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Cérémonie de clôture : pourquoi les Jeux Olympiques rapportent des milliards... dont les athlètes ne voient jamais la couleur
©Reuters

Médailles en chocolat

Cette année, le crowdfunding (système de financement participatif) a permis à plus d'un athlète de participer au rendez-vous fixé à Rio. Preuve de solidarité sociale ou expression d'une défaillance du financement des événements sportifs ? Voilà ce qu'il faut savoir sur la popularisation de ces plate-formes au sein des équipes nationales.

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau

Pierre Rondeau, professeur d'économie et doctorant, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonnevient de publier "Coût franc, les sciences sociales expliquées par le foot" (Bréal)

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Atlantico : Les Jeux Olympiques font fructifier des milliards de dollars, mais nombreux sont les participants qui se débattent pour pouvoir s’y rendre, ou tout simplement vivre de leur pratique sportive. Comment expliquer ce paradoxe ? En quoi le crowdfunding peut-il être considéré comme une réponse à cette antinomie ?

Pierre Rondeau : Pour chaque olympiade, le CIO ne cesse d’augmenter ses bénéfices. Déjà à Londres en 2012, il avait gagné plus d’un milliard d’euros sur les recettes marketing et pas moins de 4 milliards en droit télé. Malgré ces succès financiers évidents et bien que les coûts d’organisation soient, en grande partie, pris en charge par le pays organisateur, il n’y a quasiment pas de redistribution en faveur des principaux acteurs : les sportifs. Le CIO reverse une partie de ses bénéfices à chaque pays participant et, sous l’axiome de l’indépendance politique, chacun décide seul de la manière dont il va utiliser cette richesse. La France, par exemple, promet 50 000 € pour toute médaille d’or gagnée, 20 000 € pour une médaille d’argent et 13 000 € pour une médaille de bronze. Il n’y a pas de prime de participation mais l’ensemble des frais de déplacement et de vie sont pris en charge par les fédérations.

A l’inverse, certains pays ne se préoccupent pas du bien-être de leurs sportifs et les laissent se débrouiller et s’organiser eux-mêmes. Il n’y a aucune égalité de traitement et aucune égalité de dotation au début de la compétition, voire quatre ans avant, au moment de la préparation. Les Britanniques, par exemple, ont décidé, dès 1996, de soutenir l’ensemble de leurs sportifs et de leurs donner le plus de moyens possible afin de performer lors des Jeux et remporter le plus de médailles possibles. En 1996, lors des Jeux d’Atlanta, le pays avait connu un flop historique, en ne glanant que 15 médailles (contre 55 actuellement, dont 21 en or) et finissant 36ème au classement international des médailles. Le gouvernement, face à l’affront, décida de révolutionner sa politique sportive et d’injecter énormément d’argent. Le but : devenir la première nation sportive européenne. Lors des JO de Londres, en 2012, 345 millions d’euros ont été alloués au seul budget des sportifs. C’est le loto national qui finance le développement et le soutien du sport britannique. L’ensemble des bénéfices est directement injecté dans ce fond. Tout est pris en charge, des émoluments des entraînements aux frais de déplacements en passant par ceux de l’équipement. Le budget britannique consacré au sport olympique est quatre fois plus élevé que le budget destiné à la pratique du sport à l’école et à la lutte contre l’obésité.

Aux antipodes de cette approche, l’Inde, pays de 1,25 milliard d’habitants, à la puissance démographique et économique exceptionnelle, ne fait strictement rien en matière de politique sportive : pas de fonds destiné au soutien des sportifs, pas de budget consacré à leurs traitements, à leurs préparations, à leurs formations. Et cela s’illustre lors des Olympiades, l’Inde est un nain sportivement ! Seulement 1 médaille à Rio… et elle est en bronze. En France, il y a une logique verticale, des meilleurs sports vers les plus faibles. Tous les sports professionnels, qui émergent à travers la revente des droits TV (comme le football ou le rugby), doivent reverser la taxe Buffet : 5% du total des gains vient financer le Centre National pour le Développement du Sport. Le CNDS est chargé de financer et de soutenir l’ensemble des sports olympiques, et notamment ceux qui ne sont pas indépendants financièrement. Leur budget annuel est de 30 millions d’euros environ. Seulement, le partage n’est pas égalitaire mais équitable, en fonction de la taille des fédérations, calculée à partir du nombre de licenciés. Plus un sport est populaire (comme l’équitation ou le tennis) plus les aides augmentent, ce qui permet de soutenir financièrement (et sur le long terme) tous ses sportifs participants. Ils peuvent se consacrer intégralement à leur préparation et optimiser leurs performances. A l’inverse, les sports moins bien dotés en termes de licenciés (comme la boxe ou le badminton) se retrouvent avec moins d’aides et sont relégués en seconde zone.

