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Pourquoi la curieuse campagne anti-porno de Pamela Anderson pourrait faire plus de mal que de bien
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THE DAILY BEAST

La condamnation, par l’ex-sex-symbol, de la pornographie, qui serait à la source du mauvais comportement des hommes, est plus basée sur l’hystérie que sur les faits.

Amy Zimmerman

Amy Zimmerman

Amy Zimmerman est journaliste au Daily Beast.

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Copyright The Daily Beast, auteur Amy Zimmerman

L’été a été l’occasion d’étranges compagnonnages, comme on l’a vu avec des extraits d’un discours de Michelle Obama plagié  par un rédacteur pour le discours de Melania Trump. Mais ce n’était rien face à l’union inattendue de l’actrice Pamela Anderson et du rabbin Shmuley Boteach dans un groupe anti-pornographie. Le rabbin orthodoxe et la star de la série TV des années 1990 Baywatch (Alerte à Malibu) ont  confié leur message aux masses dans une opinion co-signée dans le très sérieux quotidien américain The Wall Street Journal (WSJ). C’est plus que jamais le moment de demander à vos grands-parents leur code d’accès au site (payant) du WSJ pour le lire.

L’argumentation anti-pornographie de cet étrange duo commence par citer l’exemple des SMS sexuels qui ont coûté sa carrière à Anthony Weiner, un élu démocrate de l’Etat de New York, candidat à la mairie de New York en 2013 et dont le divorce vient d’être annoncé à la suite de nouvelles incartades. L’auto-destruction de cet homme politique a provoqué beaucoup de vagues, comme le montre la parution de cette étrange tribune.

Boteach et Pamela Anderson abordent ce sujet brulant en se basant sur "nos expériences respectives de rabbin-conseiller, et d’ancien modèle de Play-Boy & actrice". A partir de deux points de vue, généralement opposés, les deux auteurs ont réussi à établir un code moral commun. Ils écrivent : "nous avons souvent mis en garde contre les effets délétères de la pornographie sur l’âme d’un homme et sur sa qualité de père et de mari. La pornographie est un danger public d’une gravité exceptionnelle car elle est à la libre disposition de chacun,  facilement accessible de manière anonyme".

Pamela est une icône de l’écran et du sexe, ce qui rend encore plus décevante son opinion rétrograde et mal argumentée sur la pornographie. Reprenons donc la diatribe de Boteach et Pamela Anderson point par point. Leur lettre ouverte est basé sur l'hypothèse que les infidélités numériques de Weiner offrent la preuve irréfutable des effets néfastes de la dépendance à la pornographie. 

Tout d'abord, ceci est un amalgame entre la dépendance à la pornographie et la dépendance sexuelle. La première est le thème qui motive nos deux chroniqueurs du jour, tandis que la seconde est le terme que les médias ont, à plusieurs reprises, utilisé pour poser un diagnostic sur Anthony Weiner, le mari de Huma Abedin. Il est vrai qu'Anthony Weiner semble présenter quelques-uns des symptômes d'une dépendance au sexe. Mais l’existence de la dépendance sexuelle est scientifiquement controversée et très mal définie. Selon le psychologue clinicien David Ley, la "dépendance sexuelle" est utilisée comme un terme générique, une sorte de diagnostic fourre-tout utilisé pour expliquer le comportement contestable des hommes. "Qualifier Anthony Weiner d’accro au sexe permet de détourner l’attention des vrais sujets que sont la responsabilité personnelle et le choix conscient", explique David Ley.

>>>>> A lire aussi : Douche froide à Malibu : Pamela Anderson part en croisade contre les ravages du porno

L’addiction à la pornographie est à la mode, c’est une déclinaison de l’addiction au sexe. Elle a récemment été mise en vedette dans le programme officiel du parti républicain. La plate-forme républicaine considère la pornographie comme un "problème de santé publique qui touche des jeunes manquant de discernement et devenant dépendants avant qu’ils n’aient la maturité nécessaire pour en comprendre les conséquences". Toutefois, des chercheurs ont montré que ce n’est pas la facilité d’accès de la pornographie qui est la source de cette "addiction", mais plutôt la répétition de ce terme, avec des connotations religieuses, qui a attiré la majorité de ses victimes. Selon la sexologue Nicole Prause, "il y a très peu de preuves de la malignité de la pornographie. Ceux qui ne pratiquent pas de religion ou sont agnostiques n’ont pas de dépendance envers la pornographie. La honte grandit à partir de valeurs religieuses et d’acquis culturels". En d’autres termes, plus on parle d’addiction à la pornographie, plus on la condamne comme un péché, plus les "pécheurs" concernés s’appliquent ce diagnostic.

Et Pamela Anderson n’a certainement pas abordé ce sujet à partir des mêmes références que le parti républicain (GOP). Sa tribune est étonnamment conservatrice, surtout venant d'une femme qui a longtemps été célébrée comme un symbole de la positivité du sexe et de l'autonomisation sexuelle de la femme. Pamela Anderson et son rabbin se concentrent presque exclusivement sur les hommes, condamnant les effets néfastes de la pornographie sur les maris et les pères. "Combien de familles en souffrent ?", demandent-ils. "Combien de mariages vont être brisés ? Combien d'hommes talentueux vont perdre leurs relations et briser leur carrière pour un bref frisson onaniste ?" C’est une vision dépassée de la consommation de la pornographie, et qui est contredite par les propres statistiques citées par l'article : "selon les données fournies par l'American Psychological Association, les taux de consommation de pornographie vont de 50% à 99% chez les hommes et de 30% à 86% chez les femmes".

