Nucléaire ou énergies alternatives : quelles seront les meilleures solutions pour faire face aux pics de froid hivernaux ?<!-- --> | Atlantico.fr
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On peut légitimement en tirer l'enseignement qu'un passage aux énergies renouvelables ne devrait pas forcément faire s'envoler les coûts de production de l'électricité.
On peut légitimement en tirer l'enseignement qu'un passage aux énergies renouvelables ne devrait pas forcément faire s'envoler les coûts de production de l'électricité.
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Le conseiller en énergie de Corinne Lepage dresse quelques pistes de réflexion sur la politique énergétique que pourrait mener la France.

Yves  Lenoir

Yves Lenoir

Yves Lenoir est physicien. Il est responsable des politiques énergétiques pour le parti politique Cap 21, et conseiller de l'eurodéputée Corinne Lepage.

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L'ensemble du système de production et consommation de l'électricité est engagé dans un bouleversement de longue durée. Pour nous, en Europe, ce bouleversement est largement influencé par les abandons de l'énergie atomique. Les stratégies pré-Fukushima, dites du « Grand retour du nucléaire » sont caduques.

Deux questions fondamentales se posent, celle de l'évolution du prix de la fourniture et celle de la réponse aux appels hivernaux de pointe, ceux que provoquent les vagues de froid, comme celle qui a envahi l'Europe entière depuis plusieurs jours.

Essayons de clarifier l'enjeu pris dans une perspective à moyen terme. La comparaison des prix entre une stratégie ancienne et singulière, celle du « le plus de nucléaire possible » de l'Etat français, et celle, récente et souvent citée en exemple, suivie par le Danemark va nous y aider. La part de la valeur ajoutée de l'industrie est sensiblement la même dans ces deux pays : 16 à 17%. Le climat joue plutôt en faveur de la France.

D'un côté un parc vieillissant d'énormes installations au coût d'entretien de plus en plus élevé, nécessitant des travaux de sécurisation considérables et reportant de grandes dépenses sous-évaluées, démantèlement et gestion des déchets radioactifs, dans un futur indéfini. De l'autre un paysage assez diversifié où la production électrique est assurée pour 30% environ par l'éolien, à terre puis off-shore, 5% par du biogaz brûlé dans des turbines à haut rendement et le reste par des centrales thermiques et de cogénération au charbon.

Récemment, pour justifier la poursuite indéfinie de la production d'électricité nucléaire en France, les responsables politiques au pouvoir, Président de la République, Ministres divers et variés, mais aussi les grands relais d'opinion, journaux, radios, télévisions, ont à de nombreuses reprises fait valoir l'argument que les centrales atomiques faisaient jouir les consommateurs français de l'électricité la moins chère d'Europe. Il a été répété quasiment à chaque fois que les Danois la payaient deux fois plus chère que chez nous. Effet d'épouvantail à moineaux (ou à pigeons…) garanti. Cette façon de présenter les choses est malhonnête et donne une idée complètement tordue des enjeux. Qu'on en juge !

Lorsqu'on compare les coûts du MWh des différents pays d'Europe, il faut le faire hors taxe ! En effet, l'électricité à usage domestique est taxée à 30% en France contre 120% au Danemark (histoire d'en faire le meilleur usage ! mais aussi en raison d'une assiette de la fiscalité portant davantage sur les taxes indirectes et pesant moins sur les entreprises ; ajoutons dans cette parenthèse que la balance commerciale danoise est bénéficiaire et le chômage inférieur à 5% : bref, l'électricité très chère ne semble pas trop pénaliser nos amis Vikings). Cela dit, la réalité des coûts de production de l'électricité basse tension est la suivante : 97 €/MWh en France en 2011 contre 122 €/MWh au Danemark, et non pas 127 contre 269, qui sont des prix TTC (toutes données rapportées dans le « Mémento sur l’énergie » publié chaque année par le CEA) 

Pour être tout à fait fair play, il faut ajouter que les producteurs d'électricité danois respectent les règles de l'économie, ce qui signifie que le prix de l'électricité n'est pas fixé par le gouvernement comme en France. Pour illustrer ce que signifie cette différence de gouvernance, le prix HT de l'électricité basse-tension est passé de 90,5 €/MWh en 2005 à 92,6 €/MWh en 2009 en France alors que la moyenne européenne passait, elle, de 90,3 €/MWh à 118,2 €/MWh. Effet immédiat sur le classement affectionné de la France : une progression du 14ème rang en 2005 au 6ème en 2009.

