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Logement : des dépenses publiques importantes, mais encore bien davantage d’impôts !
©Reuters

En y regardant de plus près...

Tous les commentateurs des politiques du logement s'accordent à dénoncer leur "coûteuse inefficacité". Dans cette dénonciation, une dimension est très peu prise en compte : celle de la fiscalité et des prélèvements obligatoires sur le logement. C’est cette mise en regard entre dépenses et aides publiques qui est proposée ici.

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès

Pierre-François Gouiffès est maître de conférences à Sciences Po (gestion publique & économie politique). Il a notamment publié Réformes: mission impossible ? (Documentation française, 2010), L’âge d’or des déficits, 40 ans de politique budgétaire française (Documentation française, 2013). et récemment Le Logement en France (Economica, 2017). Il tient un blog sur pfgouiffes.net.
 

Vous pouvez également suivre Pierre-François Gouiffès sur Twitter

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"La politique du logement est, de l’avis général, d’une coûteuse inefficacité" : un consensus entre les commentateurs des politiques du logement (think tanks, journalistes spécialisés, économistes, fédération professionnelles) aboutit au procès des politiques du logement sur la base de l’écart entre le niveau des aides publiques au secteur et les résultats en la matière (sans qu’il n’y ait aucun consensus en la matière). Les discours englobent beaucoup moins la dimension de la fiscalité et des prélèvements obligatoires sur le logement. C’est cette mise en regard entre dépenses et aides publiques qui est proposée ici.

1. Les prélèvements sur le logement : près de 90 milliards d’euros, soit 4,2 % du PIB et 9,3 % des prélèvements totaux

Le logement, immeuble destiné à l’habitation et donc objet immobile par nature, constitue une assiette fiscale qui attire de façon séculaire l’attention des autorités publiques dans les territoires qu’elles contrôlent. Il y a un caractère inéluctable à ce que le logement soit une source importante des revenus de l’Etat et des collectivités territoriales.

En France, ces prélèvements logement sont recensés annuellement par la statistique publique via le compte du logement avec 2014 comme dernier millésime. Le compte totalise 64 milliards d’euros d’impôts principalement constitués par :

- la taxe foncière (20 milliards) ;

- les taxes sur l’investissement en logement, principalement sous forme de TVA (13 milliards) ;

- les droits de mutation pouvant représenter jusqu’à 6 % du montant d’une transaction immobilière (8 milliards) ;

- les impôts sur les charges et l’énergie payés par les locataires et propriétaires occupants (11 milliards pour la TVA) ;

- l’imposition des revenus et des plus-values fonciers via l’impôt sur le revenu et la CSG/CRDS.

La statistique publique exclut d’autres prélèvements obligatoires dont on peut considérer qu’ils ont un lien fort avec le logement, principalement la taxe d'habitation (17 milliards), ainsi que le volet patrimoine résidentiel et immobilier de l’ISF, et des droits de succession (6,5 milliards pour les deux).

L’accumulation de ces dispositifs fiscaux peut aboutir à un taux de prélèvement de droit commun entre 60 % et 65 % d’où, dans certaines zones, des taux de rendement immobiliers très faibles hors dispositifs fiscaux favorables à l’investissement. Au final, impôts et prélèvements représentent 88,6 milliards d’euros, soit 9,3 % des prélèvements obligatoires et 4,2 % du PIB, montant en progression significative sur les deux dernières décennies.

Ces résultats n’ont d’ailleurs rien de surprenants dans un pays depuis longtemps sur le podium des prélèvements les plus élevés d’Europe, mais qui a pris au printemps la place de numéro un (47,6 % du PIB prévu en 2016 selon la Commission européenne).

