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Marcus Goldman : "Je suis convaincu que Goldman Sachs travaille pour le bien commun"
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Série : les grandes interviews de l'été

Interviews virtuelles mais exclusives accordées par les personnalités ayant le plus influencé le cours de l’histoire de la France et des Français. Nous les avons retrouvées et rencontrées afin de leur demander quel jugement elles portaient sur la situation politique et économique actuelle. Quatorzième interview de cette série de l'été avec Marcus Goldman.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Goldman Sachs est considérée aujourd’hui comme la banque la plus puissante du monde. Elle est présente dans tous les secteurs de la vie économique de la planète. A partir de son siège social, au 200 West Street, dans le District de la finance à Manhattan, Goldman Sachs est incontournable. Dès que deux multinationales travaillent ensemble, Goldman est partie prenante, ou dès qu’un Etat doit négocier sa dette publique ou trouver des financements pour couvrir ses déficits ou ses besoins d’équipement. Une voie de chemin de fer, un aéroport, un trou sur le régime de la sécurité sociale, une dette d’Etat, une entreprise à vendre, une autre à acheter et Goldman Sachs est dans l’affaire.

La crise des subprimes l’a épargnée mais a éliminé la concurrence de Lehman Brothers. La crise lui a permis de toucher des aides publiques tout en réclamant de nouvelles dérégulations qui lui ont décuplé son activité. 

Jean-Marc Sylvestre : Marcus Goldman, vous êtes le fondateur de cette banque qui est devenue un empire mondial. Cette évolution, que beaucoup considèrent comme impérialiste, vous a complètement échappé ou alors vous l’estimez comme normale ?

Marcus Goldman : Tout ce qu‘il y a de plus normal, logique, classique. L’inverse m’aurait gêné et blessé. Goldman Sachs est aujourd’hui la première banque mondiale spécialisée dans les fusions-acquisitions, dans les investissements de capitaux, dans les placements d’épargne et les produits dérivés.Ce qui me pose souci, ce sont les critiques qui s’abattent sur la banque et les procès qui lui sont faits pour excès de pouvoir. Ou pour arrogance.

Excès de pouvoir, mais de quoi parle-t-on ? Sur les subprimes et comble du comble sur la dette grecque. On a été accusé par la presse de gauche d’avoir endetté la Grèce exprès pour en tirer des revenus et la mettre à genoux. Mais on rêve !

Le pouvoir d’une banque se mesure à la somme des garanties qu’elle apporte. Donc ce qu’on reproche à Goldman, en fait, c’est un excès de garanties et de compétences dans le choix de ses investissements. C’est stupide. Savez-vous que le premier actionnaire de Goldman aujourd’hui, c’est Monsieur Warren Buffet par le biais de ses fonds. Croyez-vous qu’un homme comme Warren Buffet, qui est un modèle de prudence, viendrait investir son argent et celui de ses clients dans une banque foireuse ? Ce serait mal le connaître, ce vieil oiseau des marchés. Il n'investit que dans des valeurs qui représentent des activités qu’il connaît très bien et dans lesquelles il a confiance.

J'ai créé la banque en 1869 à New York, au cœur de la révolution industrielle. Je suis né en Allemagne, en 1904, dans une famille de Juifs très ashkénazes. J’ai commencé à faire des affaires avec ma famille puis en 1848, après la révolution de mars en Allemagne qui avait des relents très antisémites, nous avons pris la première vague d’émigration massive aux Etats-Unis.

Entre 1848, l’année où on est arrivé à New York, et 1869, date à laquelle j’ai ouvert la banque, la vie n’a pas été très facile. J’ai travaillé comme marchand ambulant, puis j’ai ouvert une boutique à Philadelphie où on vendait tout et n’importe quoi. Puis j’ai rencontré ma femme. Elle était allemande, elle avait émigré aux US, la même année que nous. Elle s’appelait Bertha. C’est vrai, elle n’aimait pas trop son prénom.

