"The Greatest" : comment l'hommage de Sia aux victimes de l'attentat d'Orlando pourrait faire d'elle la pop-star la plus importante du moment <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
"The Greatest" : comment l'hommage de Sia aux victimes de l'attentat d'Orlando pourrait faire d'elle la pop-star la plus importante du moment
©

THE DAILY BEAST

Une femme de plus de 40 ans, qui cache son visage sous une perruque... Et pourtant, elle pourrait être la chanteuse la plus importante en ce moment. L'hommage de Sia aux victimes de Orlando en est une preuve.

Kevin Fallon

Kevin Fallon

Kevin Fallon est journaliste pour The Daily Beast.

Voir la bio »

Kevin Fallon - The Daily Beast

Tout ce que fait Sia est remarquable.

C'est une formulation peut-être évidente, ou bien trop enthousiaste, selon ce que vous cherchez en matière de pop stars qui cachent leur visage derrière des perruques de cabaret et qui s'appuient (peut-être trop) sur des recettes bien éprouvées pour grimper au sommet des hit-parades, que ce soit pour elle, ou pour d'autres.

Son dernier morceau, qui sera bientôt un hit, ajoute un autre titre à une collection de succès, et une nouvelle approche à son modèle musical désormais familier, tout en réussisant quelque chose d'extrêmement rare : rendre un hommage aux victimes d'une tragédie qui ne soit pas insipide, sacharriné, mais vital et réel. The Greatest réunit à nouveau Sia et Maddie Ziegler, sa muse âgée de 13 ans qui apparait dans quatre vidéos musicales différentes comme le porte-parole de Sia. La chanson a une familiarité merveilleuse, elle nous captive par ses tintements rythmiques sur des paroles discrètes, presque maussades, avant d'exploser en un choeur ecclésiastique.

C'est cette même chanteuse-compositrice qui explose dans le style rock de stade qui fonctionne si bien pour elle avec Cheap Thrills, Chandelier et, voyons, la plupart des chansons de Sia. Le morceau et le clip sont un hommage émouvant  aux victimes du night club Pulse, abattues durant le massacre qui a fait quarante-neuf victimes parmi la communauté LGBT de Floride. Avec Maddie Ziegler et quarante-neuf autres jeunes danseurs précoces et très talentueux, elle mime ceux qui ont perdu la vie en dansant dans ce club, en juin. La vidéo réussit l'exploit presque impossible de rendre hommage avec une chanson et une vidéo qui sont vraiment... et bien, de grande qualité.

Pour voir la vidéo du clip The Greatest de Sia, cliquez ici

L'histoire de la musique est jonchée d'hommages aux victimes de tragédies, généralement lourds, moralisateurs,  trop sérieux, et produits en toute hâte (même si bien intentionnés). Que The Greatest s'écoute si bien, et soit si efficace d'un point de vue émotionnel est aussi rare que remarquable. Mais là encore, on pourrait dire la même chose du succès de Sia en général. Comment, par exemple, l'une des plus grandes stars de la pop peut-elle être à la fois une énigme et omniprésente ? Dans une ère où l'accessiblité est désormais une exigence pour les célébrités, Sia a pris la décision raisonnée de cacher non seulement la plus grande partie de sa vie privée, mais aussi son visage, reprenant ainsi le contrôle intégral de son image en la dissimulant littéralement. Voilà une prise de position qui, sous certains aspects, devrait être considérée comme insupportable, ou complaisante.  Et pourtant, avec Sia, nous ne faisons pas que l'excuser. Nous la regardons avancer en trébuchant sur le tapis rouge, avec cette grosse perruque de dessin animé, et nous la respectons, ainsi que les côtés d'elle derrière lesquels elle se cache, littéralement, et symboliquement.

En dépit de toute la réserve apparente de Sia, essayez d'y échapper en ce moment ! Son morceau Cheap Thrills est son premier single en tant qu'interprète à devenir numéro un. A propos de remarquable, elle est aussi la première femme de plus de 40 ans à arriver en tête du Billboard 100 depuis seize ans.  Ajoutez-y d'autres tubes de l'artiste, de Chandelier à Alive, en passant par son interprétation envoutante de Unforgettable pour la bande-son de Finding Dory. Sans oublier sa production artistique soignée qui est presque aussi aimée que les morceaux qu'elle a écrit pour d'autres artistes : Rihanna (Diamonds), Beyoncé (Pretty Hurts), Ne-Yo (Let Me Love You), Britney Spears (Perfume), et Jessie J (Flashlight). Depuis que Max Martin et Linda Perry ont atteint le statut de faiseurs de stars dans les années 2000, en donnant leurs sons à Britney Spears, Christina Aguilera, Kelly Clarkson, et Pink, personne d'autre n'a défini autant le paysage pop d'un moment particulier, surtout quand il s'agit du 'son' des grandes chanteuses. The Greatest ne représente pas moins que le meilleur de Sia, et peut-être encore mieux. Tout d'abord, c'est un talent remarquable (encore ce mot) que de faire ce qui est véritablement la même chose encore et encore et encore, sans ennuyer.

