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L’étrange campagne : comment François Fillon tire une balle dans le pied de son propre projet en se focalisant sur Nicolas Sarkozy
©Reuters

Mauvais buzz

La récente sortie de François Fillon sur la mise en examen de Nicolas Sarkozy a fait beaucoup de bruit. Si le candidat à la primaire de la droite est parfaitement conscient de l'impact médiatique de ce genre de formules, en se lançant ainsi dans une stratégie du buzz, il prend le risque que son programme, fruit de longues années de travail, soit occulté et marginalisé médiatiquement.

Saïd Mahrane

Saïd Mahrane

Saïd Marhane est rédacteur en chef au journal hebdomadaire Le Point. Il couvre particulièrement l'actualité politique.

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Roland Hureaux

Roland Hureaux

Roland Hureaux a été universitaire, diplomate, membre de plusieurs cabinets ministériels (dont celui de Philippe Séguin), élu local, et plus récemment à la Cour des comptes.

Il est l'auteur de La grande démolition : La France cassée par les réformes ainsi que de L'actualité du Gaullisme, Les hauteurs béantes de l'Europe, Les nouveaux féodaux, Gnose et gnostiques des origines à nos jours.

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Atlantico : Lors de son discours à l'université d'été des Républicains ce samedi 3 septembre à La Baule, François Fillon a refusé de parler de lutte contre le communautarisme, estimant que cela revenait à "ne pas nommer le problème que nous avons avec l'islam radical". S'il est régulièrement présenté comme le candidat ayant le programme le plus abouti, aussi bien sur les questions économiques que diplomatiques, il apparaît que ce sont ses charges à l'encontre de Nicolas Sarkozy qui sont les plus reprises par les médias. N'existe-t-il pas un paradoxe François Fillon, qui, par sa propre véhémence à l'égard de l'ancien Président, contribue à la marginalisation médiatique de son projet ?

Saïd Mahrane : Avant de parler d'un paradoxe, je parlerais d'une injustice François Fillon. En effet, très tôt après l'élection présidentielle de 2012, il a annoncé sa volonté de se présenter à la présidentielle de 2017. Très tôt il a travaillé sur un programme de "redressement national" et a débuté un tour de France pour aller à la rencontre des Français, les écouter, percevoir leurs attentes.

Avant ses sorties contre Nicolas Sarkozy, c'est la crise à l'UMP et la guerre fratricide qui l'a opposé à Jean-François Copé qui ont fortement nui à son image.

Deuxièmement, certaines de ses déclarations ont pu être maladroites ou incomprises de la part des Français comme de ses proches. Je pense notamment à sa consigne de vote lors des élections municipales. Il estimait que les électeurs devaient voter, lorsque la droite n'était plus en lice, pour le "moins sectaire" des candidats quelle que soit son étiquette, Front national compris : pour la première fois, un élu de droite ouvrait la voie à un vote FN. Cette déclaration a décontenancé jusqu'à ses amis politiques.

Néanmoins, tout au long de cette période, il n'a eu de cesse de travailler, de voyager, de rencontrer du monde (des Français issus de catégories modestes comme des patrons) pour élaborer son projet.

Il a mis l'accent sur l'économie, pensant que l'économie devait être centrale, que c'était la clé de tout et qu'un point de croissance en plus permettrait de régler bien des problèmes. De ce fait, il a un peu négligé la question de l'identité, chère à de nombreux militants. Même Alain Juppé s'est emparé du sujet en théorisant "l'identité heureuse". Chez Fillon, ce sujet paraît pour le moins secondaire. L'avenir, proche, nous dira s'il a raison.