En 1869, nous avions déjà 5 enfants, on est revenu à New York et c’est là en 1869 que j’ai fondé Marcus Goldman & Co., spécialisé dans la gestion d’effets de commerce. C’est une forme de crédit commercial qui permet aux entreprises de faire de la trésorerie. Les besoins étaient énormes. A l'époque, on me reprochait déjà d’avoir promu cet outil de financement aux entreprises. Je gérais jusqu'à 5 millions de dollars par an.

Mais quand est-ce que vous êtes devenu Goldman Sachs ?

Quand ma plus jeune fille Louisa a épousé un jeune homme qui s’appelait Samuel Sachs. Au bout de quelques années, j’ai proposé à mon gendre de venir dans l’entreprise qui est devenue Goldman Sachs.

Dans les années 1880 je crois, mon fils Henry nous a rejoint, puisqu’un autre gendre qui s’appelait Ludwig Dreyfus est venu dans l’affaire.

En 1894, Goldman Sachs and co est entré à la bourse de New York.

Donc vous avez abordé le XXème siècle en pleine croissance ?

Absolument, l’activité était frénétique, mais on n’était pas les seuls. C’est l’époque où il existait à New York une guerre assez violente entre les banques juives et les banques protestantes, qui étaient plus chics.

A nos côtés, il y avait la banque Lehman, fondée en 1844 par un émigré allemand à Montgomery (Alabama). Henry Lehman, rejoint par ses deux frères, Emmanuel et Meyer. Lehman Brothers s’était aussi spécialisée dans l'escompte des billets à ordre.

Salomon Brosi (en 1910) et Kuhn Loeb (en 1867) complétaient le réseau des banques juives.

Sauf qu’en face, on était victime d’une véritable ségrégation de la part des grandes banques de l'establishment protestant - en particulier JP Morgan - qui affichaient un antisémitisme déclaré. Ils étaient chez eux et nous étions des envahisseurs.


Mais ça se traduisait comment dans la vie quotidienne ?

Les établissements juifs étaient exclus des grands financements industriels : l'automobile, l'acier, le rail, le pétrole, l’électricité.

"Laissons le petit négoce de la finance aux Juifs", déclare John Pier-Pont Morgan, le fondateur de JP Morgan. Et le petit négoce, c’était les effets de commerce ou nous sommes devenus les champions, ce qui nous a valu déjà des procès en excès de pouvoir.

Jusqu'au début des années 1960, nous, les Lehman, Goldman, Salomon et consorts, on a dû se contenter du commerce et de la distribution, du textile et de l'agroalimentaire.

Les milieux d'affaires catholiques étaient assez mal lotis également. Merrill Lynch, fondé par un Irlandais catholique, sera la seule exception. Il réussira à s’introduire dans le club des maisons WASP (White Anglo-Saxon Protestant, c'est-à-dire blancs, anglo-saxons et protestants).

Les positions se sont beaucoup rééquilibrées par la suite, parce que nous sommes rentrés dans des activités nouvelles du service et du digital avec des montages financiers très sophistiqués, à l'exemple du négoce des obligations, des matières premières, des dettes et des produits dérivés.

Aujourd’hui, il n’y a plus de connotation religieuse dans le système bancaire, sauf que les personnels ne se mélangent pas trop. Que ce soit à Manhattan ou dans les Hamptons, y compris sur les terrains de golf. Allez-y, vous verrez des golfs fréquentés par les membres de la Wasp et les autres.

Vos montages étaient tellement sophistiqués que Goldman Sachs a frôlé la catastrophe plusieurs fois...

Comment cela, de quelle catastrophe parlez-vous ? Nous avons été chahutés plusieurs fois mais on est resté debout. Toutes les banques ne peuvent pas en dire autant !

Mais à quel prix ? En 1929, lors de la crise, vous avez été pris en plein flagrant délit de spéculation. Vous êtes d’accord, c’est votre gendre qui dirigeait la banque, il était moins prudent que vous ?

