Enlèvements, fosses clandestines et charniers… Pourquoi les narcos mexicains survivront au terrorisme islamiste<!-- --> | Atlantico.fr
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Pour résumer le problème du Mexique : les cartels sont plus riches et mieux armés que les forces de sécurité. Le seul problème qui les ronge de l’intérieur, c’est qu’ils se battent entre eux pour conquérir ou conserver des territoires.
Pour résumer le problème du Mexique : les cartels sont plus riches et mieux armés que les forces de sécurité. Le seul problème qui les ronge de l’intérieur, c’est qu’ils se battent entre eux pour conquérir ou conserver des territoires.
©Reuters

Nerf de la guerre

Alors qu'une douzaine d'individus ont été pris en otage au Mexique en début de semaine, les activités criminelles des cartels mexicains sont loin d'avoir disparu, même si l'attention internationale est aujourd'hui davantage portée sur le terrorisme islamiste.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Atlantico : Ce lundi 15 août au soir, 10 à 12 personnes ont été enlevées au Mexique. Un peu plus tôt dans le mois, près de 30 fosses clandestines étaient découvertes. Or, le gouvernement mexicain a déclaré la guerre aux cartels et aux narcotrafics il y a maintenant dix ans. Où en est-on ? Quel bilan peut-on dresser du crime organisé au Mexique ?

Alain Rodier : Les enlèvements sont une chose courante au Mexique. Soit il s’agit d’enlèvements contre rançons - mais cela reste globalement "local" -, soit il s’agit de la "guerre des gangs", qui est une chose habituelle dans ce pays.

Il est parfaitement exact qu’une guerre au crime organisé a été déclenchée il y a dix ans maintenant. Les partis politiques se sont succédés au pouvoir sans remporter de succès significatifs, excepté l’arrestation de chefs de cartels aussitôt remplacés. Brosser une carte des cartels actifs est toujours une chose difficile car ils se font la guerre régulièrement et leur influence varie avec le temps. A l’heure actuelle, le cartel de Sinaloa dirigé par Ismael "El Mayo" Zambada Garcia est toujours très présent du côté de la côte Pacifique mexicaine et le long de la frontière américaine. Il y est concurrencé par le cartel Arellano Felix qui présente la particularité d’avoir comme chef une femme, Enedina Arellano Felix, tous les hommes étant soit en prison soit neutralisés. Il y a aussi le cartel des frères Beltran Leyva qui a comme boss Fausto Isidron Meza "El Chapo Isidro", les "Zetas" dont la direction est partagée entre Maxiley Barahona Nadales "El Contador" et Roman Ricardo Palomo Rincones "El Coyote", et enfin le cartel du Golfe qui, prudence oblige, n’a plus de leader officiellement reconnu (ce serait Homero Cardenas Guillen). Le nombre des victimes dues au crime organisé depuis 2006 est de 166 000 tués et 27 000 disparus.

Pour résumer le problème du Mexique : les cartels sont plus riches et mieux armés que les forces de sécurité. Le seul problème qui les ronge de l’intérieur, c’est qu’ils se battent entre eux pour conquérir ou conserver des territoires. C’est une constante au sein du crime organisé.

S’agit-il d’un fléau qui ronge le Mexique seul ? Quelles sont les autres nations touchées par le crime organisé aujourd’hui ?

Bien évidement, ce fléau ne frappe pas que le Mexique. Les Organisations Criminelles Transnationales (OCT) profitent du fait que l’attention est actuellement focalisée sur la menace terroriste islamique radicale pour mener à bien leurs affaires d’autant qu’elles ne manquent pas de clients. A titre d’exemple, selon l’UNODOC, 246 millions de personnes dans le monde (une personne sur vingt âgées entre 15 et 64 ans) ont consommé de la drogue en 2013. 27 millions sont considérées comme des consommateurs réguliers. Si la cocaïne et l’héroïne tiennent toujours le haut du pavé, elles sont concurrencées par les drogues de synthèse. Les pays producteurs sont respectivement l’Amérique Latine, l’Afghanistan et le triangle d’or en Extrême-Orient. Toutefois, on s’aperçoit qu’il y a une diversification de la production avec même le développement de chaînes locales. Par exemple, l’Afrique devient exportatrice de drogues de synthèse vers l’Extrême-Orient. Le Maroc est concurrencé pour le haschich par les pays d’Europe du Nord.