De toute manière, ces aides ne permettent pas aux sportifs, la plupart du temps, de vivre de leur passion. Au mieux, cela prend juste en charge les frais de déplacement et la rémunération des entraîneurs, mais la vie au quotidien reste difficile. C’est pour cette raison que certains sportifs cherchent des sources de financement alternatives, comme le sponsoring, voire, récemment, le crowdfunding.

Cette dernière technique, l’engagement participatif, consiste à rechercher un financement via des aides apportées par de nombreux volontaires. En pariant de très petites sommes (parfois seulement 10€), des centaines voire des milliers de fans vont "parier" sur leur champion, lui offrir une aide substantielle, lui permettre de se donner tous les moyens pour réussir. C’est la somme des intérêts individuels qui traduit la maximisation de l’intérêt général : si 1 000 personnes, du monde entier, croient en un athlète particulier, sont fans de lui ou espèrent seulement l’aider et lui donnent chacun 10€, ce dernier se retrouvera avec 10 000€, gain non négligeable en vue de la préparation olympique. Le crowdfunding renvoie aussi à la nécessité d’une visibilité médiatique de la part des sportifs, ils ont l’obligation d’être connus et d’être respectés, admirés, célébrés. Leur quotidien se rattache à des actions d’attaché de presse, de community manager. Ils doivent être reconnus afin de drainer, d’attirer des fans-donateurs. Par exemple, bien que son sport soit peu médiatisé, peu reconnu, Kevin Mayer, au décathlon, arrive à réunir plus de 35 000 followers sur Twitter, soit une fanbase très importante, qu’il peut ainsi monétiser et espérer y récupérer une prime financière.

Aujourd’hui, les sportifs olympiques, en plus de leurs obligations physiques, deviennent des êtres médiatiques et "médiatisables", ils doivent exister au milieu de l’immense marché du sport olympique et survivre le plus longtemps possible (35 disciplines olympiques, 15 000 sportifs présents lors des Jeux Olympiques pendant 20 jours, la concurrence est rude…).

Cette année, la plateforme de crowdfunding en ligne, Dreamfuel, a financé la victoire du nageur américain Anthony Ervin au relais 4*100m, mais aussi la participation des athlètes Chad Ho, Erik Risolvato, Hafsatu Kamara ou encore Kelsey Campbell aux Jeux Olympiques de Rio. Le succès du crowdfunding laisse à penser qu’avoir des ressources pécuniaires importantes serait une condition élémentaire pour être un athlète performant. Est-ce le cas ? Si oui, pourquoi ?

Au-delà du cas par cas, il est évident que la variable "ressources pécuniaires" est la condition essentielle et primordiale de la réussite sportive. Les différentes études macroéconomiques existantes sur la question montrent que le paramètre "richesse économique" explique plus de 40% des performances sportives. Plus un pays est riche, plus les dotations offertes aux sportifs sont importantes, plus le succès est au rendez-vous. C'est facile à comprendre. Tout d’abord, tout au long de la préparation, avant les Jeux Olympiques, si l’athlète a les moyens de se consacrer intégralement à son sport, sans penser à autre chose ni faire autre chose, il maximise ses chances. Il optimise sa préparation et s’entoure du meilleur staff possible, s’assure les meilleurs équipements, les meilleures infrastructures et les meilleurs entraînements. Tout est tourné autour de lui et seulement pour sa réussite personnelle. On doit atteindre la perfection, le haut-niveau.

Ensuite, la théorie du salaire d’efficience, en science économique, montre que les incitations extrinsèques, autrement dit les récompenses monétaires, boostent les performances et la productivité des agents. Autrement dit, plus vous êtes payé, plus vous voulez travailler et mieux. Appliqué au sport, cela signifierait qu’une augmentation de la rémunération du sportif accroîtrait ses performances et ses compétences, ce qui serait bénéfique à ses résultats (théorie vérifiée dans le cas du football professionnel, notamment en France et en Angleterre). La théorie explique que "c’est l’inconscient de l’argent qui joue, il serait incité à remercier son patron pour son geste altruiste, l’augmentation de son salaire". Dans le cas du crowdfunding, ce n’est plus le patron que le sportif veut remercier mais les dizaines, les centaines, les milliers de personnes qui l’ont soutenu financièrement. Dans l’optique de remercier ses fans, ses soutiens, ses admirateurs, l’athlète pourrait améliorer significativement ses performances.

