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Pourquoi les attentats terroristes sont-ils des événements particulièrement difficiles à accepter pour les victimes ?
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Phases

Attentat du 14 à Nice, un prêtre égorgé après une prise d’otages mardi 26 dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray, assassinat de neuf personnes à Munich vendredi 22... Suite aux multiples attentats terroristes de ce mois de juillet 2016, retour sur les mécanismes de l'acceptation de l'horreur.

Jacques Dayan

Jacques Dayan

psychologue, psychiatre, spécialiste des stress post- traumatiques, auteur de l’étude : La mémoire dans l’Etat de Stress Post-Traumatique : Stress et Mémoire Emotionnelle (SEME)

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Atlantico : Suite aux multiples attentats terroristes de ce mois de juillet 2016 (attentat du 14 juillet à Nice ; un prêtre égorgé après une prise d’otages mardi 26 juillet dans l’église de Saint-Étienne-du-Rouvray ; assassinat de neuf personnes à Munich vendredi 22 juillet), pouvez-vous décrire les différentes phases du "schéma classique" de l'acceptation de l'horreur ?

Jacques Dayan : Tout d’abord, il n’y a généralement pas d’acceptation de l’horreur (sauf pour celui qui y prend satisfaction, évidemment). Ce qui y ressemble le plus est la résignation ou l’habituation. Dans la résignation, la personne progressivement se dégage de toute responsabilité et se déclare impuissante de tout ce qu’il advient. Elle décide d’attribuer ces évènements à une force extérieure invincible ou inexorable. De ce fait elle n’en ressent aucune culpabilité et amoindrit parfois jusqu’à l’extinction toutes les émotions pénibles associées. L’habituation amortit aussi le stress lié à chaque nouvel événement, assimilé à une forme de continuation ou d’écho du premier. Sans l’accepter au niveau individuel tenir face à l’horreur consiste à rester vivant et désirant en conservant, renforçant ou créant les liens avec autrui et les valeurs de vie et de générosité, l’activité créatrice, l’action et la réflexion. La colère, plus que la haine, n’est pas incompatible avec cette dimension. En quelque sorte c’est être capable de s’opposer aux forces « clivantes » non seulement socialement mais à l’échelle de l’individu lui-même.

Bien entendu, la position de chaque personne vis-à-vis de l’horreur n’est pas la même : il est bien plus facile de se résigner ou de s’habituer si vous n’êtes que peu concerné. Ce qui a été décrit du cycle déni-colère-dépression/deuil-acceptation survient surtout pour les évènements dont l’origine n’est pas située dans la volonté humaine de détruire ou dans l’indifférence de détruire : par exemple si un enfant meurt d’une maladie ce cycle peut survenir, jamais parfaitement, mais dans ces grandes lignes. Il permet au parent de retrouver de la joie et du plaisir par exemple à travers ses autres enfants. Quand l’enfant est tué volontairement, le parent passe par d’autres registres dont la haine ou la culpabilité avant éventuellement et inconstamment de retrouver le cycle évolutif dont nous avons parlé.

Le but de l’horreur volontaire et répétée est de déclencher la crainte et la soumission pour aboutir à la résignation qui n’est pas habituation. Le but ultime de celui qui manie la terreur est de susciter l’identification à l’agresseur, c’est à dire de prendre le parti de l’agresseur : ce mécanisme souvent incompris explique pourquoi l’horreur suscite chez certains, aujourd’hui extrêmement minoritaires, non l’horreur mais au contraire le désir d’infliger ou d’applaudir à l’horreur.

Les attentats terroristes sont-ils des événements particulièrement difficiles à accepter pour les victimes ? Si oui, pourquoi ?

