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Véritable concurrence ou organisation de la domination mondiale : comment la Chine et les USA font leur Yalta du numérique
©Reuters

Les entrepreneurs parlent aux Français

Le gouvernement chinois a tranché : Uber China doit fusionner avec son champion local Didi Chuxing ! La décision de la Chine avait été précédée quelques jours avant, d’une nouvelle législation qui légalisait la réservation en ligne sur le plus grand marché mondial des voitures avec chauffeur, afin de rétablir une logique de rentabilité et calmer le mécontentement des taxis traditionnels.

Denis Jacquet

Denis Jacquet

Denis Jacquet est fondateur du Day One Movement. Il a publié Covid: le début de la peur, la fin d'une démocratie aux éditions Eyrolles.  

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L’affaire Uber China : la  régulation vs la règle du "Winner takes all"

Le cynisme et les calculs sont en marche et font recette. 2 mondes s’affrontent, ou du moins le semble t-il. Celui de l'hyper-capitalisation, par une économie menée par les fonds d’investissement qui regorgent d’argent et sont prêts à tout risquer pour dominer le monde. Les USA. Et un monde dans lequel le pouvoir a décidé de faire du numérique une arme de domination mondiale. Les premiers ont compris que le monde était à eux, à une exception près. La Chine. Les seconds ont compris seul leur monde n’était qu’à eux, mais qu’il était assez gros pour y imposer leurs conditions et se faire attribuer un part du gâteau mondial qu’ils n’obtiendraient pas autrement.

Alors ils ont trouvé une solution idéale. Des participations croisées, qui leur assurent de lier leurs intérêts, profits et stratégies, pour le bonheur du retour sur investissement de leurs investisseurs et une domination sans partage du digital planétaire. Les perdants seront des nains à leur service et l’Europe va jouer à merveille ce rôle d’observateur, du succès des autres !

Un très bel exemple nous est fourni par le cas Uber en Chine. Fin de partie apparente pour le géant américain Uber en Chine, le gouvernement chinois a tranché : Uber China doit fusionner avec son champion local Didi Chuxing ! La décision de la Chine avait été précédée quelques jours avant, d’une nouvelle législation qui légalisait la réservation en ligne sur le plus grand marché mondial des voitures avec chauffeur, afin de rétablir une logique de rentabilité et calmer le mécontentement des taxis traditionnels.

Désormais, le géant Didi Chuxing, en situation de monopole, peut fixer ses prix en toute tranquillité  et réduire ses coûts, du fait des économies d’échelle réalisées avec sa fusion avec Uber China.

Pourtant, Uber China présent dans une soixantaine de villes chinoises et assurant le transport de 40 millions de chinois chaque semaine, avait tenté d’acheter au départ son concurrent chinois local, avant sa fusion avec deux applications d’appel de taxis : Didi Dache, soutenu par le réseau social Tencent et Kuaidi Dache, soutenu par le groupe de commerce en ligne Alibaba, les plus gros acteurs du web en Chine !

Comme toujours, Uber applique la même méthode en profitant dès le départ sur un nouveau marché, des effets de réseau et d'alliances entre acteurs ; Apple a participé au tour de table de Didi contre Uber qui avait le soutien de Baidu !

Ainsi, depuis l’avènement d'Internet,  une géographie politique du numérique se dessine avec un partage méthodique des filières entre les Etats-Unis et la Chine.

En une décennie, le gouvernement chinois veille comme le gouvernement américain, a aligné ses champions locaux face aux champions de la Silicon Valley comme Baidu (Google chinois), Alibaba (Amazon Chinois), WeChat  du groupe Tencent (Facebook, WhatsApp, Twitter, Tinder)…

En effet, difficile d’ignorer le contrôle des Etats-Unis sur internet, essentiellement par ses acteurs privés américains très puissants, et devenus de véritables passages obligés ; ce sont les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et maintenant les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber).

Ces derniers,  affichent une progression vertigineuses à l’aide de nouveaux modèles, comme celle de l’économie dite "collaborative", et "ubérisent" secteur après secteur, l’économie numérique mondiale.

La société Uber a réussi le tour de force de s’implanter en Chine, là où les GAFA avaient échoué (à l’exception d’Apple).

L'objectif d'un NATU est d'être champion d'une filière qui n’a pas accompli sa transformation numérique : mettre au départ tous les moyens afin de récolter très vite le plus d’utilisateurs  et appliquer la règle du  "Winner takes all" .

