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La stratégie du déni : comment la machine François Hollande se met en action pour l’élection présidentielle de 2017
©Reuters

C’est pas ma faute à moi

Alors que son quinquennat touche à sa fin, François Hollande tire un premier bilan de son action dans un livre paru ce mercredi, "Confessions privées avec le président". Un moyen pour l'actuel président de commencer à mettre en place sa stratégie pour 2017 visant à se présenter comme la seule alternative à gauche.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : Ce mercredi est paru l'ouvrage Conversations privées dans lequel François Hollande revient sur son quinquennat sous la forme d'entretiens. En pointant le "manque de bol" concernant l'inversion de la courbe du chômage, ainsi que les erreurs commises par ses ministres, leurs cabinets, ou par le Parti socialiste pour d'autres situations, notamment sur l'affaire Leonarda ("dans cette affaire, le PS a fait une faute politique"), François Hollande semble se défausser totalement de toute responsabilité personnelle dans le bilan de son quinquennat. Une telle vision, empreinte d'une forme de déni, est-elle tenable par le président de la République ? N'est-elle pas plus néfaste encore pour son image ?

Bruno CautrèsC’est sans doute la première fois qu’un Président en exercice publie un livre de « conversations» sur son mandat et son action. L’exercice est périlleux, d’autant plus qu’il s’agit du Président qui a atteint des sommets d’impopularité et d’opinions négatives sur son action et son bilan. Si la lecture de ces« conversations » (qui sont presque des « confessions ») est tout à fait intéressante pour les analystes politiques, il est à craindre pour François Hollande qu’elle ne laisse l’image d’un « monarque » qui décide seul et n’a « pas de bol ». La faute aux autres, le contexte, les circonstances, les ministres, le PS, les collaborateurs. Si le propos est en fait davantage prospectif (« il reste beaucoup à faire ») que rétrospectif (« j’aurai donné le meilleur de moi-même. Les gens ont vu ce que j’étais capable de faire »), les « conversations » sur la question de l’inversion de la courbe du chômage laissent également l’impression d’un jeu de poker : le Président admet qu’en début de mandat, « l'erreur, c'est d'avoir fixé l'échéance ‘avant la fin de l'année’ comme point d'arrivée » (…) Puis je répète cet engagement lors des voeux le 31 décembre 2012. J'ai eu tort ! Je n'ai pas eu de bol !. En même temps, j’aurais pu gagner». Ces mots reviendront en boomerang sur François Hollande si les chiffres du chômage continuent de ne pas montrer avec netteté la fameuse « inversion de la courbe ». On est d’ailleurs tout à fait étonné par le fait que François Hollande se soit prêté au jeu de ces « conversations » au cours de son mandat. De nombreux passages, tout à fait passionnants à lire du point de vue de l’analyse politique, donnent en effet le sentiment d’un pouvoir narcissique qui se contemple face à l’histoire (sur l’objectif d’inverser la courbe du chômage le Président indique : « rétrospectivement, je suis tout à fait reconnaissant non seulement à Sapin mais aussi à moi-même d’avoir fixé cet objectif par ce que ça  a permis de mobiliser (…) je revendique cette méthode).

Eric Verhaeghe : Ce qui frappe surtout, c'est la rupture profonde entre François Hollande et la réalité. Pour le Président, les coups à la petite semaine qu'il peut monter comme quand il était Premier Secrétaire du PS et qu'il abusait les militants du parti, ont un impact sur la réalité. François Hollande ne semble pas mesurer le rejet dont cette technique de gouvernance fait l'objet. Les citoyens sont usés, épuisés par ces tactiques où l'objectif est de remporter une victoire de communication dans l'opinion sans modifier en profondeur la réalité sociale et économique du pays. Ils ont besoin d'une vision à long terme. Chacun sent bien les incertitudes dans lesquelles nous sommes plongés du fait de la révolution numérique et des autres évolutions structurelles du monde occidental, notamment sur tout ce qui touche à la question identitaire. Le fait que le Président ne comprenne pas que son silence gêne, marque une sorte de désintérêt des élites pour les sujets au coeur de la nation et de son avenir et en cela perturbe les esprits, montre combien il n'est pas équipé pour faire face à l'avenir. François Hollande dirige la France comme il a appris à diriger le Parti socialiste, en cherchant des majorités de circonstance pour des projets de circonstance. Et il ne soupçonne pas que cette vision court-termiste ne peut remplacer une vision politique à long terme.