Son propos consistant à dire que parler du communautarisme permet de ne pas parler du vrai défi, en l'occurrence l'islam radical, révèle la hantise de François Fillon - partagée par Alain Juppé - : une plus grande fragmentation de la société. Parler de communautarisme - même s'il n'est pas dans le déni quant à l'existence de ce phénomène - revient pour lui à "chercher des poux" sur la tête des communautés et notamment de la communauté musulmane. Sa sortie récente sur RTL ("Il y a un certain nombre de gens à droite qui ont une sorte de réflexe pavlovien : dès qu'on parle des musulmans, ils se mettent à éructer") montre qu'il est pour l'apaisement, qu'il considère que les tensions sont à leur comble et qu'il ne sert à rien de les amplifier. Néanmoins, s'il est favorable à une société apaisée, il n'hésite pas à parler de ce qu'il considère être le vrai problème, la vraie menace, c’est-à-dire l'islamisme et sa version terroriste, le djihadisme.

Je ne sais pas s'il est pénalisé par ses sorties sur Nicolas Sarkozy - ce sont les militants et sympathisants de la droite et du centre qui le diront -. Dans son discours de rentrée politique, il a ouvert de nombreux chapitres : géopolitique, politique intérieure, économie. Mais ce qui a évidemment fait le plus de bruit et les gros titres, c'est sa petite phrase sur la mise en examen de Nicolas Sarkozy et le fait que l'on n'imaginerait pas de Gaulle ainsi.

Il y a une sélection de la part des médias dont Fillon connaît très bien la logique : il savait pertinemment qu'en disant cela, il prenait le risque d'occulter le reste de son discours. Ses petites phrases relèvent de la stratégie. Il sait qu'il n'a plus rien à perdre car il est autour de 10% dans les intentions de vote : il a besoin de taper fort, notamment sur Nicolas Sarkozy, et veut se faire entendre, notamment sur la question de l'éthique et de la morale en politique. François Fillon se veut quelqu'un de moral, quelqu'un qui n'a pas l'habitude de fréquenter des condamnés, des gens mis en examen ou peu fréquentables à l'inverse de Nicolas Sarkozy (dans son esprit bien sûr). Il se pose ainsi sur le terrain de la morale pour mieux dénoncer le caractère parfois un peu sulfureux de Nicolas Sarkozy et d'une partie de son entourage. Il me semble que le noyau dur des militants républicains n'a pas apprécié sa sortie, car ils considèrent que la primaire ne doit pas conduire à ce type de propos s'apparentant à un coup sous la ceinture. Mais, en même temps, ce discours peut trouver un certain écho chez des sympathisants qui sont plutôt hostiles à Nicolas Sarkozy et qui font de la morale en politique une question essentielle.

Roland Hureaux : A vous entendre, c'est le procès des médias qu'il faudrait faire. J'ai écouté attentivement le discours de Fillon à La Baule : sur 32 minutes, il ne parle que de son programme. Il dit au passage qu'il "faut restaurerle crédit de l'Etat" : mais n'est-ce pas une évidence ? Qui prétendra que le crédit de l'Etat est à son plus haut niveau ? Et qui dira, s'il ne l'est pas, qu'il ne faut pas le restaurer ?

C'est pourquoi il me parait très exagéré de parler de véhémence de Fillon à l'égard de Sarkozy qu'il ne cite d'ailleurs pas. Vous ne savez pas ce qu'est la véhémence véritable !

Il est vrai que les programmes, surtout s'ils sont aboutis, comme celui de Fillon a la réputation d'être, n'excitent pas les foules ; on sait qu'ils existent et c'est déjà bien mais on ne les consulte guère (d'autant que les programmes des candidats à la primaire de la droite se ressemblent). Fillon a réussi à ce que la rumeur publique dise qu'il a un bon programme, et c'est déjà beaucoup, mais ça ne suffit pas.

François Fillon, à qui on reprochait d'être terne et trop bien élevé dans ses propos, a souffert de cette image de garçon sage qui ne dit jamais un mot de trop. Voilà qu'il se réveille, peut-être trop tard.