Les chinois ont appliqué cette règle avec leur groupe chinois Didi pour devenir le champion de  la commande de taxi par smartphone en Chine, et bientôt à la conquête du marché mondial !

En ligne de mire, une course contre la montre contre les Etats-Unis pour détenir le monopole de la filière transport et à terme, du marché de la voiture autonome …

Les alliances vont bon train. Les échanges croisées de capital entre les opérateurs des 2 pays s’accélèrent, les Chinois négocient magnifiquement bien leur énorme marché en obtenant des parts de leurs concurrents américains quand ceux-ci sons plus puissants, quand les américains en obtiennent autant quand ils doivent s’incliner face à leur concurrent local. Au final une toile américano-chinoise, qui n’a plus rien de neutre !

En Europe, le marché des voitures avec chauffeur est encore extrêmement réglementé, ce qui nous laisse penser que nous sommes protégés.

Toutefois, l'Europe doit s’interroger sur sa difficulté à donner naissance à son tour à des géants capables de challenger les acteurs américains ou chinois et s’affranchir du  statut " colonie du monde numérique "collé par un rapport du Sénat en 2013.

Toutefois, l’Europe est bien consciente qu’une régulation de l’économie collaborative ne doit pas être guidée par la défense d’acteurs établis, mais pour l’instant elle réagit en ordre dispersé.

- L’Allemand Mytaxi et le Britannique Hailon ont fusionné pour devenir un poids lourds européen  mais avec le Brexit, l’avenir de cette association semble compromise.

- L’Estonie, prochain pays européen à assurer la présidence tournante de l’Union européenne, suit la démarche chinoise en permettant à Uber de s’associer à son concurrent local TaxiFy qui opère aussi en Lettonie et Lituanie.

- En France, le groupe français G7 (8000 taxis sur 55000) a lancé sa propre application eCab mais son investissement (15 millions sur trois ans) reste bien faible pour résister à cette lutte mondiale sur le marché de la commande de taxi, pour lequel les investisseurs de Uber parient à coups de milliards !

Face à cette situation, le gouvernement français ne peut  plus offrir comme  alternative la régulation (avec une nouvelle loi) ou la sanction. Et c’est pourtant la seule voie qu’il ait choisit à ce jour. Réguler, fiscaliser. Yann Galut, député PS, a cru alimenter sa petite publicité personnelle, en partant récemment en croisade contre Airbnb à l’heure où nos législateurs devraient pourtant se soucier en priorité de comprendre et embrasser le numérique. Leur unique réaction (même si le sujet mérite largement réflexion) reste la fiscalité et la régulation, éternellement.

L’accélération numérique nous oblige à repenser notre souveraineté économique, forcément européenne,  en utilisant à notre tour des outils puissants, pour équilibrer cette mainmise américaine et chinoise sur l’économie numérique.

Le nouveau règlement européen sur la protection des données personnelles, voté le 14 avril dernier et  qui entrera en vigueur en mai 2018, porté par le message prémonitoire de l’ancienne vice-présidente de la Commission européenne Viviane Reding "un continent = une règle applicable" sera un outil très puissant que la France doit saisir au plus vite.

Ce règlement va redistribuer les cartes de la compétition internationale numérique en dotant l’Europe d’un cadre réglementaire enfin unifiée,  sa fragmentation pénalisait jusqu'ici l’émergence d’un géant européen au profit de géants non-européens, qui puisait dans cet immense réservoir européen de la matière première de l’économie numérique.

Ainsi, le nouveau Règlement de la protection des données (RGDP) ouvre une nouvelle gouvernance des données, l'Europe va être plus forte et mieux armée pour l’émergence de nouveaux champions européens, soumis à un marché européen bientôt uniforme.

Néanmoins, cela ne constituera qu’une première étape, importante mais non suffisante. L’investissement sera le moteur indispensable du financement de ces géants que nous devons inventer. Calculer leur position et mesurer l’impact sur la concurrence ne devra plus se faire à l’échelle de l’Europe comme nous l’avons fait de façon stupide depuis si longtemps, en pénalisant nos propres acteurs et en les empêchant d’atteindre la taille critique. Nous avons tant de conditions à réunir et si peu de temps ! Il serait temps que nous passions plus de temps à régler nos problèmes de domination mondiale qu’à gérer les "invasions" de migrants. Notre avenir et notre indépendance, en dépendent.

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