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En Ukraine et en Russie, une révolution contre les violeurs a commencé grâce à Facebook
©Reuters

THE DAILY BEAST

Une femme a osé témoigner sur Facebook des violences sexuelles dont elle a été victime. Près de 200 000 femmes et hommes sont venus lui exprimer leur soutien et raconter leur propre histoire.

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova

Anna Nemtsova est reporter pour The Daily Beast. Elle est basée à Moscou.

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 ANNA NEMTSOVA Copyright The Daily Beast (traduction Sarah Labetoulle)

KIEV — Tout a commencé avec une histoire personnelle de harcèlement sexuel racontée par une Ukrainienne dont la beauté a sans doute joué un rôle. Les yeux en amande de Nastya Melnychenko donnent l'impression de juger et de défier les lecteurs sur sa page Facebook. C'est là que, plus tôt cette année, Nastya Melnychenko a été la première femme à rendre publique en Ukraine une histoire dont les grandes lignes sont, en fait, bien trop fréquentes.

À 6 ans, elle a été sexuellement agressée par un proche ; à 12 ans un passant l'a touchée entre les jambes en plein sur l'avenue principale de Kiev. À 21 ans, son ex-petit ami l'a violemment jetée sur le lit puis déshabillée et a pris des photos, la menaçant de les publier sur Internet si elle le quittait. Jusqu'à présent, Nastya n'avait pas osé admettre qu'elle avait été victime de ces violences sexuelles ; elle avait trop peur que les images pornographiques amateur apparaissent sur Internet. "Mais j'ai su dépasser cette angoisse", a-t-elle écrit lorsqu'elle a lancé le hashtag en plein essor #Jenaipaspeurdeledire en Ukrainien (#Iamnotafraidtosayit en version anglaise). Elle a arrêté de se soucier de ce chantage.

Comme elle l'écrit, "je n'ai pas peur de parler, je ne me sens pas coupable". Nastya a confié au Daily Beast qu'elle "n'[imaginait] pas le moins du monde" que le mouvement qu'elle a inspiré attirerait en quelques semaines 93 666 utilisateurs ukrainiens et 96 868 utilisateurs russes sur Facebook. Et, encore plus choquant, près d'un tiers des "confessions" recueillies sont celles de personnes qui affirment avoir été victimes de viol. Même les experts des questions de violence sexuelle dans les pays post-soviétiques, où l'on sait que le problème atteint des proportions gigantesques, ont été stupéfaits par l'ampleur du mouvement.

"Je savais que dans certaines régions, près d'une femme sur trois a été victime d'un viol, mais quand j'ai vu que tout un chacun a, dans son cercle d'amis, des victimes d'inceste, de violence sexuelle, de viol, comme si c'était quelque chose de normal, j'ai été choquée" a déclaré au Daily Beast Irina Kosterina, une sociologue qui étudie les problématiques liées au genre en Russie. Et désormais, des hommes victimes de viol osent aussi s'exprimer.

Zoryan Kis avait 17 ans lorsqu'un groupe d'hommes, qu'il croyait être ses amis, l'a violé lors d'une fête dans un appartement, l'humiliant alors qu'il était ivre et sans défense. Zoryan a essayé de panser seul ses blessures et n'avait jamais raconté son viol à quiconque. "J'ai enfoui la douleur au plus profond de mon être pendant seize ans, raconte Zoryan, qui est à présent défenseur des droits humains et militant LGBT à Kiev. Jusqu'à ce mois-ci, lorsque j'ai découvert les confessions courageuses de milliers de femmes qui ont raconté sur Internet leurs histoires de viol dans le mouvement appelé #Jenaipaspeurdeledire." Il a vu que les auteurs de certaines réponses aux publications sur Facebook semblaient intimidés par leur ardeur féministe et suggéraient aux hommes de parler de leurs expériences de rejet par les femmes. Cette idée a mis Zoryan en colère : "Je me suis dit que les hommes devaient entendre le témoignage d'un homme, ce que c'est que de se faire violer".

En repensant à sa propre vie, Zoryan s'est rendu compte que la violence l'a entouré dès son plus jeune âge. "Mon père, un philosophe d'une vive intelligence, attrapait ma mère lorsqu'ils se disputaient et la jetait contre le mur, se rappelle-t-il. Elle tombait au sol mais il l'attrapait à nouveau et il la projetait une nouvelle fois contre le mur. Cette scène s'est souvent reproduite, jusqu'à ce qu'elle demande le divorce."

Cette mobilisation est devenue un véritable indicateur de la tolérance dans les sociétés ukrainiennes et russes. Comment expliquer que ces immenses pays soient remplis de violeurs et d'hommes violents ? "En Ukraine comme en Russie, les différentes générations ont souffert de régimes militaristes, de guerres perpétuelles, de répression politique et de violence domestique, tous ces facteurs ayant conduit à une telle proportion de viols", explique Irina Kosterina.

Si en Occident, un violeur potentiel peut être arrêté par un "bouton d'alerte au viol" et des procédures judiciaires qui, en apparence au moins, encouragent la victime à raconter la vérité, "en Russie, les femmes victimes de viol doivent réunir elles-mêmes les preuves, et la police se moque d'elle et les humilie". Enfants, adolescents, jeunes femmes et hommes gardent le silence. Il y a deux ans, lors des manifestations pro-européennes à Kiev, les manifestants de la révolution de Maïdan brandissaient des pancartes "Je n'ai pas peur" sur la place centrale de la capitale ukrainienne. L'an dernier, le centre contre le Sida de la région de Moscou a lancé la campagne #nayezpaspeuronestavecvous à l'occasion de laquelle des personnalités et des inconnus séronégatifs ont publié leur photo en soutien aux personnes séropositives. Mais se débarrasser de la peur est une attitude qui s'est développée sur tous les fronts.

Ces derniers mois, les femmes ont parlé de leurs complexes, de l'impression que leur corps ne leur appartient plus, et beaucoup ont raconté leur histoire sur les réseaux sociaux mais aussi sur la chaîne de télévision ukrainienne Hramadske. L'une des journalistes vedettes de Hramadske, Ekaterina Sergatskova, a également raconté sur Facebook quelques épisodes de sa vie, mais pas tout : "J'ai moi aussi mon histoire, mais je ne suis pas prête à la partager, car je ne suis pas certaine de n'avoir pas été moi-même la cause de la violence."

Apparemment, pour les Russes et les Ukrainiens, le processus d'apprentissage n'est pas terminé car si les relations humaines sont complexes, la violence ne l'est pas et ils ne doivent pas avoir peur de l'affirmer.

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