Sia applique une recette très particulière ici, mais elle l'a élevée au-delà du point de production industrielle pop qui aurait apparenté ses morceaux à de la musique dite "fast-food". Elle est exceptionnelle au point de nous obliger à revenir pour en redemander, avec des goûts assez complexes pour maintenir notre intérêt éveillé. Il y a quelque chose dans la tessiture de la voix de Sia, quelque chose de rugeux, d'enroué - pas autant que Kelly Clarkson par exemple - mais qui est assez vibrant, vivant, pour vous rendre vaguement nerveux quand elle atteint les registres les plus aigus. Ce qui donne aux paroles les plus anodines quelque chose d'urgent, d'intense. “Uh-oh, running out of breath, but I / Oh, I, I got stamina…” chante-t-elle, en faisant pulser sa voix d'une façon qui accélère vos battements de coeur autant que la ligne musicale du morceau, en accélérant jusqu'au moment où le choeur arrive enfin et où elle hurle, extatique : “I’m free to be the greatest, I’m alive”. Cela vous remplit du genre d'oxygène à caractère émotif qu'elle recherche lyriquement parlant. En terme de formule, il n'y a pas grande différence ici avec les autres chansons de Sia. Mais il faut reconnaitre qu'avoir un style musical très reconnaissable est intéressant.

L'esthétique de la vidéo de The Greatest est familière, également. Ici encore, Maddie Ziegler, avec une perruque à la Sia, exécute une danse contemporaine dans un décor délabré, qui met en contraste l'innocence de sa jeunesse avec la maturité de la chorégraphie et l'espace dans lequel elle danse. Une petite différence cette fois-ci : Maddie Ziegler a troqué sa perruque platine pour une entièrement noire, comme un brassart de deuil pour Orlando. La vidéo commence et s'achève par un silence lourd, assourdissant, celui qui suit une explosion près de vos tympans. Disons-le, des coups de feu. Là, on voit Maddie Ziegler pleurer des larmes couleur arc-en-ciel. Il faut beaucoup de talent pour s'en tirer en utilisant cette imagerie si LGBT, si visuellement marquée, sans avoir la main lourde. Mais c'est ce qui peut être dit de toute la vidéo. C'est un coup au coeur que de voir les quarante-neuf enfants qui sont les doublures des victimes du Pulse, alterner la danse, et parfois, une fuite désespérée pour sauver leur vie. Que le décor ressemble si fort à une prison est d'autant plus horrifiant. Qu'elles aient été surprises en train de danser ou qu'elles aient tenté d'échapper au pire, les victimes étaient piégées quand le meurtrier les a pourchassées. Symobliquement, le club qui était vu comme un refuge pour une communauté, est devenu une chambre de la mort. A la fin du clip, tous les enfants se laissent tomber par terre, en masse, évoquant le carnage dans le club après les coups de feu. La séquence a un sens sous-jacent encore plus douloureux : que toutes les victimes étaient les enfants de quelqu'un, qu'il y avait de l'innocence dans chacun d'entre eux, arrachés par la haine violente d'un autre.La chanson elle-même, à l'exception des paroles qui parlent de triomphe, de vaincre l'adversité, de fierté, ne semble pas directement ou exagérement reconnaître que c'est un hommage. C'est probablement ce qui la rend aussi efficace.  

Si cette chanson devient un autre hit de Sia, elle poursuivra ce qui est malheureusement devenu un triomphe improbable : une artiste dans la quarantaine qui s'installe dans le succès commercial. .Avant que Madonna ne décroche ce statut de numéro un en 2000 avec Music, seule Cher (1999), Bette Midler (1989), Aretha Franklin (1987), et Tina Turner (1984) peuvent se prévaloir d'avoir été une femme de plus de 40 ans dont un single est devenu numéro un. Ce n'est pas que le succès au-delà de cet âge soit impossible.. Barbra Streisand est la chanteuse dont les albums se vendent le plus dans le pays. La tournée nationale de Dolly Parton affiche complet, et Jennifer Lopez continue à fasciner à Las Vegas et où qu'elle se produise. Mais avoir ce genre de domination sur la programmation musicale de la radio et des hit-parades est incontestablement rare. Meme si nos divas de la pop continuent à être des forces de la nature sur des périodes de plus en plus longues. 

Que faut-il en déduire sur la façon dont notre société considère le vieillissement, les femmes, et la viabilité commerciale quand Sia est la première femme de plus de 40 ans à avoir un hit mais aussi, sur le fait qu'elle ne montre pas son visage ? Nous allons tenter de ne pas plonger dans la déprime de cette façon. Mais peut-etre que c'est aussi ce qui est le plus remarquable avec Sia. Elle ne donne pas un visage à une chanson, ou à une cause, ou aux femmes d'un âge particulier dans la musique pop.  Au lieu de cela, elle leur a donné une voix.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !