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L'Europe a été voulue comme une construction juridique et pacifique, mais cet accent mis sur le droit a dégénéré en "fétichisme de la règle"
©Pixabay

Bonnes feuilles

Le référendum britannique agit comme un révélateur des problèmes et des incertitudes de l’Europe. Ce livre fait un retour sur les principes encourageants de la construction européenne mais aussi sur ses défauts de conception. Il rappelle les idéaux, les réalisations (dont l’euro), les blocages, les fragilités, les lignes de fracture qui ont marqué l’aventure de l’Union au fil des décennies. Dans un contexte tourmenté, cet état des lieux nuancé éclaire les principales questions. Extrait de "La fin de l'Europe", d'Olivier Lacoste, aux éditions Eyrolles 1/2

Olivier Lacoste

Olivier Lacoste

Olivier Lacoste est diplômé de HEC, de l’IEP Paris, titulaire d’un DEA d’économie, d’une maîtrise de sociologie et d’un Master de droit des affaires et ancien élève de l’ENA. Économiste (Crédit Lyonnais, institut de conjoncture Rexecode), journaliste (L’Expansion, Usine nouvelle, Investir, Alternatives économiques…), il a traité de questions européennes, notamment comme directeur des études du Think Tank Confrontations Europe. Il a animé des débats économiques à la Maison de l’Europe de Paris. Il a été maître de conférence à Sciences Po et conseiller au cabinet du secrétaire d’Etat en charge de la prospective. Il est déjà l’auteur de Les crises financières, éditions Eyrolles, 2015.

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Sous le signe du droit

Le droit singularise l’architecture et les productions de l’Union. Ce chapitre, tout en soulignant cette particularité, offre l’occasion de présenter aux lecteurs peu habitués au «jargon » communautaire les aspects juridiques essentiels pour continuer leur lecture.

Une architecture juridique complexe

L’Union, par ses institutions, ne ressemble ni à un État ni à une organisation internationale classique.

Le Conseil européen (CE, à ne pas confondre avec le Conseil) rassemble les chefs d’État et/ou de gouvernement. Il n’était pas prévu par les premiers traités. Il a succédé aux «sommets européens» qui ont vu le jour dans les années 1960. Il est devenu une réunion régulière à partir du sommet de Paris de décembre 1974, présidé par Valéry Giscard d’Estaing. Il se réunit deux fois par semestre en régime normal; plus souvent en période de crise. Il est supposé avoir un rôle politique d’impulsion. Il intervient souvent pour débloquer les négociations enlisées au niveau des ministres, par exemple sur le budget communautaire pluriannuel. Depuis les origines, la présidence du CE était exercée par l’État exerçant la présidence du Conseil. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en décembre 2009, le président du Conseil européen exerce ses fonctions pendant deux ans et demi. Les modalités de sa nomination sont opaques (voir chapitre 3).

La Commission européenne est une institution non élue. Malgré des tentatives de réforme, chaque État continue à désigner un commissaire. La désignation de la Commission se fait en plusieurs temps et implique deux votes d’approbation du Parlement : un vote pour le président de la Commission, choisi par le CE (Jean-Claude Junker exerce cette fonction depuis le 1er novembre 2014); un vote pour l’ensemble du collège des commissaires. C’est le président de la Commission qui assigne leurs fonctions aux commissaires. La Commission a le monopole de l’initiative des projets de textes normatifs: elle seule a le pouvoir de rédiger une proposition et de la soumettre au vote du Conseil et du Parlement européen. Elle est aussi la gardienne des traités: lorsqu’elle estime que ceux-ci ne sont pas respectés elle peut entamer des procédures, notamment à l’encontre des États.

