De Bygmalion à Cahuzac : mais pourquoi la France n'a-t-elle pas été capable de se doter d'un système de financement de la vie politique réaliste ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Si l’efficacité des dispositifs législatifs est toujours variable, on peut estimer que l’action globale menée contre la fraude rendra le financement occulte des campagnes politiques sera rendu de plus en plus complexe.
Si l’efficacité des dispositifs législatifs est toujours variable, on peut estimer que l’action globale menée contre la fraude rendra le financement occulte des campagnes politiques sera rendu de plus en plus complexe.
©Reuters

Au bal des faux culs

Suite au procès de Jérôme Cahuzac et à, l'affaire Bygmalion, force est de constater que le financement des campagnes électorales continue de donner lieu à des dérives, malgré les lois votées au tournant des années 1980-1990 pour l'encadrer. Le cadre législatif semble donc imparfait, mais il a tout de même su évoluer et le bilan pour 2015 de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est très positif.

Laurent  Vidal

Laurent Vidal

Laurent Vidal est enseignant-chercheur en droit public des affaires, et avocat.

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Atlantico : Alors que Jérôme Cahuzac a affirmé lors de son procès avoir ouvert un compte bancaire en Suisse pour financer les activités politiques de Michel Rocard et que le parquet a demandé le renvoi en correctionnelle de Nicolas Sarkozy dans le cadre de l'affaire Bygmalion, le financement des campagnes électorales continue de donner lieu à des dérives, malgré les lois votées au tournant des années 1980-1990 pour l'encadrer. Ce constat ne montre-t-il pas une forme d'inadéquation de ce cadre législatif avec ce que sont devenues les campagnes électorales aujourd'hui en 2016, et tous les coûts qu'elles impliquent ?

Laurent Vidal : Il faut se garder de tout anachronisme et ne pas considérer, de manière générale, que le cadre législatif serait inadéquat. Sans verser dans l’angélisme, on peut estimer que les cas de fraude avérés ou supposés ne doivent pas faire oublier le résultat d’ensemble. Bien qu'imparfait, si le cadre législatif a pu, à une époque, ne plus répondre aux buts qui lui étaient fixés, il a évolué. D'où une succession de lois permettant d’encadrer le financement des partis politiques et des campagnes électorales afin de répondre à l'actualité des « affaires » (lois de 1988, 1990, 1995…) : instauration des comptes de campagne avec un financement partiel des campagnes électorales par l'État, attribution d'une aide publique de l'État aux partis politiques, interdiction des financements politiques émanant de personnes morales…À cet égard, les rapports de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) permettent d’illustrer les vertus et les limites des différents dispositifs mis en œuvre, notamment les tentatives de détournement dont ils ont fait l’objet.Ces lois ont été récemment complétées par des lois connexes (loi ordinaire et loi organique sur la transparence de la vie publique du 11 octobre 2013,loi contre la fraude fiscale du 6 décembre 2013 et loi organique du même jour créant un procureur financier à compétence nationale, loi de finances rectificative pour 2014 et loi de finances initiale pour 2015) qui s’inscrivent dans une volonté du gouvernement de traiter de manière globale le problème de la fraude (adoption le 22 mai 2014 par le comité national de lutte contre la fraude du plan national de lutte contre la fraude pour 2014). Sans entrer ici dans les détails, les lois d’octobre et décembre 2013 ont permis des avancées notables (lois sur la transparence de la vie publique : obligation de fourniture d’une déclaration de patrimoine, d’une déclaration d’intérêts, création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, mesures de transparence s’agissant de la réserve parlementaire, encadrement de certaines fonctions exercés par les parlementaires, limitation des dons d’un contribuable à des partis politiques…, lois sur la lutte contre la fraude fiscale :création d’un délit de fraude fiscale commise en bande organisée, renforcement de la répression de la fraude fiscale aggravée, extension des confiscations possibles, extension du champ de compétence de la brigade nationale de répression de la fraude fiscale au délit de blanchiment de fraude fiscale complexe, ce qui permettra une saisine plus souple de ce service en évitant, le cas échéant, l’obligation d’une plainte préalable des services fiscaux, élargissement du champ d’action de cette brigade aux fraudes impliquant des comptes ouverts ou des contrats souscrits à l’étranger, alors que le périmètre géographique pour ce type de fraude était limité jusqu'alors aux États et territoires non coopératifs, recours possible par les services judiciaires aux techniques spéciales d’enquête propices à l’établissement de la preuve dans des schémas de fraude opaques, dans les cas de fraudes complexes ou commises en bande organisée, protection pour les lanceurs d’alerte…).