Est-ce que cette "performance" satisfaisait EDF au sens où elle aurait reflété la réalité des coûts auxquels l'entreprise se doit de faire face? Certainement pas ! Le 17 juin 2009 Pierre Gadonneix, son PDG d'alors, réclamait publiquement au gouvernement une hausse des tarifs, indiquant "que les tarifs appliqués devaient refléter les coûts, pour garder l'électricité la plus compétitive du monde" (Le Figaro). Le 27 septembre 2009 il est viré et remplacé par Henri Proglio. Ce dernier aboutit au même constat que son prédécesseur. Mais plus prudent il fait savoir le 25 janvier 2010, contre les rumeurs faisant état d'un projet de hausse des prix de l'ordre de 24% entre 2010 et 2015, que "le groupe d'électricité dément catégoriquement avoir soumis au gouvernement une demande d'augmentation de ses prix" (Le Figaro). Les finances ont leurs exigences : le 23 mars 2011, on apprend (l’Expansion.com et l’AFP) que EDF réclamerait une hausse des prix de 30% en 5 ans. Ceci a été reconfirmé récemment. Et ce n'est plus le prix de rachat de l'électricité solaire (des broutilles dans le bilan) qui est mis en avant, mais bien les dépenses inévitables et trop longtemps différées à engager pour le parc nucléaire !

Voilà qui devrait grosso modo ramener rapidement le coût de production français au niveau relatif qu'il occupait en 2005 : celui de la moyenne européenne. Où est l'avantage atomique ?

Ainsi, une analyse critique des chiffres montre que le coût de production de l'électricité est structurellement quasi le même par un parc de centrales nucléaires vieillisantes, flanqué d'un ensemble de production hydraulique largement amorti et de centrales thermiques sous-utilisées, que par un système à la danoise, sans aucune contribution hydraulique et en grande partie quasi neuf dans sa composante renouvelable.

On peut légitimement en tirer l'enseignement qu'un passage aux énergies renouvelables ne devrait pas forcément faire s'envoler les coûts de production de l'électricité. Signalons ici que la balance électrique danoise est équilibrée et optimisée : les éoliennes produisent surtout en hiver, saison venteuse, lorsque les besoins de chauffage sont satisfaits par les centrales de cogénération réglées pour la fourniture de chaleur au détriment du rendement électrique ; en été c'est l'inverse, une production d'électricité d'origine thermique à son plus haut rendement compense la baisse de la production éolienne.

Comment se présente la question des besoins de pointe ? La France est le pays le plus sensible aux vagues de froid car développer la part du chauffage électrique (plus de 32% aujourd'hui) reste une priorité depuis la fin des années 60 (à l'époque pour profiter de la baisse tendancielle du prix du pétrole…). Ainsi la puissance de pointe hivernale s'est accrue de 21% entre 2001 et 2010 où elle est montée à 96,7 GW, impossible à fournir avec l'ensemble des équipements d'EDF. Pour bien faire saisir cette singularité tricolore : pour chaque baisse de température hivernale de 1°C, l'augmentation de la consommation électrique croît chez nous presqu'autant que dans tout le reste de l'Europe ! Il faut allors importer, essentiellement d'Allemagne, un pays où l'appel marginal de pointe est presqu'inférieur à 5 fois le nôtre.

Avant d'envisager l'évolution probable du traitement de cette pointe, rappelons quelques évidences. Ces pointes de la demande hivernale peuvent affecter tout le réseau européen, comme ces jours-ci. Les équipements sollicités pour y répondre ne vont fonctionner que quelques heures ou quelques dizaines d'heures par an. Ils doivent pouvoir suivre sans délai les fluctuations de la demande, donc être souples (barrages de haute chute, turbines à ga  z) et, pour ceux que l'on doit construire, peu coûteux en investissements et rapidement réalisés (turbines à gaz).