2. 41 milliards de dépenses : 50 % pour les locataires, 25 % pour les bailleurs publics, et 25 % pour les propriétaires occupants et les bailleurs privés

Evoquons maintenant les 40 milliards, ou 2 points de PIB, d’aides évoquées à répétition. Plus de la moitié des dépenses sont des "aides à la personne" pour solvabiliser les locataires et financer l’hébergement d’urgence. Ce sont des prestations sociales dédiées au logement, contribuant au record du monde français en la matière (33 % du PIB). Un ménage sur cinq, un locataire sur deux, et 80 % des allocataires RSA perçoivent une aide au logement. Pour un euro de loyer perçu en France, vingt-cinq centimes sont financés via ces aides.

Les autres dépenses sont principalement des aides aux bailleurs, à moitié pour les bailleurs publics et sociaux (subventions d’investissements, exonérations fiscales et valorisation du circuit de financement du livret A), et à moitié pour les bailleurs privés, avec notamment une valorisation par la statistique publique de 3 milliards de taux de TVA réduit pour les travaux à domicile, moins de 2 milliards pour le soutien à l’investissement locatif (dispositif Pinel et prédécesseurs) ou 1 milliard de PTZ pour la primo accession.

La statistique publique distingue trois types d’aides : les aides budgétaires (24 milliard d’euros), les avantages de taux (circuit du logement social et PTZ pour 3 milliards) et les dépenses fiscales correspondant à différents mécanismes dérogatoires pour 14 milliards d’euros, qui n’empêchent pas la perception par l’Etat, la Sécurité sociale et les collectivités territoriales de toucher les 89 milliards évoqués plus haut. Le concept de "cadeaux fiscaux au logement" pose donc difficulté puisque les dépenses fiscales sont la conséquence d’un niveau très élevé de prélèvements, et qu’il y a même en France un niveau acceptable de prélèvements obligatoires.

Les aides publiques au logement ont donc un caractère social à 75 % via les aides aux locataires sous condition de ressources, le soutien à un secteur d’offre (secteur HLM) ayant vocation à fournir un service logement à un prix inférieur au prix marchand ou le financement de l’hébergement.

3. Conclusion

Nous parvenons ainsi à une vision plus complète des finances publiques liées au logement, en ayant associé au traditionnel rappel des 40 milliards les prélèvements fiscaux et sociaux ayant le logement comme assiette, qu’il soit un service, un actif, un investissement ou un objet d’échange.

Pour 2014, il y a 2,2 fois plus de prélèvements obligatoires que d’aides publiques au logement, et 3,7 fois plus de prélèvements obligatoires que d’aides au logement de nature budgétaire. Le dispositif opère une redistribution des bailleurs privés et propriétaires occupants (sur lesquels pèsent 62 % des prélèvements) vers les locataires bénéficiaires d’aides sous condition de ressources (50 % des dépenses) et les bailleurs publics et sociaux.

L’exercice permet également de relativiser le lien de causalité entre l’importance des aides publiques au logement et les insuffisances des politiques publiques en la matière :

- les aides publiques au logement ne peuvent être critiquées que dans le champ finalement circonscrit des objectifs qui sont les leurs, et qui relèvent massivement des politiques sociales ;

- il ne faut pas oublier l’impact de la fiscalité immobilière sur l’activité logement car son niveau et sa structure ne peuvent qu’avoir une importance d’ampleur au moins comparable aux aides publiques. La question de savoir si la France est dans une zone Laffer en la matière est clairement posée ;

Les politiques du logement sont donc le résultat d’un ordonnancement juridico-fiscal beaucoup plus complexe et faisant système : fiscalité et aides publiques logement constituent une dimension importante des politiques du logement, mais s’articulent avec les autres dimensions de ces politiques dans un champ des normes et de la gouvernance touffu, changeant et durci en France  - équilibre entre droit de propriété et droit au logement, utilisation des sols, normes applicables aux logements neufs et existants, organisation du secteur du logement social, etc.

Au final, les 40 milliards d’aides publiques au logement ne méritent donc ni l’honneur, ni l’indignité qui leur sont généralement accordés.

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