C’était un peu osé, j'en conviens. En 1928, mon gendre crée une société d’investissement à capital fixe avec un rendement supérieur aux rendements habituels parce qu’avec le volume d’affaires qu’il avait, il pouvait utiliser l‘argent des nouveaux souscripteurs pour payer les revenus des anciens. Le cours de bourse de la société a explosé, puis il s’est effondré au moment du krach de 1929. Alors il y a eu une commission d’enquête du Sénat et le résultat n’a jamais été clairement établi.

Vous aviez inventé une pyramide de Ponzi, ce qu’a fait Madoff. Votre chance si j’ose dire, c’est que la crise de 1929 est venue nettoyer tout cela, vrai ou faux ?

Il y a un peu de vrai... Mais nous comparer à Madoff, c’est inacceptable. Non, vous ne pouvez pas.

Vous avez traversé une autre crise de justesse, en 1970 avec la faillite de la Penn Central Transportation qui a étouffé une perte en capital de plus de 80 millions de dollars en actions. Des actions que vous aviez placées sur le marché sans discernement. Vous vous êtes enrichis mais les épargnants souscripteurs se sont ruinés.

Là encore, vous exagérez. A la suite de l’enquête nous avons modifié notre organisation, et surtout nous avons obtenu que les émetteurs d’actions soient notés. Par des agences indépendantes. Alors je sais qu‘elles sont à leur tour assez critiquées. Il n’empêche qu’elles sont un élément important du système de contrôle.

Vous voulez dire, M. Goldman, qu’à chaque crise que vous avez contribué à provoquer, vous obtenez un mécanisme pour réassurer vos clients ?

Je ne dis pas qu’on provoque les crises, je dis que nous tirons les leçons de chaque crise pour que ça ne se reproduise pas.

La crise des subprimes en 2007, vous aviez un alibi ? 

La crise des subprimes ne nous a pas trop touché. On trouvait que le subprime, qui a été lancé par Bill Clinton pour permettre à la classe moyenne américaine de se loger, était un formidable produit très astucieux. Il aurait fallu en contrôler le refinancement, la titrisation.

Mais n’est-ce pas un dénommé Robert Rubin, le Secrétaire d’Etat au Trésor de Clinton, qui a proposé ces subprimes ? Or, ce Robert Rubin a été président de Goldman. Vous ne trouvez pas tout cela gênant ?

Absolument pas, Goldman fabrique beaucoup de compétences, d’expertise, et en utilise aussi. Quand la crise des subprimes a éclaté, Goldman a tenu en équilibre, parce que Goldman avait mieux géré ses risques alors que Lehman Brothers a basculé.

Mais justement, la Maison Blanche a prononcé la mort de Lehman Brothers alors que tout le monde imaginait qu’elle pouvait être sauvée. Or, une fois de plus, le Secrétaire d’Etat au Trésor de George Bush est un ancien de Goldman Sachs. On peut penser qu’il a été plutôt bienveillant avec vous.

Aucune enquête n’a accrédité la thèse d’une éventuelle collusion entre l’administration et Goldman. Que Paulson ait été un ancien de Goldman ou pas n’a aucune importance hormis son expertise qui était au service de tout le monde. En revanche, je note qu’à chaque fois mes successeurs sont les premiers à demander un renforcement des contrôles et des garanties pour sécuriser le système.

Et la crise grecque ?

On a dit n’importe quoi ! C’est vrai que Goldman a conseillé le gouvernement d’Athènes dans la restructuration de sa dette mais nous étions sous mandat du FMI et de Monsieur Dominique Strauss-Khan,que vous connaissez bien je crois. Goldman était aussi sous le contrôle de la Commission européenne et de la BCE.

La commission était présidée par M. Barroso, que la banque vient de recruter, et la BCE est toujours dirigée par M. Mario Draghi, lequel appartenait à Goldman Sachs... Reconnaissez qu’il y a des coïncidences fâcheuses. Personne ne remet en cause l’éthique ou la compétence de ces grands personnages, mais l’opinion publique a parfois l’impression que vous avez tissé une toile partout dans le monde où vous pouvez intervenir...