Bien entendu on ne peut demander à des énergies flux (solaire, éolien, hydraulique au fil de l'eau) de répondre aux besoins de pointe. N'insistons pas. Pas plus qu'aux grandes centrales nucléaires et thermiques charbon, qu'il vaut mieux conduire à leur régime nominal. On doit se tourner vers les énergies stockées, et en l'occurrence celles du futur. Côté renouvelables, c'est le biogaz qui présente la meilleure opportunité car le gisement est encore très sous-utilisé, surtout en France (le pays le mieux pourvu sans doute pourtant), et qu'il permet de valoriser toute la capacité de stockage que les gaziers européens ont construit au fil des décennies.

Mais arrive inévitablement le moment où l'on doit s'interroger sur la nature de la réponse à apporter au problème posé : la solution est-elle entièrement du côté de l'offre ? A cette question des électriciens, en Californie par exemple, ont depuis longtemps répondu que non. Ils ont prouvé qu'il était bien plus profitable pour eux d'investir chez les clients pour qu'ils consomment de façon plus intelligente et concertée. Ils ont pu ainsi lisser la courbe de charge et, non pas seulement supprimer les pics de consommation, mais réduire la puissance installée. Depuis cet exemple a fait des émules et on parle de plus en plus de « smart grids », dont Obama a fait l'un des piliers du programme énergétique de son administration.


On sait que le facteur limitant n'est pas le système d'échanges de données entre clients et producteurs. Internet a fait ses preuves ! De même, si l'électricien dispose des outils de production ad hoc, il sera en mesure de les piloter finement, comme aujourd'hui. Ce qui fait encore très largement défaut, c'est la collecte des données détaillées de la demande et la possibilité de contrôler cette dernière automatiquement. Il faudrait que chaque consommateur dispose d'équipements pouvant transmettre ses besoins lourds (chauffage, lavage, climatisation) immédiats à la compagnie d'électricité, charge à celle-ci d'envoyer en retour les signaux de commande vers les équipements en question. Les idées de base sont très simples : répartir en heure creuse les opérations de lavage ; utiliser l'inertie des bâtiments pour stocker à l'avance une partie des besoins de chauffage et de climatisation et réduire d'autant les appels de pointe. Ce genre de procédure pourra être étendue à la recharge des batteries des véhicules électriques. On peut aussi implanter des équipements complémentaires détectant les gaspillages et y remédiant (éclairage et chauffage d'une pièce inoccupée par exemple). Bien entendu, pour notre pays, le soutien à l'amélioration de l'habitat et au remplacement d'une partie du chauffage électrique au bénéfice du chauffage urbain et du gaz s'impose. Nous avons un retard considérable à combler dans ces domaines, plusieurs dizaines d'années.

Enfin réduire l'intensité des appels de pointe passe aussi par la baisse des appels de base ! Ces appels correspondant à l'éclairage, aux réfrigérateurs, aux congélateurs, au matériel électronique etc. Nos voisins allemands, dès lors qu'ils ont choisi il y a dix ans de sortir du nucléaire, ont réussi, relativement à nous Français, à baisser de 25% cette part de leur consommation électrique. Quand on pense éclairage, on doit aussi penser éclairage urbain, où des réductions structurelles des consommations sont réalisables sans délai, considérée la gabegie qui prévaut dans nombre de pays européens. Réduire de moitié en France (en gros, un lampadaire sur deux) correspond à supprimer l'appel à la puissance moyenne d'une à deux tranches nucléaires.

Ainsi le dialogue social sur la transition énergétique en Europe ne concerne pas, et de loin, que la question de l'arrêt ou non des réacteurs atomiques et du rythme auquel l'effectuer. Et l'enjeu dépasse de loin la question du prix de production de l'électricité. On voit que tous les acteurs économiques et sociaux auront peu ou prou, tôt ou tard, à participer aux concertations, aux décisions et aux investissements. Et ensuite, tous tireront les bénéfices de cette modernisation d'ensemble du système : moindre consommation, sécurité et fiabilité accrues, dépenses maîtrisées.

On aimerait que le débat s'élève.

Réf CEA : http://nucleaire.cea.fr/fr/publications/pdf/Mementoenergie2006.pdf  //  http://i-tese.cea.fr/fr/InfosEnergie/Memento/2009/index.html

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