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Mais pourquoi les écoliers français sont-ils parmi les jeunes Européens qui ont le moins de profs par élèves alors que l'Education nationale a un nombre record d'employés ?
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Bonnet d’âne

La France serait, d'après Eurostats, l'un des pays où le nombre d'élèves par professeur est le plus élevé d'Europe, en primaire. Ces chiffres font craindre une situation de sous-effectif paradoxale dans un pays où l'Education nationale emploi plus d'un million de personnes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Selon une étude d'Eurostats publiée récemment, la France était en 2013  l'un des pays où le nombre d'élèves de primaire par professeur est très élevé, soit 19.3 élèves par enseignant, à un niveau équivalent à celui de la Roumanie. Avec un personnel estimé à 1 052 700 personnes, dont 82% d'enseignants (voir ici), le ministère est-il réellement en situation de sous-effectif ? Comment expliquer un tel décalage avec nos voisins européens ? Quelle peut être la "responsabilité" des horaires de travail dans cette situation ?  

Pierre Duriot : Oui, le nombre d'élèves par professeur est élevé et cela nuit aux résultats puisque nous nous rapprochons aussi de la Roumanie dans les enquêtes PISA, sur les résultats des élèves, où nous dégringolons régulièrement et ce, dans toutes les matières. Il faut pourtant ne pas se satisfaire de chiffres bruts. Sont comptabilisés comme enseignants des professeurs qui ne voient jamais les élèves : conseillers, syndicalistes, gestionnaires de projets..., d'autres qui sont au contact des élèves mais qui n'ont pas de classe : personnels spécialisés, psychologues scolaires..., et des classes spécialisées dont l'effectif est fixé de manière légale à douze ou quinze élèves : ULIS, SEGPA, IME, IMPRO, où exercent des professeurs du primaire. Ajoutons l'inégalité géographique, avec des petites classes de campagne à très faibles effectifs, compensées par des écoles de villes à très forts effectifs. Cela fait augmenter considérablement la moyenne de 19,3 élèves dans les classes ordinaires. Il se trouvera des anciens pour dire que de leur temps, on apprenait très bien à trente ou quarante par classe, seulement les élèves d'il y a soixante ans ne sont pas ceux d'aujourd'hui et leurs parents non plus. Sous le quinquennat Sarkozy, les nombre de profs par rapport au nombre d'élèves a diminué et la promesse de François Hollande de 60 000 nouveaux postes n'est pas effective. Et encore, tous les postes contenus dans cette enveloppe ne sont pas des postes d'enseignants. Il faut se faire une raison, ou un constat, malgré les beaux discours, l'enseignement primaire, celui qui conditionne pourtant la qualité des futures études, n'est pas perçu comme un investissement pour le futur de la nation, sans doute parce qu'il ne correspond à aucune échéance électorale. Les responsables politiques veulent des résultats immédiats pour être réélus, pas des résultats sur une génération dont on mesure les effets vingt-cinq ans après. Crise des vocations, salaires peu attractifs, formations au rabais, gestion du personnel anachronique... tous les ingrédients du mal apparaissent en relief et pourtant les solutions envisagées ne sont pas les bonnes. Le relèvement du niveau de recrutement privilégié au détriment de la formation professionnelle, les tripatouillages de programmes et d'horaires, la multiplication de disciplines exotiques contre productives, une certaine démagogie avec les élèves dans la notation ou l'exigence de travail ou de discipline, contribuent également à saper le système. Le Ministère n'est pas réellement en situation de sous-effectif, si l'on se compare à nos voisins mieux classés, il est surtout en état de mauvais choix et de mauvaise organisation.

Eric Verhaeghe : Le sujet majeur de la France est l'allocation des enseignants selon les besoins, comme l'avait détaillé notamment un rapport de la Cour des Comptes durant l'été 2013. Historiquement, la France a une offre d'enseignement très complexe pour le second degré, notamment au lycée, et une offre restreinte pour l'enseignement primaire. Des explications variées peuvent être données pour cet état de fait. En particulier, il existe une sorte de fétichisme du baccalauréat, qui explique que la France se préoccupe beaucoup de l'enseignement secondaire et beaucoup moins de l'enseignement primaire. A ce phénomène historique s'ajoute des évolutions profondes qu'il ne faut pas négliger. L'enseignement primaire connaît un vrai dynamisme en France du fait de la natalité. Contrairement à des pays comme l'Allemagne où les rééquilibrages sont plus faciles, la France est donc obligée de conserver un nombre important de classes dans les écoles primaires. Ayons à l'esprit que la proportion d'enfant de 0 à 9 ans en France est de 12,4%, quand elle est seulement de 10,5% en Europe. A ce point démographique s'ajoute le problème de la pré-scolarisation. L'effort scolaire avant 6 ans est intense en France, et la scolarisation en maternelle est importante. Ce n'est pas forcément le cas dans les autres pays européens. Beaucoup d'enfants, scolarisés très tôt, un goût prononcé pour le lycée, voilà quelques clés qui expliquent la situation française. 

Les classes primaires françaises sont-elles aujourd'hui "délaissées" au profit d'autres secteurs relevant de l'éducation nationale ? Quelle est la situation réelle de ces classes primaires ?