Enfin, l’apport financier est aussi non négligeable durant toute la durée de la compétition. Pas de vol en classe éco jusqu’à Rio mais en business dans les meilleures conditions, pas de problème de visa à l’arrivée, etc. Tout est assuré et garanti à travers la bonne préparation et les bons investissements. Le sportif est tourné et concentré sur un seul objectif : la réussite olympique. Rien d’autre.

D’un point de vue pratique, ce genre de financement ne risque-t-il pas de déconcentrer les athlètes, lesquels doivent garder un œil sur la progression de leur levée de fonds ?

Oui et non, tout dépend de comment cette levée de fond est gérée et comment l’expérience est vécue. Un sportif de haut niveau doit se concentrer intégralement autour de son objectif, les JO. Son entourage a aussi un rôle essentiel. S’il est bien entouré, cela ne devrait pas poser de problème, et l’inverse est aussi vrai. Ce n’est pas la manière dont son financement a été réalisé qui pose problème, c’est la façon dont il a été géré. Même dans les sports professionnels où beaucoup d’argent est drainé, comme le foot ou le basket (US, la NBA), il arrive que des joueurs perdent leurs moyens et s’effondrent psychologiquement. Encore une fois, ce n’est pas l’argent qui pose problème, c’est la manière dont elle est employée. Les sports amateurs connaissent autant de situations graves que les sports professionnels, seul compte le mental des pratiquants. On en revient à la même idée : l’entourage compte autant que le staff et les entraîneurs.

Et puis, quid du quotidien du sportif de haut niveau ? On n'en parle jamais. En football, les différentes biographies de joueurs (dont le fameux "Le football masqué") traitent de l’ennui du quotidien : le footballeur s’entraîne, en moyenne, cinq fois par semaine, de une à deux heures par jour. Le reste du temps, il est livré à lui-même, ne fait rien (c’est d’ailleurs pour cela qu’on en voit certains finir dans de très mauvaises conditions…). Dans sa biographie C’était pas gagné, Didier Drogba expliquait qu’à son arrivée à Chelsea, en Angleterre, il s’est beaucoup ennuyé et passait ses journées affalé sur le canapé devant la télévision. Le sportif, aux Jeux Olympiques, est confronté à la même situation : il doit éviter le surentraînement et limiter sa pratique à une à deux heures par jour. Tout le reste de son temps peut être consacré à la gestion de son budget et à la recherche de financement. L’idéal pour se vider la tête.

Quelles autres solutions financières pourraient pallier le manque de moyens de certains athlètes ? 

A échelle macroéconomique, l’application égalitaire à l’anglaise du financement du sport peut être intéressante, notamment avec la loterie. En France, les bénéfices du loto et des paris sportifs pourraient être directement reversés à 100% au CNDS afin de soutenir le développement de tous les sports et de tous les sportifs, notamment lors des JO. De même, la marchandisation des droits de diffusion pourrait être développée par les fédérations et dégager des bénéfices alternatifs. Les droits de diffusion sur Internet ou sur les téléphones portables, les tablettes, devraient être mis en vente afin d’offrir à un public plus large l’accès à plus de sports et d’images. Certains sports minimes pourraient même diffuser gratuitement des matchs, augmenter l’audience et la visibilité (comme le waterpolo qui, en 2014, avait diffusé gratuitement sur Internet quelques rencontres du championnat de France). Tout cela afin de favoriser l’attractivité des partenaires commerciaux et des sponsors. Globalement, la question de ces financements reste politique : pourquoi des individus accepteraient de payer afin de soutenir des sports qu’ils ne regardent pas ou qu’ils n’écoutent pas ? Instaurer une société sportive égalitaire ou équitable est-il un objectif réalisable ? Pourquoi soutenir le sport et pas d’autres domaines, tels que la santé, le social ou la solidarité ? La question mérite d’être posée même si la France reste une nation majeure dans la hiérarchie du sport mondial.

Propos recueillis par Victoire Barbin Perron

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