A plusieurs reprises, François Hollande se montre particulièrement critique à l'égard de Manuel Valls, notamment sur l'épisode de l'avion gouvernemental pris par le Premier ministre pour assister à un match de foot en Allemagne ("Indéniablement, il y a eu erreur. (...) Je pense que ses conseillers ont essayé de le dissuader d'y aller. En vain") ou bien sur l'affaire Leonarda (à propos de Valls : "Je lui dis: (..) Ca ne sert à rien d'offrir à ceux qui nous contestent des formules qui peuvent apparaître comme stigmatisantes. C'est exactement ce qu'on avait reproché à Sarkozy !"). N'est-ce pas là un moyen de se montrer positivement par rapport à l'actuel Premier ministre afin de l'écarter de la course à la primaire ? Manuel Valls peut-il à nouveau servir le chef de l'Etat dans un rôle d'épouvantail pour la gauche ?

Bruno CautrèsLes "conversations" de François Hollande comportent également des passages où François Hollande exprime des choses positives fortes sur Manuel Valls et notamment sa "présidentiabilité" et son action de premier ministre. Mais sur plusieurs épisodes, par exemple la loi Travail et l’utilisation du 49.3, le propos est effectivement plus critique. On ne peut exclure que tactiquement François Hollande souhaite, tout en rendant hommage et en vantant l’expérience et la stature d’homme d’Etat de Manuel Valls, situer son rôle de Président qui laisse le premier ministre gouverner et assumer ses choix mais conserve une forme de distance avec celui-ci. François Hollande a eu beaucoup de difficultés, notamment pendant les deux premières années de son mandat, à s’imposer comme Président et à coller au style présidentiel de la Vème République. Il nous indique entre les lignes qu’il est aujourd'hui un Président qui, conformément à la Constitution, laisser son premier ministre conduire les affaires du gouvernement mais l’observe, le juge aussi. Il s’agit finalement de passer le message qu’un second mandat de François Hollande impliquerait un autre Premier ministre….

Eric Verhaeghe : Pour François Hollande, Manuel Valls est un rival sérieux. Il pourrait en effet apparaître comme l'homme capable d'être meilleur candidat que lui à gauche en cas de défaillance majeure de popularité. De ce point de vue, le raisonnement tenu à gauche sera le même que le raisonnement tenu à droite. Sera le candidat du mouvement celui qui, en termes de popularité, est le plus à même de décrocher une victoire en mai. Donc, si François Hollande devait être moins bien placé que Manuel Valls en fin d'année, notamment dans les sondages, et surtout dans les sondages d'ailleurs, il n'ignore pas que beaucoup à gauche lui poseront la question de sa candidature et de son opportunité. Il faut avoir conscience que l'élection présidentielle n'engage pas seulement le destin d'un homme. Elle charrie avec elle des milliers de carrières individuelles : celles de députés sortants, de candidats aux législatives, d'élus locaux. La démocratie représentative en France est devenue une sorte de Ponzi où des milliers d'élus, et même des dizaines de milliers d'élus, vivent peu ou prou sur le dos de la bête grâce à une locomotive présidentielle. Tous ces gens-là ont besoin d'un candidat qui remporte l'élection pour survivre. Comprenez que tous ces élus ont souvent tout sacrifié dans leur vie pour détenir leur poste et en vivre. Une défaite due à un mauvais candidat à la présidentielle constitue donc une importante perte sèche pour tout un microcosme, un écosystème. Hollande le sait, sait qu'il est sur la sellette, et se méfie.