Pierre Duriot : Non, les classes primaires ne sont pas particulièrement délaissées, tout le système est en fait délaissé, l'enseignement supérieur n'est pas mieux loti. Le défi global d'élévation de l'instruction n'est plus un objectif national. L'éducation massive qui fit la qualité des ingénieurs et élites français, ainsi qu'un certain dynamisme industriel, se transforme lentement mais sûrement, comme beaucoup d'autres secteurs, en bien marchand. En résumé, on a droit à l'instruction que l'on peut se payer sur fond de diversification de l'offre commerciale : l'école publique républicaine n'a plus le monopole de l'instruction. On inclura dans cette école publique, les écoles privées sous contrat qui rappelons le, sont soumises aux programmes et aux inspections de la République. L'école suit la tendance économique générale et les niveaux des élèves aussi : les bons sont meilleurs, les moins bons sont encore moins bons, avec des écarts qui se creusent régulièrement. Ceci alors que les défis ne cessent de s'empiler, comme ceux liés aux comportements, aux cultures étrangères, aux problèmes de langues maternelles non francophones, à la paupérisation, qui nécessiteraient des classes à plus faibles effectifs. Les différences territoriales sont également patentes. Quels points communs entre une école unique à douze élèves et cinq niveaux dans le Morvan et une classe de banlieue où se côtoient trente élèves de dix à douze origines culturelles différentes ?

Eric Verhaeghe : Incontestablement, le lycée est le "chouchou" de l'enseignement français, ou l'a longtemps été. C'est le lycée qui draine l'essentiel des moyens et des possibilités financières du système scolaire. Dans cette organisation globale, la subvention moyenne par écolier est plus faible que la subvention moyenne par lycéen, ce qui constitue une originalité européenne et une anomalie. On peut en effet constater le désastre: l'enfant qui sort de l'école primaire sans savoir lire et écrire constitue une épine définitive dans le pied du système. Pendant de nombreuses années, l'ensemble du système éducatif va perdre du temps et de l'efficacité à prendre en charge des enfants qui n'ont acquis ni la lecture ni l'écriture. Il y a donc une forte absurdité à permettre à des enfants de sortir de l'école primaire sans avoir appris ces compétences fondamentales, puisqu'on sait durant toute leur scolarité ils vont retarder l'ensemble du système. Il faut donc comprendre que les écoles primaires où les enfants n'apprennent pas à lire et à écrire génèrent ensuite des collèges difficiles où les enfants ont des difficultés et où l'échec scolaire guette. Beaucoup ont, à une époque, plaidé pour que les corps du premier degré et du collège soient fusionnés, en partant du principe que les compétences requises de chacun étaient proches. Cette idée n'était pas absurde, tant les compétences se ressemblent et ont une véritable unité. Celle-ci tient notamment au tout organique que forme l'apprentissage à l'école primaire et au collège. 

Quel est le risque de voir, à long terme, des écoliers de moins en moins encadrés ? Cet état de fait a-t-il d'ores et déjà eu des effets sur le niveau des élèves ? Quels en sont les coûts humains à long terme ?

Pierre Duriot : Les risques ne sont pas à long terme, ils sont déjà là, effectifs, avec une crise du recrutement, un métier qui n'attire pas les jeunes hommes, des niveaux très hétérogènes au sein des classes, des ambiances de travail très difficiles à obtenir, dès le CP, une paperasserie inutile accrue pour les professeurs, des saccages et dégradations d'écoles réguliers, des professeurs dont un quart à un tiers souhaiteraient changer de métier, un niveau record d'agressions en tous genres de chefs d'établissements et directeurs et comme expliqué à la première question, la baisse de niveau de la France dans les enquêtes internationales. Les coûts humains aussi sont déjà là : un échec très vif sur l'embauche des jeunes, avec des problématiques comportementales, de respect des règles et des codes de conduite et de communication. Une problématique adjacente de chômage des jeunes issus de l'immigration, bien plus au chômage que les autres, avec certes plusieurs causes, mais l'école et sa difficulté à opérer auprès de catégories de populations identifiées, plus massivement en échec scolaire, comme faisant partie des leviers. A terme, le coût national d'un manque d'acquisition de la culture, de l'instruction, des codes et usages comportementaux, se traduit par une entropie généralisée dans tous les compartiments de la société, mais ce n'est pas un processus net. Cela est déjà actif et se présente sous la forme d'une lente dégradation du climat social que chacun peut mesurer aujourd'hui dans la vie civile, à l'école ou au travail. Cela est aussi rendu visible par la multiplication des éléments de sécurité, de surveillance, l'omniprésence de la technologie coercitive et des armes non létales de maintien de l'ordre. L'objectif d'acquisition d'une culture commune, au sens large du terme, a été décrété fascisant, au profit du respect de la "culture" exogène ou du comportement individuel : nous en payons le prix.

Eric Verhaeghe : Pour l'ensemble de la machine éducative, cette situation est dangereuse dans la mesure où ce qui n'est pas acquis à 10 ans devient un handicap collectif. L'enfant qui, à dix ans, n'a pas correctement appris à lire et à écrire traînera durant toute sa scolarité, et même au-delà, un handicap majeur. Ce point apparaît notamment avec la question du redoublement. Combien coûte un élève qui redouble parce qu'il ne maîtrise pas les compétences fondamentales? L'un des premiers éléments de coût tient à l'immobilier: il fait des murs, une table, une chaise pour l'accueillir, comme s'il était un élève en plus. Financièrement, l'investissement est donc colossal parce qu'il suppose d'augmenter la population scolaire, donc les mètres carrés, le nombre d'enseignants, etc. C'est pour cette raison que l'Education Nationale passe régulièrement la consigne de ne pas accepter le redoublement: elle se justifie par des difficultés financières. Faire redoubler un élève, c'est augmenter les dépenses et, pour cette seule raison, l'Education Nationale préfère délivrer un baccalauréat à un élève qui n'a pas le niveau. Cette technique est la meilleure façon de diminuer les dépenses ou, en tout cas, de tenir le budget. 

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