ces technologies qui devaient nous rendre la vie si facile ? C'est sur cette question, occurrente en ce XXIème siècle, que s'est penchée la chaîne britannique BBC. En effet, nous nous disons toujours trop occupés, pressés par notre emploi du temps, étouffés par nos agendas. Une malicieuse étude publiée en 2014 va dans ce sens : la majorité des personnes qui ne s'arrêtaient pas pour y répondre arguaient "ne pas avoir le temps".

Le temps est-il devenu un bien de luxe ? Nous chérissons le bon vieux temps conté par les générations précédentes, et l'on se dit qu'avant, c'était mieux. On se dit qu'on travaillait moins, qu'on passait davantage de temps avec nos enfants… Ce qui est faux. Depuis les cinquante dernières années, le temps de travail en Europe et en Amérique du Nord n'a pas significativement évolué, et nous passons même davantage de temps avec nos bambins. "La somme totale de travail est à peu près la même qu'il y a cinquante ans", confirme Jonathan Gershuny, professeur en sociologie à l'Université d'Oxford interrogé par la BBC.

Quête infinie

Nous ne sommes ainsi pas plus occupés qu'auparavant. Mais là où l'inactivité était autrefois forcée – bien que le mot soit péjoratif – en raison de notre dépendance à la nature (par exemple, les récoltes agricoles ne se font qu'à un certain moment de l'année, tout comme la tonte des moutons), elle est devenue impossible car la technologie a émancipé l'homme de manière à ce qu'il puisse travailler tout le temps, s'il le désire. À cause de la tertiarisation de nos emplois, le travail de pensée a pris le dessus sur le travail de labeur. Ce que le défunt consultant en management d'entreprise Peter Drucker appelait le knowledge work (travail par la connaissance) est la conséquence de l'avènement des technologies. Il nous suffit d'un clic pour accéder à une somme d'informations inouïe, le tout n'importe où et n'importe quand grâce à nos smartphones. Ainsi, il nous est permis d'en savoir toujours plus, d'amonceler toujours davantage de connaissances pour sortir du lot. Un puits sans fond, puisque, cercle vicieux oblige, tout le monde veut se démarquer. Et ainsi débute un engrenage sans fin, dans une quête infinie de savoir. Dans un monde où le temps est de l'argent, nous pensons, vivons productivité et espérons faire le plus de choses avec le moins de temps possible. Une manie dont nous finissons à la botte.

Bande passante

Et vous vous en doutez : ce n'est pas très bon ni pour notre mental, ni pour notre productivité que nous nous efforçons d'améliorer chaque jour. En effet, comme le précise l'économiste Sendhil Mullainathan dans cet article de Time, notre cerveau ne peut nous permettre de concurrencer le temps. Nous réfléchissons à notre emploi du temps, mais il nous faut davantage penser à l'emploi de ce que ce professeur à Harvard appelle notre cognitive bandwidtch (bande passante cognitive), c’est-à-dire la durée pendant laquelle nous sommes capables d'être efficaces, celle-ci étant inférieure au temps, évidemment infini. Cette course contre la montre nous mène à nous concentrer sur des tâches inutiles – celles qui surchargent notre to-do list – et à devenir égoïstes. Nous sommes moins à l'écoute, n'arrivons pas à décrocher de la sphère professionnelle et mêlons les principes de productivité aux cercles qui devraient en rester vierge : la famille et les amis. Nous leur demandons comment ils vont, mais nous n'attendons et n'obtenons que des réponses sur la manière dont ils occupent leur temps. Est-ce pourtant l'objectif d'une telle question ?

Oui, l'évolution de notre société est paradoxale. Autrefois, la liberté de ne pas travailler était un symbole de richesse. Mais de nos jours, "les meilleurs de notre société sont souvent occupés, et doivent l'être",explique Jonathan Gershuny à la BBC. Le mot de la fin est pour Staffan Linder, politicien suédois cité dans les colonnes de The Economist : "Vous occuper peut vous rendre riche, mais devenir riche ne vous rendra que plus occupé". 

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