Annoncer qu'il ne va pas dénoncer le communautarisme mais l'islam radical nous sort de la langue de bois et c'est une très bonne chose, tout simplement parce que c'est la vérité : mettre toutes les religions dans le même sac quant aux menaces qu'elles feraient peser sur la République, ce serait mentir. 

S'agissant de Sarkozy, voilà là aussi que Fillon se réveille. Ce qu'il a dit à Sablé-sur-Sarthe, qu'un candidat à la présidence de la République ne devait pas être en examen, est-il faux ? C'est en tout cas une vraie question. Dans ce cas-là, c'est le fond qu'il faut discuter : si on n'est pas d'accord, dire et prouver qu'on peut se présenter à la présidence en étant en examen. Et il y a des arguments pour cela : l'arbitraire de beaucoup de juges les ferait-il aussi juges de la primaire de droite ? Ils feraient ainsi planer une menace sur les candidats les plus intègres ! Mais au lieu d'argumenter, on s'indigne d'une attaque inacceptable, profanatoire. Ca me paraît très exagéré.

Et si, même fondée, cette allusion était inopportune ? Eh bien tant pis. Nous sommes dans une société médiatico-politique si surveillée que les seules chosent qui importent sont les dérapages. Sarkozy a gagné en 2007 parce qu'il avait parlé des "racailles", sans vraiment le faire exprès. Bayrou a eu alors un bon score parce qu'il a giflé un gamin insolent. Donald Trump montre l'exemple d'une campagne entièrement faite de dérapages de toutes sortes, voulus ou pas, qui l'ont fait monter peu à peu dans les sondages, au moins chez les Républicains.

Il reste clair que ce n'est pas là le genre de Fillon. Il s'y met, non à déraper, mais à tenir des propos un peu vifs, à sortir de la langue de bois. Loin de lui en faire reproche, j'aurais tendance à poser la question : n'est-ce pas trop peu, trop tard ?

Au point où il en est dans les sondages, il ne risque pas grand-chose. Il doit jouer son va-tout, il ne doit donc pas reculer devant les éclats. C'est la seule chance qu'il ait de remonter.

Par ailleurs, dans quelle mesure l'angle d'attaque de François Fillon pourrait-il lui être fatal si Nicolas Sarkozy venait à remporter la primaire ? En évoquant l'idée qu'on n'imaginerait pas le Général de Gaulle mis en examen, en attaquant la probité de Nicolas Sarkozy, François Fillon n'est-il pas en train de s'exclure lui-même en cas de victoire de son rival ? Est-ce encore possible pour lui de soutenir un Nicolas Sarkozy victorieux de la primaire ?

Saïd Mahrane : Si Nicolas Sarkozy remporte la primaire, François Fillon sortira du jeu politique. Il tape tellement fort que cela va forcément laisser des traces. On l'imagine mal revenir demain au pouvoir sous les ordres de Nicolas Sarkozy après avoir dit autant de mal, après avoir dit que durant cinq ans, en tant que Premier ministre, il avait serré les dents et qu'il était parfois en contradiction avec la politique voulue par le président de la République. Il faut quand même rappeler qu'en 2010, quand la question de son remplacement à Matignon s'est posée, François Fillon avait fait des pieds et des mains pour être maintenu, au détriment de Jean-Louis Borloo. C'est ça le paradoxe Fillon : il dit à la fois qu'il n'était pas d'accord avec tout à Matignon, qu'il ne partageait pas la philosophie et les orientations politiques du président de la République, et en même temps il a tout fait pour être reconduit à Matignon.

Roland Hureaux : A supposer que Sarkozy gagne la primaire, rien n'empêchera François Fillon ou un autre de le soutenir. On se réconcilie beaucoup plus que vous ne le croyez en politique. Entre-temps, le peuple se sera prononcé, le peuple de droite en tout cas. Au demeurant, que pourrait attendre Fillon d'une victoire finale de Sarkozy ? Etre à nouveau Premier ministre ? Je pense que Fillon sera un partenaire loyal. On peut avoir plus de craintes sur les séquelles de l'affrontement Sarkozy-Juppé qui promet d'être saignant.

