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Comment nombre de chauffeurs Uber décident de leur temps de travail en ne comprenant rien aux moyens d'optimiser leurs revenus
©Reuters

Travailler plus...

Depuis plusieurs décennies, les économistes se penchent sur le comportement des chauffeurs de taxi, et plus précisément sur le moment où ils organisent leurs horaires de travail dans la journée pour évaluer la pertinence économique de leurs choix.

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon

Jean-Charles Simon est économiste et entrepreneur. Chef économiste et directeur des affaires publiques et de la communication de Scor de 2010 à 2013, il a auparavent été successivement trader de produits dérivés, directeur des études du RPR, directeur de l'Afep et directeur général délégué du Medef. Actuellement, il est candidat à la présidence du Medef. 

Il a fondé et dirige depuis 2013 la société de statistiques et d'études économiques Stacian, dont le site de données en ligne stacian.com.

Il tient un blog : simonjeancharles.com et est présent sur Twitter : @smnjc

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Atlantico : Ces recherches ont pour objectif d'évaluer la rationalité des agents lorsqu'ils sont indépendants. Et il apparaît qu'une large majorité de chauffeurs Uber se fixeraient un chiffre d'affaires quotidien, ce qui impliquerait qu'ils travaillent longtemps les jours où le nombre de courses est mince, et peu de temps lorsqu'ils gagnent beaucoup. Une stratégie opposée serait beaucoup plus rentable. Alors que l'époque actuelle voit l'essor du recours à la "gig economy" (l'économie des petits boulots), à travers des plateformes dédiées sur Internet notamment, en quoi ces résultats sont-ils intéressants ?

Jean-Charles SimonIl faut être très prudent dans l’analyse de l’étude sur des chauffeurs Uber. Déjà, car il s’agit de données internes à cette société, qui généralement n’accorde pas d’accès indépendant à celles-ci. Plus encore, car les populations concernées sont très atypiques. Beaucoup de chauffeurs Uber le sont peu longtemps - le turn-over est considérable, estimé à 50% aux Etats-Unis -, donc ne développent pas beaucoup d’expérience dans leur profession. Leurs choix peuvent donc être largement liés à cette inexpérience. Par ailleurs, une grande partie d’entre eux sont occasionnels : il est donc difficile voire impossible pour eux d’optimiser leurs horaires de travail en fonction des revenus attendus. Il est même probable que leur temps disponible pour conduire corresponde principalement à des créneaux de faible demande, comme la nuit ou le dimanche. Enfin, les chauffeurs Uber peuvent aussi travailler avec d’autres applications : il n’est pas certain que les données d’Uber retracent toute leur activité de VTC.

Au-delà des précautions requises, il me semble qu’il y a un facteur important à évoquer. Il est clairement plus pénible, chacun peut en faire l’expérience, de conduire quand la circulation est très dense. Or, les pics de demande correspondent aussi souvent à ces moments d’embouteillages les plus importants. Ce qui peut décourager des chauffeurs, qui vont délaisser ces horaires. De surcroît, la demande peut être très élevée mais pas plus facile à servir… justement du fait d’une circulation trop chargée à ces heures-là. Craignant des temps d’attente élevés qui feront renoncer des clients, ou une circulation qui les laissera prisonniers des embouteillages sans client (par exemple après une course), des chauffeurs peuvent aussi redouter de faire peu de chiffre et beaucoup de dépenses, notamment de carburant, dans ces situations.

Comment expliquer ce phénomène ? Et quelles en sont les conséquences tant d'un point de vue idéologique que pour les pouvoirs publics ? 

S’agissant de chauffeurs peu ou pas du tout expérimentés, comme c’est souvent le cas dans l’univers du VTC, il y a d’abord cette méconnaissance, cette difficulté à optimiser son temps de travail qu’il faut mettre en avant. Il est probable que les résultats seraient sensiblement différents pour les chauffeurs de taxis, qui ont une ancienneté moyenne bien plus importante. D’autant qu’ils ont des tarifs stables et préfixés par le régulateur, et non des tarifs variables en fonction de la demande comme chez Uber. On voit bien que pour ce dernier, son étude est quelque part l’aveu d’un échec, puisque le "surge pricing" n’attirerait finalement pas tant de chauffeurs que ça, probablement par défaut de prévisibilité, mais aussi d’attractivité des créneaux les plus rémunérateurs, pour la raison évoquée précédemment – personne n’aime les embouteillages et leurs conséquences sont incertaines pour les chauffeurs.

