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Pourquoi la campagne 2012 
ne se jouera pas sur l'économie 
malgré la crise
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It's NOT the economy, stupid !

It's the economy, stupid ! Bill Clinton en avait sa phrase "talisman" en 1992 pour vaincre George Bush senior : en période de crise, il avait tout misé sur l'économie pour se faire élire. Pourtant, malgré la crise, ce qui préoccupe les Français, le thème central de la campagne 2012 pourrait bien ne pas être économique...

Christian Delporte

Christian Delporte

Christian Delporte est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Versailles Saint-Quentin et directeur du Centre d’histoire culturelle des sociétés contemporaines. Il dirige également la revue Le Temps des médias.

Son dernier livre est intitulé Les grands débats politiques : ces émissions qui on fait l'opinion (Flammarion, 2012).

Il est par ailleurs Président de la Société pour l’histoire des médias et directeur de la revue Le Temps des médias. A son actif plusieurs ouvrages, dont Une histoire de la langue de bois (Flammarion, 2009), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine (avec Jean-François Sirinelli et Jean-Yves Mollier, PUF, 2010), et Les grands débats politiques : ces émissions qui ont fait l'opinion (Flammarion, 2012).

 

Son dernier livre est intitulé "Come back, ou l'art de revenir en politique" (Flammarion, 2014).

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Atlantico : On se souvient de la phrase de Bill Clinton qui avait marqué sa campagne victorieuse contre George Bush senior en 1992 : "It's the economy, stupid!". Elle était destinée à souligner que George Bush avait trop négligé son mauvais bilan économique et la récession que les Etats-Unis avaient connu durant son mandat et qu'il ne serait pas sauvé par son bilan historiquement impressionnant (fin de la guerre froide, victoire dans la première guerre du Koweit dont il était d'ailleurs sorti avec un taux d'approbation de 90%). Bill Clinton, lui, avait misé sur un programme centré sur l'économie. Alors que la France est en pleine crise, peut-on considérer que la présidentielle française va se jouer autour des questions économiques ?

Christian Delporte: Que nous disent les enquêtes d’opinion ? Bien sûr, les Français sont inquiets des dérives de la dette ou des effets de la mondialisation. Mais ce qui les préoccupe d’abord, ce sont les conséquences sociales de la crise : le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, l’éducation, la santé et, de manière de plus en plus prégnante, le logement. Autrement dit, et plus largement, tous les dangers du déclassement social (pour les parents et leurs enfants). Les enquêtes ne disent rien des équilibres budgétaires, du déficit commercial, ou d’une hypothétique réforme du capitalisme à laquelle peu de Français croient vraiment. Ils s’angoissent avant tout pour leur quotidien. Si les questions posées sont d’ordre économique, les réponses attendues sont d’ordre social.

Si personne ne nie l'importance de la crise, sa complexité n'est-elle pas rebutante pour les électeurs, peut-être plus sensibles aux "valeurs" qu'à l'économie ?

CD: Surtout lorsque le débat tourne à la bataille de chiffres, comme jeudi dernier entre Fillon et Aubry ! Même s’ils ne dominent pas les mécanismes économiques, les Français sont aujourd’hui prêts à l’effort : là aussi, les enquêtes nous le disent. Mais un effort justement partagé et qui se traduit, à court, moyen et long terme par des améliorations concrètes. C’est là que la question des "valeurs" rejoint le débat sur la crise et qu’à cet égard la référence à une répartition "juste" des efforts peut porter dans l’opinion. Il y a aujourd’hui un profond sentiment d’injustice ("les sacrifices sont toujours demandés aux mêmes, aux faibles, aux obscurs") dont profitent les candidats autoproclamés "anti-système", Le Pen, Mélenchon et même Bayrou. En période crise, les sacrifices inégaux sont ressentis comme intolérables et les "valeurs" apparaissent comme des refuges nécessaires. C’est une erreur de croire que la crise se résout exclusivement par des réponses économiques. Voyez l’Italie : le gouvernement des "techniciens" est aussi une rupture avec le berlusconisme et ses dérives en tous genres. Et puis, n’oublions pas qu’une élection présidentielle se gagne toujours sur la confiance en un homme qui incarne des valeurs.

La présidentielle 2002 s'est sans doute jouée sur le thème de l'insécurité, celle de 2007 sur la valeur travail. Quel pourrait être le thème principal de la campagne 2012 ? 

CD: Le chômage et l’emploi dominent les préoccupations collectives et, de plus en plus, le pouvoir d’achat. Ce dernier thème est éclairant sur les inquiétudes qui montent, l’"effort" collectif attendu devant précisément se traduire par une compression du pouvoir d’achat. Pour y consentir, il faut que les Français aient réellement le sentiment que les sacrifices demandés sont équitablement répartis. C’est pourquoi, même s’il n’est pas le seul, le thème de la justice, au sens social du mot (comme créateur de lien social), sera très sensible dans l’opinion.

La clé du succès d'une campagne tient notamment à la gestion de l'agenda. Qui vous semble pour l'instant vainqueur dans sa capacité à maîtriser cet agenda des sujets au coeur des préoccupations des Français ?

CD: Dans la perspective définie, François Hollande : il s’est approprié le mot "justice" (fiscale, notamment) et son discours du Bourget a pris en compte une préoccupation qui montait et restait jusqu’alors peu reprise par le discours politique, la question du logement. Nicolas Sarkozy, lui, est « plombé » par l’image du candidat qui avait promis d’être le "Président du pouvoir d’achat". Son défi, alors, est de montrer qu’il réduira massivement et rapidement le chômage. C’est bien la question de l’emploi (le pouvoir d’achat n’a plus de sens pour quelqu’un qui a perdu son emploi, a-t-il dit en substance, dimanche dernier) qui devrait être au cœur de sa campagne. Pour l’heure, l’avantage est indéniablement à Hollande car il domine au moment de la campagne où l’électorat, traditionnellement, se cristallise. Sarkozy, lui, est parvenu à remobiliser son électorat cette semaine (et à écarter, au moins provisoirement, les dangers Le Pen et Bayrou). Reste que, selon tous les sondages, Hollande apparaît, aux yeux des Français, comme le mieux placé pour résoudre les problèmes de chômage !

Propos  recueillis par Aymeric Goetschy

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