Vous parlez de victoire finale de Sarkozy, mais je vous rappelle que c'est Juppé qui se trouve aujourd'hui en pole position. Une critique pertinente de Fillon serait de dire qu'il se trompe de cible, que, en concentrant ses attaques sur Sarkozy, il le valorise par rapport à Juppé. Juppé qu'il n'a pas jusqu' ici attaqué, alors même que les divergences entre Fillon et Juppé, principalement sur la politique étrangère, en particulier l'attitude à avoir face à la Russie, sont beaucoup plus importantes que celles qui séparent aujourd'hui Fillon de Sarkozy. 

Entre la stratégie du buzz ou celle du développement des idées, quel est l'espace le plus "payant" pour François Fillon ? N'aurait-il pas intérêt à adopter un ton moins offensif à l'égard de Nicolas Sarkozy ?

Saïd Mahrane : Tout est une question de dosage et d'équilibre. Une primaire ne se fait pas en se lançant des fleurs : les coups, attaques et critiques sont inévitables mais ils ne doivent pas être l'essentiel.

François Fillon me semble être plutôt équilibré. Encore une fois, l'œil journalistique déforme parfois la réalité : les discours de François Fillon pris dans leur intégralité montrent qu'il y a du fond, des idées, un programme qui est le fruit de longues années de rencontre, de travail, de consultations. Les réseaux sociaux, les journalistes, les chaînes d'info en continu ne retiennent évidemment que la petite phrase qui fera le buzz, qui sera reprise en boucle. Bien sûr, François Fillon a une responsabilité là-dedans car comme je le disais, il n'est pas dupe et connaît parfaitement la logique journalistique. C'est donc à lui de faire attention.

Roland Hureaux : Je vous l'ai dit : il faut qu'il continue d'être offensif mais pas seulement à l'égard de Nicolas Sarkozy. Il y a beaucoup de sujets sur lesquels il pourrait marquer sa différence, comme sur les questions du Proche-Orient. Il le fait, mais pas assez nettement. Incontestablement, il est, parmi les principaux candidats, le moins aligné sur l'Otan. Or, les gens ne le savent pas.

Ou plus exactement, seuls le savent ceux à qui cela ne plaît pas. Les gens qui veillent aux intérêts de l'Otan, c'est-à-dire ceux de Washington, en Europe le savent et ne lui font pas de cadeaux : si Fillon se trouve en retard dans les sondages, je pense pour ma part que ce n'est pas l'effet de ses qualités ou de ses défauts, c'est le résultat du travail de sape sournois et très organisé qui s'effectue dans les médias et le bouche-à-oreille à son encontre, travail de sape plus ou moins télécommandé par les réseaux pro-américains ou carrément américains. Voyez par exemple le compte-rendu venimeux du Monde à la suite de la réunion de Sablé-sur-Sarthe. On ne dit pas ouvertement : "Fillon n'a pas la confiance des Etats-Unis", on dit : "il est ringard, il est provincial, il manque d'éclat".

Or, sa différence sur les questions de politique étrangère (qui conditionne une grande partie de la politique intérieure), Fillon n'a pas vraiment réussi à la faire passer dans l'opinion, alors que cela pourrait lui valoir la sympathie active de beaucoup de Français. Sa discrétion sur ce thème n'apaise pas ses ennemis mais le prive d'amis.

A l'inverse, je pense que le succès, au moins sondagier, de Juppé vient du fait qu'il est le candidat attitré des Etats-Unis (avec Macron sans doute). Les mêmes réseaux que j'évoquais distillent sur lui un peu partout du positif.

D'une certaine manière, cette question est infiniment plus importante que la moralité dans les affaires publiques, qui compte aussi, bien entendu.

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