Il faut aussi évoquer les modèles de coût des chauffeurs, qui conduisent une partie d’entre eux à raisonner en revenu journalier, en particulier lorsqu’ils louent des véhicules à la journée. Ils peuvent avoir tendance à conduire plus longtemps les jours où les courses sont plus rares, pour dépasser ce "point mort".

D’un point de vue de l’économie générale du secteur, ces résultats montrent pour moi que le régulateur doit faire attention à cette offre un peu anarchique. Il devrait favoriser son encadrement, pour encourager la professionnalisation des chauffeurs et diminuer leur turn-over – ce qui réduirait en même temps les risques de mauvais éléments source d’accidents et parfois d’agressions contre des clients, comme on en a vu beaucoup aux Etats-Unis. Ils amélioreraient ainsi également le revenu moyen du conducteur, alors qu’une offre incontrôlée – par exemple sans vérification de l’assujettissement aux cotisations sociales ou à l’impôt – crée une surpopulation de chauffeurs et une baisse des revenus par tête, propice à un fort turn-over.

Vous avez été à l'origine d'une étude qui montre que l'arrivée d'Uber dans la région parisienne avait provoqué une baisse sensible des rémunérations pour l'ensemble du secteur. Si vos conclusions portent sur un excès d'offre, pensez-vous que le phénomène décrit plus haut puisse également s'appliquer ?

Oui, plus l’offre est excédentaire, plus les comportements erratiques sont probables. Il devient difficile pour les chauffeurs de s’en sortir, car la demande ne croit pas du tout dans des proportions similaires à l’offre. On dispose de données très précises pour Londres et New York, par exemple, qui attestent d’un phénomène important de pure substitution au profit d’Uber et au détriment des taxis, mais sans croissance réelle du nombre total de courses. Il y a de plus en plus de chauffeurs en activité, mais leurs revenus par tête diminuent. D’autant que pour essayer d’évincer ses concurrents et espérer devenir monopolistique, Uber casse les prix. Ses chauffeurs doivent dès lors exercer de manière de plus en plus précaire. Avec parfois des horaires démentiels, même s’ils tournent souvent "à vide" faute de clientèle suffisante pour cette offre qui a explosé au cours des 3 dernières années.

L’erreur fréquente sur ce marché est d’imaginer que la demande est très élastique, et qu’en accroissant l’offre fortement et en baissant un peu les prix, elle va exploser. Mais c’est méconnaître complètement le marché des transports urbains dans les grandes métropoles. Personne n’accroît sans raison son nombre de trajets quotidiens dans la ville. Et le report d’un autre mode de transport vers le taxi ou VTC est marginal, d’autant que ces grandes villes sont toujours plus congestionnées et que la place laissée à la voiture tend à y diminuer, avec des temps d’attente et de trajet qui sont donc plus longs. Certes, des automobilistes renoncent chaque année à la voiture individuelle, mais souvent pour les transports en commun, bien moins chers et souvent plus fiables et rapides. Ou, s’ils ont la chance d’avoir à faire des trajets cours, pour le vélo, que toutes les villes encouragent avec des investissements importants. Quant à ceux qui maintiennent l’usage de leur voiture individuelle, alors que tout est fait pour les inciter à l’abandonner, c’est qu’ils sont sans alternative crédible - y compris le VTC - ou bien peu sensibles aux coûts et difficultés liés à cet usage.

Une offre trop excessive de VTC et taxis peut même conduire à en diminuer la demande, comme nous le montrons dans l’étude de Facta. En effet, ceux-ci contribuent fortement aux embouteillages - on estime qu’ils représenteraient environ un quart du trafic automobile parisien aujourd’hui -, rendant ce mode de transport moins attractif en termes de temps de trajet et de fiabilité. D’où la volonté de beaucoup de grandes villes à travers le monde de limiter le plus possible la circulation de VTC "à vide", la fameuse "maraude électronique", en les contraignant à quitter la chaussée lorsqu’ils sont sans client, par exemple avec l’obligation de rejoindre des bases de stationnement entre deux courses.

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