En vue de la présidentielle de 2017, il reconnaît qu'"il faut trouver le point d'équilibre" à gauche, ajoutant : "Je dois être celui qui trouve le bon équilibre". François Hollande est-il vraiment ce candidat de l'équilibre à gauche, en comparaison notamment avec de potentiels concurrents comme Manuel Valls dont on comprend qu'il est question indirectement dans cette phrase : "Je ne dois pas incarner celui qui est allé trop loin, au-delà de ce qu'il était possible de concevoir pour la gauche" ?

Bruno CautrèsC’est tout le pari de François Hollande pour 2017. Depuis plusieurs mois, François Hollande multiplie les déclarations qui indiquent très clairement sa stratégie politique pour l’élection présidentielle et qui se situent dans la droite ligne du "hollandisme canal historique" si je puis dire : montrer que François Hollande c’est le point de synthèse et d’équilibre : d’abord au sein de la gauche, puis entre une droite qui veut s’en prendre au modèle social français et un Front national qui veut attiser les tensions sur les valeurs. Mais les conflits d’interprétation sur l’action de François Hollande, son bilan et sur les politiques économiques conduites durant son mandat sont très forts à gauche. Sous le triple effet de l’exercice du pouvoir, de la crise et du chômage toujours élevé, la relative unité de la gauche de 2012 s’est brisée. Cette grave crise qui touche en premier lieu un PS en berne comme jamais auparavant n’est certes pas spécifique à la France, c’est toute la social-démocratie européenne qui est en crise. 

Eric Verhaeghe : La particularité de Hollande est son caractère d'invertébré politique. Hollande est un cerf-volant porté par le vent. Que l'opinion réclame une politique de gauche, et il mènera une politique de gauche, qu'elle réclame l'inverse et il retournera sa veste. Ses choix ne sont pas dictés par une conviction ou une vision, ils sont dictés par le petit bonheur la chance, et par l'analyse que lui ou ses conseillers font de l'opinion et de son état. C'est pourquoi l'homme qui présentait la finance comme sa pire ennemie a multiplié les textes contradictoires, tantôt favorables à la finance, tantôt défavorables. C'est précisément ce qui frappe dans la gouvernance française depuis près de cinq ans : son extrême versatilité et son manque de cohérence. L'opinion n'est d'ailleurs pas dupe. Elle sait que François Hollande n'a guère de vision, et qu'il cherche simplement à réussir des coups qui rapportent des voix.

Au sujet de ses concurrents potentiels à droite, François Hollande affirme au sujet d'Alain Juppé : "En campagne, je le vois beaucoup plus fragile que Sarkozy. Sans vouloir faire sa promotion (...), Sarkozy (...) est un bon candidat". Et d'ajouter à propos de Nicolas Sarkozy : "s'il ne lui arrive rien, c'est lui que j'affronterai." Pour quelle(s) raison(s) François Hollande semble souhaiter ce match retour contre l'actuel président LR ? Serait-ce là sa seule chance de l'emporter ? 

Bruno CautrèsDepuis le début de son mandat, François Hollande se dit persuadé qu’il y aura match-retour avec Nicolas Sarkozy. Il le voit vainqueur de la primaire. Cette analyse, que François Hollande ne refuse jamais de laisser filtrer dans les medias, joue ici un double rôle. D’une part, choisir son adversaire par avance c’est montrer que l’on est encore dans la course et dans le jeu : il s’agit pour François Hollande de faire passer entre les lignes l’idée qu’il est, à gauche, le seul à avoir la stature de se mesurer à Nicolas Sarkozy et qu’il l’a déjà battu. D’autre part, il s’agit, de manière plus explicite, de réveiller à gauche « l’anti-sarkozysme » de 2012. Il est sans doute vrai que Nicolas Sarkozy représenterait pour François Hollande un adversaire plus simple qu’Alain Juppé ; mais n’oublions pas qu’aucun sondage récent (dont les résultats si loin de la présidentielle sont à considérer avec beaucoup de prudence néanmoins) ne donne François Hollande tout simplement qualifié pour le second tour de 2017… Si ces sondages se confirmaient à l’approche de la présidentielle cela voudrait dire que le match-retour avec Nicolas Sarkozy (à condition que celui-ci gagne la primaire) ne serait qu’un match de premier tour…..Avec Alain Juppé, l’opération serait plus difficile pour François Hollande car il s’agirait alors de réveiller à gauche les craintes que le maire de Bordeaux n’ait en fait pas changé son logiciel idéologique et économique depuis 1995. Qu’il est toujours bien ce libéral qui veut réduire le rôle de l’Etat dans la société et l’économie. Mais quel que soit l’adversaire que la primaire de la droite lui donnera, François Hollande sera  en position très difficile et délicate : il est le président sortant, ce qui en temps de crise et de chômage élevé, est un peu « la place du mort »…Son niveau très fort d’impopularité sera difficile à compenser, il va faire face à des adversaires au sein même de la gauche (Jean-Luc Mélenchon, Benoit Hamon et/ou Arnaud Montebourg, un ou une candidate EELV). 