Les OCT sont extrêmement opportunistes et réactives. Tout marché qui peut rapporter gros les intéresse et la liste est longue. Aux trafics classiques d’armes et d’êtres humains qui connaissent une augmentation exponentielle en raison des zones de conflits qui perdurent, viennent s’ajouter ceux de la high tech, des espèces protégées, des matières premières, l’industrie des jeux, de la contrefaçon, etc.

Tous les pays de la planète sont touchés mais avec une petite nouveauté, les OCT traditionnelles telles les mafias italiennes, turques, nord-américaines, asiatiques, nigérianes ou issues des pays de l’Est sont désormais concurrencées par de nouveaux venus sur le marché du crime. Ces bandes sont particulièrement issues du continent africain (qui est devenu un véritable carrefour pour tous les trafics) et le Proche et Moyen-Orient. En effet, le temps où des OCT contrôlaient tout depuis les zones de production jusqu’aux zones de distribution - transit y compris - semble révolu si l’on excepte les mafias asiatiques et chinoises, en particulier les Triades. Il faut dire que ces dernières ont l’intelligence d’utiliser leur communauté expatriée et d’éviter, autant que possible, toute violence vis-à-vis des autochtones. En effet, ces dernières provoquent des réactions des forces de l’ordre préjudiciables aux "affaires".

Du fait du terrorisme, le crime organisé est le plus souvent relégué au second plan aujourd’hui. Pour autant, la menace est-elle moins conséquente ? Quels sont les éventuels liens, par ailleurs, entre le crime organisé et le terrorisme ? Faut-il s'attendre à ce que le premier survive au second ?

Le terrorisme est un moyen de combat. Il ne s’éteindra donc pas même si l’idéologie salafiste-djihadiste qui est derrière aujourd’hui disparaît (j’ai le droit de rêver). D’autres "causes" emploieront cette méthode peu onéreuse et efficace comme l’écologie radicale ou encore les anarchistes qui ne rêvent que d’abattre la société pour reconstruire (quoi, ils ne le savent même pas) sur ses cendres. Il ne faut pas se faire d’illusions, le terrorisme a actuellement mauvaise presse et c’est pour cette simple raison qu’il n’est pas employé par d’autres mouvements que les salafistes-djihadistes.

Si nous regardons les choses en face, le crime organisé présente un risque de déstabilisation étatique bien supérieur aux mouvements utilisant le terrorisme. La raison en est simple : l’argent. Les OCT sont fortunées et donc capables de corrompre nombre de fonctionnaires et d’hommes politiques. Leur objectif n’est certes pas d’apparaître sur le devant de la scène mais, bien au contraire, de mettre en avant des hommes de paille ou assez faibles pour pouvoir les contrôler et continuer à se livrer à de juteuses activités qui les rendront encore plus riches. Une de leurs méthodes préférées est la pénétration de l’économie légale, tout boss ne rêvant que d’une chose, atteindre la "respectabilité".

Si personne n’est dupe en ce qui concerne l’Afghanistan, où les talibans et les gouvernements en place sont derrière le trafic d’opium - sans parler de ce qui reste des mouvements communistes en Amérique latine qui sont devenus des narco-terroristes -, des interrogations sont soulevées par les nouvelles organisations qui sont devenues des profiteurs de guerres en Syrie et en Irak (en liaison avec les maffyas turco-kurdes(1)), en Libye, au Maghreb et en Egypte. Il y a là une émergence d’une nouvelle criminalité qui est en train de prendre ses marques en liaison avec les OCT traditionnelles.

De tout cela, il faut retenir que lutter contre le crime organisé permet de combattre les mouvements utilisant le terrorisme. En effet, cela doit permettre de les couper du nerf de la guerre qui leur est vital : l’argent.

(1) Il sera intéressant de suivre dans l’avenir le parcours de Sedat Peker, un des plus célèbres "hommes d’affaires" turc dit "proche" du pouvoir en place à Ankara.

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