Pamela Anderson et Boteach vont même jusqu’à affirmer : "l'omniprésence du porno est une excroissance de la révolution sexuelle qui a commencé il y a un demi-siècle et qui, avec les droits et les libertés acquises par les deux sexes, a fait son chemin". Vous avez bien entendu Mesdames : la révolution sexuelle est terminée, et elle a été un énorme succès ! Les deux auteurs, hostiles au féminisme,  les unités familiales traditionnelles et les hommes hétérosexuels, aimeraient nous convaincre que ce groupe démographique privilégié est en danger et en état de siège.

Apparemment, ces deux auteurs font campagne contre la pornographie au nom des "hommes qui ont réussi, mais qui, par manque d’objectivité, considèrent qu’ils ont échoué... Des hommes qui ressentent de la lassitude, car ils bénéficient d'une sécurité physique, qui s’ennuient, même s’ils ont la chance d'avoir l'amour d'une femme ou d'une petite amie... Des hommes qui croient que surfer sur Internet pour regarder des images explicites d'autres femmes ou partager des images d'eux-mêmes via leurs smartphones sont des distractions osées, mais sans risque". C’est ridicule à tous points de vue. Il est incroyablement difficile d'avoir de la sympathie pour des types d'âge moyen, solvables, mariés, qui tout simplement "s'ennuient". En outre, il semble très exagéré de citer la pornographie comme source du mal-être de ces hommes. D’innombrables écrivains mâles ont passé toute leur vie à écrire sur la classe moyenne et l'ennui masculin. Pamela Anderson et son partenaire rabbinique n’y échappent pas. Enfin, il va de soi que ces frustrés de banlieue n’apprécieront pas le complot de Pamela Anderson et Boteach qui veulent les priver de leur PornHub.

Bien sûr, la carte maîtresse finale de Pamela Anderson et Boteach est à la base de tout argument sur les valeurs de la famille : les enfants. "Dans un monde où la pornographie est de plus en plus omniprésente, nous devons éduquer nos enfants pour qu’ils comprennent que la pornographie est pour les perdants - un cul-de-sac inutile et sans issue pour les gens trop paresseux pour récolter les bienfaits d’une sexualité saine", disent-ils. Anderson et Boteach doivent, bien sûr, se référer aux consommateurs de la dégoûtante et explicite pornographie en ligne, et non à celle de la pin-up chic d'antan. La carrière de Pamela Anderson a décollé lorsqu’elle est arrivée en couverture de Playboy en 1989 ; sa carrière a duré 22 ans, et elle a figuré sur plus de couvertures de Playboy que n’importe quel autre modèle.

Cela ne veut pas dire qu’une ancienne playmate ne peut pas condamner la pornographie. Le passé ne doit pas proscrire nécessairement le positionnement politique ou moral de quelqu’un. En outre, comme Pamela Anderson le dirait elle-même, les pages centrales de Playboy sont 'softs' par rapport à la pornographie hardcore. 

Pourtant, la tribune de Pamela Anderson sent la leçon de morale d'une ancienne icône du sexe qui est désormais déconnectée. Anderson a fait carrière en vendant du sexe soft, pour son profit personnel. De Baywatch à Playboy, elle a été la bombe blonde iconique, et un prototype pour des stars sexy sans vergogne comme Kim Kardashian et Nicki Minaj. Mais avec ce texte hostile aux  hommes, et ce doigt accusateur, Pamela Anderson montre son incapacité à se renouveler. Sa condamnation de la pornographie accessible à tous pourrait être plus Internet-phobique que anti-sexe, montrant ainsi une peur des conséquences inconnues de l'évolution des technologies. Il semble que la banalisation de la diffusion du sexe, un système qui a fait vivre Anderson autrefois, désormais sans fil et à haute vitesse, l’a dépassée.

La campagne anti-pornographie de Pamela Anderson n’est pas tout à fait inattendue. Elle est connue pour avoir tiré parti de son corps et son sex-appeal ; cependant, elle est aussi l'une des premières victimes de l’arrivée de la pornographie sur Internet, comme les nombreuses femmes qui ont été exposées sur le Web sans l’avoir voulu. En 1995, une vidéo privée montrant Pamela Anderson et son mari d'alors, Tommy Lee, a été volée dans leur maison. En deux ans, cette sex-tape est devenue virale. Puis elle a rapporté environ 77 millions de dollars en moins d'un an. Le public pense, comme pour chaque sex-tape de célébrité, que cette fuite était un stratagème délibéré pour gagner de l’argent ou se faire de la publicité. Mais Pamela Anderson a déclaré par la suite qu’elle n’avait pas gagné un seul dollar avec cette vidéo volée.

Après la diffusion de  cette sex-tape, Pamela Anderson et ses 'images explicites' sont rapidement devenues un objet de moquerie. Des années avant que l’on comprenne que poser nue ne signifie pas que votre corps devenait une propriété publique. Pamela Anderson et Tommy Lee furent tous deux victimes d'un délit, mais c’est  Pamela Anderson qui a sans doute payé le prix plus élevé, en passant de la célébrité au ridicule. L’expérience personnelle involontaire de la star de Baywatch peuvent expliquer  les motifs de son intervention controversée et anti-pornographie. Mais, comme Pamela Anderson l’a, elle-même, déclaré dans le New York Times, "peut-être que tout cela n’est qu’une performance artistique".

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