Eric Verhaeghe : Je commencerais quand même par dire que Hollande connaît bien les règles du jeu politique, et qu'il sait que Nicolas Sarkozy est effectivement un candidat qui a une étoffe particulière. Comme Hollande le dit assez bien, Sarkozy a un défaut majeur : il clive. Mais il a une qualité fondamentale, il incarne encore assez bien les valeurs d'énergie et de volonté qui caractérisent l'héritage bonapartiste dont les Français ont tant besoin aujourd'hui, qu'ils en soient conscients ou non. Mais, parce qu'il est clivant, Sarkozy constitue pour Hollande un adversaire qu'il pense à sa portée. Là où Sarkozy divise, Hollande espère rassembler. Là où Sarkozy cherche à chasser sur les terres du Front national, Hollande se dit qu'il pourra récupérer l'électorat du Modem. Cette option n'est pas dénuée de fondement. Alors qu'un Alain Juppé candidat de droite récupèrerait naturellement les voix des amis de François Bayrou, on peut penser que Sarkozy n'y parviendra pas. Assez naturellement, Hollande peut donc espérer gagner par une droitisation des Républicains sous l'égide de Sarkozy, pendant que le centre de Bayrou chercherait une expression politique conforme à ses positions plus modérées.

Conversations privées avec le président est l'occasion pour ce dernier de revenir sur plusieurs épisodes de sa vie privée, dont sa séparation avec Valérie Trierweiler. Quels sont les ressorts de cette volonté d'incorporer dans le débat ces éléments relevant de l'intime ? N'y-a-t-il pas là la volonté d'éviter l'erreur commise par Nicolas Sarkozy lors de la campagne 2011-2012, à savoir d'évoquer ce type de sujet trop tardivement ?

Bruno CautrèsCompte-tenu de l’ampleur et de l’impact dans l’opinion de cet épisode de la vie personnelle du Président, il lui était difficile de totalement l’éviter. Il y a, de toute façon, une tendance assez nette en France à ce que les hommes politiques laissent passer des éléments de leur vie privée comme s’il s’agissait de montrer aux Français qu’ils sont des hommes et des femmes comme les autres. Le sujet est fortement risqué pour François Hollande car toute évocation de sa vie privée ramène également vers l’épisode du scooter, du casque et des visites nocturnes privées chez Julie Gayet.  Je pense qu’en l’occurrence François Hollande commet une erreur de communication qui souligne une fois de plus le décalage entre les promesses de départ (ne pas exposer sa vie personnelle au grand jour) et la réalité d’aujourd'hui.

Eric Verhaeghe : Incontestablement, l'ouvrage qui sort répond à un calendrier politique extrêmement ficelé. Ce n'est pas tous les ans qu'un ouvrage de cette notoriété sort en plein milieu du mois d'août. La date a été choisie pour que la parution ne soit polluée par aucun autre événement politique. Le calendrier est subtil, même s'il surprend. Il traduit une stratégie politique de reconquête dont il n'est pas exclu qu'elle fonctionne. En attendant, certains sujets privés risquent de peser lourd dans la campagne, comme cette relation intime avec une actrice qui ne manquera pas, tôt ou tard, de soulever des questions de conflit d'intérêt, notamment dans le domaine de la culture.

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