Du reste, le bilan pour 2015 de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales est très positif : 12 milliards d’euros recouvrés contre déjà 10,4 milliards en 2014 et 44.894 demandes de régularisation fiscale.Enfin, le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC 2016-546 du 24 juin 2016, a considéré que : « 21. Le principe de nécessité des délits et des peines ne saurait interdire au législateur de fixer des règles distinctes permettant l'engagement de procédures conduisant à l'application de plusieurs sanctions afin d'assurer une répression effective des infractions. Ce principe impose néanmoins que les dispositions de l'article 1741 ne s'appliquent qu'aux cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt. Cette gravité peut résulter du montant des droits fraudés, de la nature des agissements de la personne poursuivie ou des circonstances de leur intervention. 22. La combinaison des exigences constitutionnelles découlant de l'article 8 de la Déclaration de 1789 et de celles découlant de son article 13 permet que, dans les conditions énoncées aux paragraphes 20 à 21, les contribuables auteurs des manquements les plus graves puissent faire l'objet de procédures complémentaires et de sanctions proportionnées en application de l'article 1729 et des dispositions contestées de l'article 1741. ». Si l’efficacité des dispositifs législatifs est toujours variable, on peut estimer que l’action globale menée contre la fraude rendra le financement occulte des campagnes politiques sera rendu de plus en plus complexe.

Quelles ont été, par le passé, et quelles sont, aujourd'hui, les méthodes utilisées par les partis pour contourner les règles en matière de financement politique ? Comment ces méthodes ont-elles évolué ? Le système actuel ne témoigne-t-il pas d'une certaine hypocrisie en la matière ?

Il faut distinguer le financement des partis ou groupements politiques de celui des campagnes électorales même si l’un et l’autre entretiennent évidemment des rapports étroits. La transparence du patrimoine des élus constitue le troisième pilier de la transparence de la vie politique.

Sans prétendre à l’exhaustivité, et outre le cas classique de l’ouverture de comptes dans des banques situées dans des paradis fiscaux et qui permettent, par transferts successifs entre comptes, de brouiller les traces et de dissimuler les flux financiers, on peut relever les techniques suivantes qui ont eu cours à une certaine époque :

-          création de partis politiques plus ou moins satellites d'un autre afin de permettre à une même personne physique d'effectuer un don à chacun ; après rétrocession au parti principal, celui-ci reçoit un total de dons dépassant le plafond légal autorisé ;

-          dans la même veine, création de structures locales d’un parti dont on ne sait pas si elles entrent dans le périmètre de l'interdiction légale du financement de la vie politique par des personnes morales autres que les partis ou groupements politiques  ; des structures locales d'un parti qui ne figureraient pas dans les comptes d'ensemble d'un parti ou qui n'auraient pas déposé leurs propres comptes ne sont soumises à aucun contrôle permettant de vérifier qu'elles n'ont pas été financées de manière irrégulière par des personnes morales ;

-          transferts financiers entre les partis politiques et les candidats aux élections ; un donateur peut contourner le plafond des dons à une élection (ce plafond est relativement bas) en versant son don à un parti politique (le plafond est nettement plus élevé) ; ensuite, ce parti n'a plus qu'à transférer la somme en cause sur le compte de campagne du candidat car cette opération n'est soumise à aucun plafond ;

-          opacité des dons entre partis politiques ou entre eux et les candidats aux élections ; lorsque les dons de personnes morales étaient autorisés, la CNCCFP en publiait la liste dans ses rapports annuels ; pour chaque parti et pour chaque compte de campagne, le rapport indiquait le nom des personnes morales donatrices (y compris les partis politiques) et précisait le montant ; cette obligation de publicité a été supprimée suite à l'interdiction des dons de personnes morales autres que les partis ;

-          vide juridique relatif aux mandataires financiers souligné à de nombreuses reprises par la CNCCFP ; dans le cas des mandataires financiers qui sont des personnes physiques, l'absence d'agrément par la CNCCFP empêche celle-ci de sanctionner les irrégularités ;

-          rétrocession à des parlementaires de fonds versés par la questure à un groupe politique, ces fonds transitant, par exemple, par des associations dont sont membres lesdits parlementaires ;

L’arsenal répressif dont on a rappelé les principales composantes devraient permettre de lutter contre ces dérives.

Quelles seraient les solutions permettant d'établir des règles équitables, tout en parvenant à un système en adéquation avec la réalité du coût d'une campagne électorale ?

Cette question n’appelle pas de réponse ici en raison de sa complexité. Il est possible toutefois de souligner que c’est un ensemble de dispositifs, complémentaires, qui permettra d’encadrer plus efficacement le financement des campagnes électorales et des partis politiques. On l’a souligné, c’est la voie suivie depuis la fin de l’année 2013.

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