L’être humain peut se résigner à une catastrophe s’il la juge indépendante de la volonté humaine. Un exemple classique en est la destruction du lieu d’habitation : si elle est le fait d’une catastrophe imprévisible (incendie, tremblement de terre ou inondation) sans qu’aucune responsabilité humaine n’y semble impliquée, le choc sera dur, parfois très dur, mais souvent surmontable. Si cette destruction est le fait de vandales, d’un chantage ou d’une quelconque action dirigée contre vous, si la volonté de nuire est manifeste, le choc sera beaucoup plus puissant.Ce raisonnement est encore plus exact devant la mort, le viol ou d’autres atteintes directes à la personne auxquelles on assiste en train de se faire, si l’on se sent directement menacé ou qu’un proche est menacé ou effectivement atteint.

Ces dernières actions sèment la terreur ou la sidération. L’être humain est rendu vulnérable par l’attaque d’autres êtres humains car elle tend à lui fait perdre la confiance spontanée nécessaire à toute vie sociale harmonieuse, confiance en ses capacités à résister et confiance dans l’intention d’autrui. L’attaque terroriste peut remettre en cause toutes les croyances de la personne comme celle que l’on vit en sécurité (relative), que les gens n’ont pas l’idée de vous faire exploser, que vous allez vivre un certain temps heureux, que le monde est banal. Elle attaque la confiance en soi-même et en autrui. La solidarité semble un grand frein à la survenue de dommages trop considérables comme l’ont montré l’étude des catastrophes aux USA. Cela est probablement exact aussi pour les autres formes d’agression et de dommages intenses.

Le schéma classique de l'acceptation de l'horreur est-il valable pour tous ? Sinon, quels autres types de réaction peut-on avoir lorsque l'on est confronté à l'horreur ?

Si l’on considère les personnes étroitement concernées, les victimes, leurs proches et d’autres très impliquées, l’éventail des réactions est assez considérable. L’essentiel est peut-être de pouvoir retrouver une confiance en soi et dans le monde suffisante. Un des points est de retrouver une forme de contrôle sur sa vie, contrôle qui a été perdu totalement ne fut ce qu’un instant mais un instant souvent inoubliable. L’action réparatrice prend deux grandes directions, soit plutôt agressive, soit plutôt solidaire, tendances parfois liées, parfois intermittentes. Agressive elle consiste par exemple à faire payer cher les blessures subies, punir les carences, souligner les manques, dénoncer les insuffisances, poursuivre les auteurs… Solidaire elle consiste à en une autre forme d’engagement « généreux » individuel ou non : aider les victimes, propager des valeurs positives. D’autres encore cherchent à comprendre les auteurs et leurs motivations. Ces actions ne décrivent pas très correctement les parcours individuels, changeants, douloureux, émaillés aussi de solidarité et d’amour, rencontrant aussi l’indifférence et l’incompréhension. Ils répondent à des processus mnésiques en partie volontaires et conscients mais surtout inconscients et involontaires. Mémoire, émotion et action sont étroitement liés. La colère ou la haine est un élément important des ressentis qui, aussi compréhensibles soient-ils, peuvent gêner l’évolution. D’autres paraissent moins compréhensibles comme la honte qui assaille certaines victimes au lieu que ce soit le sentiment des agresseurs. Certains s’isolent pour se retrouver, d’autres s’enfoncent un temps dans la dépression, d’autres de suite se rétablissent en s’engageant dans l’action, la création, les associations, le travail pour rester vivants, avec plus ou moins de succès, parfois beaucoup. Une évolution immédiatement favorable ne dit rien des rechutes possibles et à l’inverse un état de stress traumatique peut guérir.

Dans la population générale, l’oubli est assez rapide surtout lorsqu’on ne sent pas concerné et lorsque les événements ne sont pas trop rapprochés : beaucoup du public élargi, même un ministre semble-t-il, ont oublié les enfants juifs tués par Merah ou la policière tuée par Coulibaly. Certains sont terriblement émus par l’attentat de Charlie Hebdo, d’autres surtout par celui de Nice, certains confondent les uns et les autres. Mais toutes ces émotions et représentations restent « récupérables », surtout devant un nouvel événement, même si elles sont temporairement « oubliées ».

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