Le Conseil (on peut avoir le réflexe d’ajouter « des ministres», même si ce n’est pas l’appellation officielle) représente les États membres. Il se réunit en différentes formations : il rassemble tantôt les ministres de l’Économie (Conseil Ecofin), de l’Industrie et de la Recherche (Conseil Compétitivité), des Affaires sociales (EPSSCO), étrangères, de l’Agriculture… Il vote sur les projets de textes soumis par la Commission. Chaque État assume à tour de rôle la présidence du Conseil pendant six mois. Cette «présidence tournante» n’a pas été mise en cause par le traité de Lisbonne. Les ministres se font parfois repré- senter lors des Conseils par un ambassadeur auprès de l’UE. Chaque État membre dispose de son ambassade, dont le nom officiel est «représentation permanente » (RP). Les travaux du Conseil sont préparés par le Comité des repré- sentants permanents (COREPER) et par des groupes et comités techniques.

Des votes à géométrie variable au sein du Conseil

Les traités prévoient trois modalités de vote pour les ministres. La majorité simple (un État – une voix) concerne un petit nombre de sujets, par exemple l’adoption des questions de procédure. L’unanimité a vu son domaine se réduire: elle reste requise pour la fiscalité, la sécurité sociale… La majorité qualifiée concerne les autres champs de compétence de l’UE. Depuis les origines, elle se traduisait par un «vote pondéré»: chaque État avait un certain nombre défini de voix, un peu comme dans une assemblée de copropriétaires en fonction des tantièmes. Le traité de Lisbonne a changé la donne et défini la majorité qualifiée comme «étant égale à au moins 55% des membres du Conseil […] réunissant au moins 65% de la population…» (art. 238 TFUE). Ce nouveau système de vote, dit «de double majorité », modifie l’équilibre au sein du Conseil : il renforce le pouvoir des grands et des petits pays, au détriment des pays de taille intermédiaire.

Le Parlement européen (PE) représente le peuple européen. Il est élu au suffrage universel direct depuis 1979. À l’origine, il pesait moins que le Conseil dans le processus décisionnel. Ce déséquilibre a été atténué au cours des traités successifs, le PE ayant son mot à dire dans un nombre croissant de domaines. Contrairement aux parlements nationaux, il n’a pas le pouvoir de mettre une proposition de texte sur la table. En matière de budget de l’Union, il a une influence significative sur les dépenses et marginale sur les recettes. Ces singularités seront étudiées plus avant, notamment au chapitre 3.

Le système juridictionnel de l’Union comprend une juridiction suprême, la «Cour de justice », un tribunal et des juridictions spécialisées. Depuis le traité de Lisbonne, le système juridictionnel est dénommé «Cour de justice de l’Union européenne». Elle «assure le respect du droit, dans l’interprétation et l’application des traités» (art. 19 TUE).

D’une part, la Cour peut examiner des recours directs, notamment les «recours en manquement», initiés le plus souvent par la Commission, plus rarement par les États, qui permettent d’obtenir, par la voie judiciaire, que les États membres respectent leurs obligations communautaires. D’autre part, elle se prononce sur des renvois préjudiciels, relatifs à des questions de droit que lui soumettent les juridictions nationales. La réponse de la Cour est indispensable pour traiter un litige. Elle ne statue pas sur une affaire : elle dit comment il faut comprendre et lire le droit de l’Union.

Le système institutionnel, se diront certains lecteurs, tient de l’usine à gaz. Or, il se sophistique avec les années. L’Eurogroupe, par exemple, qui réunit mensuellement les ministres de la zone euro, juste avant l’Ecofin, et qui reste une instance plutôt informelle, même si l’article 137 TFUE en fait mention, s’est vu attribuer une présidence de deux ans et demi1 pour mieux structurer le cénacle où se traitent les affaires spécifiques de l’euro. Cette présidence s’ajoute à celles du CE, du Conseil, de la Commission, du PE… La complexification des institutions contrarie l’appropriation de l’Europe par le citoyen. Quel pourcentage de la population sait que Donald Tusk est, depuis le 1er décembre 2014, président du CE? Qui sait en fonction de quels critères il a été nommé ?

Extrait de "La fin de l'Europe", d'Olivier Lacoste, publié aux éditions EyrollesPour acheter ce livre, cliquez ici

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