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L'évolution de la place des parents dans l'éducation des enfants ou comment les bons parents de 1850 auraient été considérés comme des tortionnaires irresponsables 70 ans plus tard
©Reuters

Bonnes feuilles

Et si le rôle parental n'était pas aussi déterminant qu'on le croit ? Fruit de trente ans d'observations et d'accompagnement au sein de son travail d'éducateur, le livre d'Étienne Liebig égratigne avec humour les dogmes et normes supposés éternels - Église, école, médecine, psychanalyse, pédagogie - et ouvre la réflexion sur ce que signifie aujourd'hui une "bonne éducation" au regard de ce qu'elle signifiait hier. Un essai un brin provocateur pour déculpabiliser les parents qui doivent se réapproprier l'éducation de leurs enfants et accepter d'être en concurrence avec une nouvelle forme de liberté qui leur est donnée. Extrait de "La bonne éducation", d'Etienne Liebig, aux éditions Michalon 1/2

Étienne Liebig

Étienne Liebig

Éducateur spécialisé en Seine-Saint-Denis, Etienne Liebig est romancier, essayiste, anthropologue et chroniqueur aux Grandes Gueules sur RMC. Il est l'auteur des livres suivant : "Les ados sont insupportables mais ce sont nos enfants" (2009) ; "Les pauvres préfèrent la banlieue" (2010) ou encore "De l'utilité politique des roms" (2012) et "Les Nouveaux cons (I et II)" en 2013.

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La représentation de l’enfant – enfin considéré comme une personne, de la naissance jusqu’à l’adolescence – est donc en pleine révolution tout au long du XIXe siècle, des villes jusque dans les campagnes les plus reculées. On naît humain, on naît plutôt innocent des péchés de la terre, on fait l’objet d’attentions et d’amour dès le premier jour de la vie. L’Église (catholique comme protestante) quitte peu à peu sa posture augustinienne pour considérer que l’enfant, créature de Dieu depuis le premier jour, a droit au respect dû à toutes les autres créatures. Certes, on trouvera ici et là, même au début du XXe , des vieilles habitudes éducatives (comme ces familles corses qui enserrent le crâne de leurs bébés entre des planches ou, en Bretagne, des emmaillotages serrés destinés à fortifier les os de l’enfant), mais, peu à peu, se répand la nouvelle conception d’un enfant, qui serait une sorte d’adulte en miniature, à façonner pour en faire un honnête homme ou une femme honnête. On n’accepte plus la mort comme une fatalité : la bonne éducation suppose une chasse aux microbes et une nouvelle forme d’hygiène s’impose partout. Le décès d’un enfant n’est plus la norme. Les médecins vont transmettre des règles qui vont régir les premières années de l’enfant, autour des heures des levers, des couchers, du nombre de tétées, de l’âge auquel il est bon qu’un enfant s’assoie, marche, parle, etc. Là encore, le savoir empirique laisse la place à un savoir scientifique, privant les parents d’une part de leur responsabilité éducative. Nul doute que des bons parents de 1850 auraient été considérés comme des tortionnaires irresponsables 70 ans plus tard.

Bien sûr, en pleine industrialisation, en même temps que se développent les villes et que les structures familiales élargies se voient délaissées, de plus en plus d’enfants sont livrés à eux-mêmes. Tandis que se met en place une nouvelle éducation, apparaissent également les premiers effets de la misère ouvrière. Tous ces gamins des rues ne ressemblent pas au Gavroche de Victor Hugo ; la plupart mendient, volent, saccagent et agressent en bande le bourgeois, et l’on pallie les carences parentales en créant des asiles d’accueil. En ce début de XXe siècle, on a ainsi une France divisée entre les campagnes traditionnelles et les villes où se côtoient les très pauvres et les très riches. Certes, les idées révolutionnaires de la « bonne éducation » font doucement leur chemin, mais l’inégalité sociale engendre des modes éducatifs extrêmement diversifiés et de nouvelles formes de misère inconnues jusqu’alors. L’école est maintenant centrale de toute éducation et les enfants abandonnés ou laissés à eux-mêmes (59 000 à Paris en 1909) se voient pris en charge par l’Assistance publique afin de leur assurer une scolarité régulière.

Une autre révolution éducative est en marche en cette fin de XIXe siècle. Avec l’industrialisation, les enfants, dans leur grande majorité, ont accès aux jouets jusque-là réservés à une élite sociale et le jeu non collectif, qui ne faisait pratiquement pas partie de l’univers enfantin, devient essentiel au développement des petites filles et petits garçons. Les jouets sont principalement des petits soldats de plomb auxquels les garçons, futurs soldats, s’identifient, et des poupées que l’on élève comme la bonne maman que l’on deviendra. Mais au-delà de ces distinctions genrées, pour la première fois de l’Histoire, les enfants vivant dans des appartements de ville vont connaître la solitude et apprendre les jeux individuels. La civilisation de la communauté campagnarde a basculé vers un resserrement sur la famille nucléaire (père, mère, enfants) et chacun apprend à vivre sans le recours au groupe naturel (la tribu) qui contrôlait, rassurait et bien sûr limitait les libertés. L’enfant s’initie naturellement à ces nouvelles normes sociales de l’individualisme contraint. Nous l’avons dit, la référence identitaire de chaque individu n’est plus le village, la région, le terroir mais bien la nation France pour laquelle il faut de bons ouvriers, de bons soldats et de bonnes ménagères. Le jeu dépasse vite la simple notion de plaisir et de modé- lisation des esprits pour devenir un enjeu pédagogique. Les spécialistes de l’éducation vont très vite inventer le terme de « jeux éducatifs », propices à l’épanouissement de l’enfant, et on fera la distinction entre les jeux à l’ancienne, en vogue dans les cours de récréation et les patronages (type balle au chasseur, osselets, cordes à sauter, marelles) et les jeux nobles qui peuvent servir de base à l’éducation des enfants.

En un sens, on assiste entre 1850 et 1930 à un double mouvement paradoxal de la responsabilité éducative des parents. D’une part, ils se retrouvent seuls maîtres de l’éducation de leurs enfants à la maison. Il n’y a plus l’influence des grands-parents, des anciens du village, du curé ou des témoins extérieurs vivant à la ferme. Mais inversement, les parents sont dépossédés de leurs modes traditionnels d’éducation familiale par une école toute-puissante et des pédagogies nées de réflexions de savants, que viendront enrichir la psychanalyse et les théories œdipiennes.

Encore une fois, l’ancienne définition de « la bonne éducation » n’est pas enterrée parce qu’un nouveau paradigme social a bousculé l’ancienne ordonnance. À ce titre et en dépit de la révolution, on baptise toujours les enfants et la mère est chargée des premiers pas dans l’éducation religieuse jusqu’à ce que l’école prenne le relais. Les lois Guizot et Falloux – successivement de 1834 et 1851 – confient en effet la responsabilité de l’enseignement catholique et protestant aux écoles publiques à travers divers cours de catéchisme, d’histoire religieuse ou de prières.

Extrait de "La bonne éducation", d'Etienne Liebig, publié aux éditions Michalon, août 2016. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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