Vous devriez faire un film, jeune homme, vous auriez du succès. Vous avez de l'imagination. Il y a deux choses que vous faites semblant de ne pas comprendre.

La première est que le monde est désormais globalisé. Goldman est une banque globale mais la régulation et le contrôle des activités bancaires sont restés sous la responsabilité des Etats. Ça rend les choses très compliquées. Et personne ne pourra nous reprocher d’étudier avec précision ces réglementations au bénéfice de nos clients. La deuxième chose, c’est que Goldman n’appartient plus à une famille ou à un groupe de gens bien identifiés, mais au public des épargnants actionnaires. L’un d’eux est important, c’est Warren Buffet, mais il doit rendre des comptes en permanence à ses adhérents. Au total, je suis convaincu que Goldman travaille pour le bien commun.

Savez-vous que lorsque vous dites cela, personne ou presque ne vous croit ?

Dans le système moderne, la multiplication des contre-pouvoirs fait qu’il n’y a pas de risque de complot. C’est du roman. Croyez-le ou pas ! La théorie du complot appliquée au monde de la finance ne fonctionne pas mieux que quand on l’applique pour nier le terrorisme international.

Interview imaginaire, recueillie, reconstituée ou imaginée par JMS, juillet 2016)

Les livres à lire pour aller plus loin...

La Banque : Comment Goldman Sachs dirige le monde de Marc Roche, éditions Albin Michel

Le culte du secret : voilà ce qui fait la force de Goldman Sachs, la Banque d’affaires la plus puissante du monde. Journaliste à Londres, l’auteur met au grand jour les rouages sulfureux de cet empire financier qui peut faire basculer les gouvernements. OPA brutales, spéculation à outrance, relations secrètes avec de grandes multinationales : une enquête très documentée avec beaucoup d’anecdotes sur de redoutables pratiques.

Pourquoi j'ai quitté Goldman Sachs de Greg Smith (éditions JC Lattès).

Le 14 mars 2012, plus de trois millions de personnes lisent "Pourquoi je quitte Goldman Sachs", l’éditorial de Greg Smith paru dans le New York Times. L’article se propage, devient un sujet récurrent sur Twitter, et suscite des réponses enflammées de la part de Paul Volcker, ancien président de la Réserve Fédérale, de Jack Welch, mythique P-DG de General Electric, et de Mike Bloomberg, maire de New York. Mais surtout, il touche un point sensible de l’opinion publique qui s’interrogeait déjà sur le rôle de Wall Street au sein de la société et sur l’impitoyable mentalité du "Prends l’argent et tire-toi" qui a ébranlé l’économie mondiale ces dernières années. Dans ce livre,Greg Smith reprend là où il en était resté dans son éditorial. Depuis les combines de son stage d’été pendant la bulle Internet jusqu’au drame du 11 septembre, depuis les abîmes du marché baissier jusqu’aux jacuzzis de Las Vegas, les excès du boom immobilier, et le jour où Warren Buffet sauve Goldman Sachs de la faillite, Greg Smith retrace son parcours et nous emmène pour la première fois au cœur de la banque la plus puissante et secrète au monde. À travers des détails passionnants, Greg Smith décrit comment la banque qui réalisa l’introduction en bourse d‘entreprises comme Ford, Sears et Microsoft, est devenue la "grande pieuvre vampire enserrant le visage de l’humanité" qui traite ses clients de "muppets" et a dû verser un demi-milliard de dollars au gouvernement pour mettre fin aux poursuites pour le plus grand délit d’initiés de tous les temps. Après de nombreux entretiens au cours de douze mois avec neuf associés qui s’avérèrent insatisfaisants, Greg Smith a fini par estimer que le seul moyen pour tenter de sauver le système est que quelqu’un de l’intérieur révèle au grand jour l’évolution très périlleuse et égoïste des mentalités et des comportements de nos financiers. Il abandonne sa carrière et décide de prendre les choses en mains.

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