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Pourquoi, dans l'affaire du burkini, Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine ont choisi de s'opposer à Manuel Valls
©Reuters

Bras de fer

Les ministres qui ont exprimé leur crainte face à la multiplication des arrêtés anti burkini n'ont fait que partager le sentiment d'un président de la République qui, avant l'été, s'est opposé à son Premier ministre sur la question de la laïcité en conseil des ministres

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand

Christelle Bertrand, journaliste politique à Atlantico, suit la vie politique française depuis 1999 pour le quotidien France-Soir, puis pour le magazine VSD, participant à de nombreux déplacements avec Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande, François Bayrou ou encore Ségolène Royal.

Son dernier livre, Chronique d'une revanche annoncéeraconte de quelle manière Nicolas Sarkozy prépare son retour depuis 2012 (Editions Du Moment, 2014).

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Autour de la table du conseil des ministres, la tension est palpable. Certains baissent les yeux vers leurs dossiers, d'autres échanges des regards étonnés. Pour la première fois, une polémique vient d'opposer ouvertement François Hollande à son Premier ministre. Chacun défendant une vision, sa vision, de la laïcité. L'échange a été vif. Et Bernard Cazeneuve a eu beau voler au secours de Manuels Valls, appuyer ses arguments, François Hollande a conclu son propos en soulignant l'importance que revêt à ses yeux le respect des libertés fondamentales.

La scène se déroule en juillet mais elle est encore dans tous les esprits et particulièrement dans ceux, au gouvernement, qui trouvent que, depuis le début du débat sur le burkini, Manuel Valls va trop loin. Ils sont nombreux et ne mâchent pas leurs mots comme cette ministre qui expliquait mercredi à un groupe de journalistes : "Valls, j'apprécie énormément ses qualités managériales, mais sur la laïcité je ne le suis pas. Il porte une conception totalement has been, très années 80. Pour lui la laïcité est une religion. Je trouve sa position sur le burkini totalement contre productive". Et d'ajouter : "la loi de 1905 a été écrite dans un esprit respectueux des croyances de chacun, elle ne visait pas à interdire toute forme d'expression religieuse".

Hier matin, c'était au tour de Najat Vallaud-Belkacem de rappeler sur Europe 1 : "Je suis contre le burkini, mon rêve de société, c’est une société dans laquelle les femmes sont libres et fières de leur corps mais si vous me demandez si je juge pertinente la place qu'à pris la polémique sur le burkini ces dernières semaines, la réponse est non. J'estime que dans ce moment grave, qui est un moment post attentats, il ne faut pas rajouter d'huile sur le feu. Il ne faut pas stigmatiser. Il faut rassembler. J'estime que la prolifération des arrêtés anti burkini n'est pas la bienvenue car ça pose la question de nos libertés individuelles. Jusqu’où va-t-on pour vérifier qu’une tenue est conforme aux bonnes mœurs. Et cela libère la parole raciste."

Dans l'après midi, c'est au tour de Marisol Touraine d'y aller d'un billet sur son blog : "Faire comme si, en se baignant voilée ou en restant habillée sur une plage, on menaçait en soi l’ordre public et les valeurs de la République, c’est oublier que ces valeurs doivent précisément permettre à chacun de ne pas renier son identité. C’est oublier que la laïcité n’est pas le refus de la religion : c’est une garantie de liberté individuelle et collective. Elle ne peut pas et ne doit pas devenir le fer de lance d’une stigmatisation dangereuse pour la cohésion de notre pays".

La veille, Axelle Lemaire, la secrétaire d’État chargée du numérique, sur un ton moins grave, avait choisi, pour sa part, de tweeter un article dans lequel le Premier ministre canadien Justin Trudeau s'opposait à l'interdiction du burkini. Tweet qu’elle accompagnait d'un commentaire amusé : "Ce d'autant plus que les lacs au Canada sont froids".

Le gouvernement semble donc bien partagé. D'un coté les anti arrêté, de l'autre les pro. D'un coté les pro Valls de l'autre les anti. Et ces derniers, qui cherchent à faire entendre leur différence, en appellent à la tutelle présidentielle. "François Hollande n' a pas cette vision rigoriste de la laïcité, il est bien plus ouvert que Manuel Valls", explique un membre du gouvernement qui ajoute "il est assez proche, de ce point de vue là, de Jean-Jaques Urvoas", le garde des Sceaux.

Il y a donc une véritable fracture, au sein du gouvernement, que personne ne songe à cacher. Bien au contraire. Si Najat Vallaud-Belkacem et Marisol Touraine, qui ne sont pas connues pour leurs coups de gueule incontrôlés et qui sont identifiées comme des proches du chef de l’État, s'expriment publiquement, c'est qu’elles en ont reçu la permission.

"François Hollande ne peut s’exprimer ouvertement sur ce sujet, mais il envoie des messagers", explique un proche. Des portes-voix, toutes féminines qui plus est, ayant pour mission de rassurer une partie de la gauche qui commence à s’inquiéter devant des scènes de verbalisation parfois choquantes. Une gauche qui, selon un sondage paru hier dans le Figaro, n'est opposée au port du burkini que pour 52% d'entre-elle. Une gauche dont François Hollande aura besoin pour gagner la primaire puis passer le premier tour de la présidentielle. Une gauche qui n’apprécie guère de voir les positions du gouvernement rejoindre, à nouveau, celles de la droite. Une gauche à qui François Hollande se doit donc de donner des gages de tolérance. C'était la mission de Najat Vallaud-Belkacem, hier matin, à qui Manuel Valls a répondu : "Ces arrêtés ne sont pas une dérive. C’est une mauvaise interprétation des choses. Ces arrêtés ont été pris au nom même de l’ordre public". François Hollande pour sa part, à l’issue d'une rencontre avec des dirigeants européens, a fait une allusion suffisamment claire pour que l'on comprenne sa pensée, expliquant que la "vie en commun", un "grand enjeu" en France, "suppose aussi que chacun se conforme aux règles et qu'il n'y ait ni provocation ni stigmatisation". Au risque d'entretenir la cacophonie.

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