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"En finir avec l'économie du sacrifice" : comment Henri Guaino attaque la question économique par la face nord
©Capture d'écran Youtube

Un peu de hauteur

A l'occasion de cette rentrée du livre politique, Henri Guaino attaque de front l'ensemble des idées économiques les plus confortables de l'actuelle pré-campagne électorale. Un livre qui vient à point nommé pour changer les termes d'un débat trop étriqué au regard des défis qui attendent le pays.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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"Renouveau", "libérer les énergies", "briser les tabous", "conduite du changement"... La France politique ne compte plus ses slogans d'apparence, ceux-ci n'ayant d'autre vocation que la préservation de l'existant. Le statu quo. Quand le débat politique s'enferme durablement dans une volonté de resservir les idées les plus anciennes dans un subtil emballage de fraîcheur retrouvée. A contre-courant, Henri Guaino, dans un ouvrage aussi imposant qu'exigeant, "En finir avec l'économie du sacrifice" (Odile Jacob, 658 pages), s'attaque à l'immense tâche de vouloir comprendre. En usant de références aussi classiques qu'actuelles, entre John Stuart Mill et Ben Bernanke, en s'écartant des chapelles idéologiques, donnant la parole à John Maynard Keynes comme à Milton Friedman, en écrasant l'idée du tout économique dans une approche incluant la sociologie, l'anthropologie, la démographie, l'histoire et la psychologie, le livre d’Henri Guaino fait figure d'anomalie au sein de cette rentrée du livre politique, largement plus fournie en textes du type "libérer, délivrer, en 10 propositions".

Parce que les têtes penseuses françaises, qualifiées par l'auteur de "trop bons élèves qui nous gouvernent", tendent à croire que ce qui doit être fait pour le pays relève de l'évidence, et que seul manquerait le courage politique, Henri Guaino accepte d'en douter. Douter que les recettes proposées si souvent ne coïncident pas avec le mal qui touche le pays. Dès lors, la réflexion commence en se basant sur l'observation. Les inégalités existent, elles s'accroissent, la mondialisation ne fait pas QUE le bonheur ; elle a aussi d'autres conséquences, et les classes moyennes en payent le prix. Le curieux idéal libéral français, symbolisé par un "j'aime l'entreprise" exclusif et universel, et qui n'a de libéral que le nom, a du plomb dans l'aile, et la réalité ne parvient pas à prétendre le contraire. Pour Henri Guaino, l’entreprise n’est pas tout, elle est un pilier, mais parmi les autres.

En renvoyant dos à dos communisme et ultra-libéralisme, Henri Guaino cherche le moyen d'apprivoiser l'économie de marché afin de la mettre au service du plus grand nombre : "L'échec économique du communisme, avec ses gaspillages, sa pénurie, sa misère, son oppression, sa tyrannie bureaucratique, règle le sort de l'extension indéfinie du domaine d'une forme unique d'organisation. Les excès d'une orthodoxie néolibérale, accompagnée elle-même de son cortège de détresses matérielles et morales, d'exclusion, de violence, d'injustices, de sa tyrannie de la marchandisation qui détruit toutes les solidarités et dévalorise le don de soi et toutes les formes de civilité, signent sous nos yeux, à leur tour, l'échec de l'extension indéfinie du domaine du marché. La politique sacrificielle surgit de l'obsession des coûts au détriment de tout le reste…".

Ainsi, afin de se confronter au diagnostic, Henri Guaino ne se contente pas de convoquer les dernières analyses les plus influentes de la doctrine économique, tout en refusant d'importer des solutions toutes faites venues d'un autre monde. Le modèle allemand en ligne de mire. Il s'agit aussi d'osciller entre le passé et le présent, entre ce qui pourrait relever de l'universel et ce qui touche au spécifique. Parce que la France présente des spécificités. Et si l'identité est devenue un thème majeur lors de cette pré-campagne électorale de 2017, cette notion semble être totalement oubliée dès lors que le champ économique est abordé. Une erreur selon l'ancien locataire de l'Élysée, qui indique que "toute politique qui chercherait à imposer à l'une la culture de l'autre sera vouée à l'échec". Non pas que certains pays seraient hermétiques à la croissance, mais que les recettes ne peuvent être identiques pour tous.

"Les recherches sur les effets économiques de la culture n'impliquent selon eux (Yuriy Gorodnichenko et Gérard Roland - Université de Berkeley) en aucune façon une hiérarchie des cultures. Il s'agit au contraire de mieux comprendre les motivations et les systèmes de valeurs à partir desquels les individus appartenant à des cultures différentes effectuent leurs choix. Ils n'en déduisent pas une politique de changement culturel car on s'abstrait difficilement de son histoire familiale, du milieu culturel dans lequel on a été éduqué, on ne change pas de pays comme on change de métier, la culture d'un groupe humain ne se modifie que très lentement et sur la très longue durée. En résumé, la culture est une donnée sur laquelle on ne peut pas plaquer n'importe quelles politiques, n'importe quelles institutions".

Un autre apport de ce livre est d'introduire la question macroéconomique au sein d'une campagne électorale qui a trop tendance à considérer la France comme un îlot préservé de toutes les forces externes, en abordant, par exemple, un thème aussi peu attrayant qu'essentiel au développement du pays : la politique monétaire. En traitant la question du poids de la menace déflationniste qui pèse sur le pays, et sur l'Europe, Henri Guaino touche un sujet que d'autres préfèrent éviter. Trop techno, trop européen, inutile sur un plan électoral, mais absolument décisif dans la conduite d'une politique économique. La macroéconomie européenne intéresse peu, elle est pourtant massivement responsable de la stagnation du continent.

Dans une approche globale, Henri Guaino se confronte à l'ensemble des dogmes en mesurant leur pertinence réelle. Réformes structurelles, marchés financiers, flexibilité du travail, dépenses publiques, politique du logement, concurrence : les idées reçues sont disséquées, et parfois démontées. Il n'est pas question de valider l'ensemble des propositions formulées par Henri Guaino, il s'agit avant tout de reconnaître l'ampleur du travail et le sérieux des questions abordées. C’est-à-dire l'opportunité que représente la publication de ce livre pour élever un débat économique qui semble vouloir se cantonner à des questions n'ayant d'autre objectif que d'exprimer le clivage politique, "pour ou contre l'ISF ?". Plutôt que de vouloir entrer dans le cœur du sujet. Dans un monde d'une complexité sans précédent, alors que les défis prochains semblent déjà insurmontables (robotisation, déflation, accroissement des inégalités, chute de la productivité), il est de bon ton de changer de braquet.

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