Bientôt la rentrée... mais pour quoi faire : 2016-2017 année électorale, année pour rien ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Bientôt la rentrée... mais pour quoi faire : 2016-2017 année électorale, année pour rien ?
©

Le calme avant la tempête

A partir du mois de septembre débutera véritablement le cycle électoral de la présidentielle, à commencer par la primaire à droite. Les échéances électorales de l'année 2016-2017 vont assurément monopoliser toute la classe politique, au détriment de la gestion de grands dossiers comme le terrorisme, l'immigration, la crise économique ou bien encore la réforme de l'UE.

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
Voir la bio »
Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

Voir la bio »

Atlantico : La rentrée approche et avec elle les premières échéances électorales, à commencer par la primaire à droite. D'autres viendront dans les mois à venir, et notamment la présidentielle de 2017. Ces échéances ne risquent-elles pas de faire de l'année 2016-2017 une année pour rien, où tout le monde sera seulement accaparé par ces échéances ? 

Christophe de Voogd : C’est la question institutionnelle du quinquennat et de son rythme rapide qui rend en théorie la dernière année peu productive car captive des échéances. Mais il ne s’agit nullement d’une loi d’airain. Tout dépend d’abord de la conjoncture politique dans cette dernière année : François Hollande est clairement handicapé par l’absence de majorité alors que Nicolas Sarkozy et ses prédécesseurs pouvaient encore "fonctionner" au même stade. La vraie question est celle du bon tempo de l’action gouvernementale pendant 5 ans. Une étude récente de la Fondation pour l’innovation politique (Gouverner pour réformer : éléments de méthode) étudie cette question de très près. Les auteurs, Erwan Le Noan et Mathieu Montjoin, démontrent, aussi bien par la théorie que par les exemples historiques, que des réformes pensées et annoncées AVANT l’élection et mises en œuvre sur tout le mandat avec un temps fort au début, avaient toutes les chances de réussir. Bref, tout le contraire de ce qu’a fait François Hollande, qui a commencé timidement à réformer au bout de deux ans et demi, en détricotant ce qu’il avait fait après son élection : cf. le pacte de responsabilité et le "yoyo" fiscal. En ce sens, c’est tout le quinquennat actuel qu’il faut qualifier (comme le deuxième de Jacques Chirac au demeurant) de "quinquennat pour rien". A ceci près : les Français sont peut­-être vaccinés des archaïsmes qui dominaient jusqu’ici la gauche française.

Vincent Tournier : Une année électorale est rarement une année "blanche". La séquence qui va s’ouvrir à la rentrée sera forcément très importante, peut-être même déterminante pour la suite. Jusqu’à présent, tout a été fait pour ne pas trancher les grands débats qui traversent la France et l’Europe. La crise financière de 2008 a été surmontée, mais les causes qui l’ont provoquée n’ont pas été traitées et une rechute est toujours possible. De même, l’Union européenne est à un tournant après le Brexit et le départ programmé du Royaume-Uni. La machine européenne ne peut plus continuer comme avant, mais personne ne sait ce qu’il faut faire. Il en va de même pour l’immigration et, bien sûr, la question désormais centrale de l’islam. N’oublions pas aussi les enjeux géopolitiques : le retour de la Turquie néo-ottomane va lancer un défi inédit à l’Europe puisque, pour la première fois depuis longtemps, elle risque de se trouver confrontée à une puissance menaçante à ses frontières. Si rien n’arrête Erdogan dans son programme d’islamisation, la Turquie pourra-t- elle rester dans l’OTAN et au Conseil de l’Europe ?

Bien sûr, les élections ne vont pas trancher toutes ces questions. Mais les candidats et les partis vont devoir se positionner et se répondre les uns les autres. On peut penser que les partis de gouvernement vont essayer d’en faire le moins possible pour ne pas prendre de risques. Mais ils vont se trouver bousculés par toute une série de trublions et de contestataires, de gauche comme de droite, militants ou intellectuels, qui vont poser les questions qui fâchent. C’est du moins ce qu’on peut espérer. Car compte-tenu des blocages actuels, il devient vital que les carcans se brisent et qu’on puisse enfin ouvrir les débats. Le pire serait que les audacieux se laissent intimider par la police de la pensée qui régit la vie intellectuelle depuis 30 ans.

Si l'on considère les grands dossiers du moment comme la lutte contre le terrorisme, l'immigration, la crise économique ou bien encore la réforme de l'UE dans le contexte du Brexit, comment vont-ils être intégrés au calendrier électoral français ? 

Vincent Tournier : La France est l’un des rares pays en Europe qui peut prétendre connecter ses débats nationaux avec les grands enjeux européens et internationaux. La France n’est pas n’importe quel pays. Elle est encore une puissance économique et militaire, elle a un siège au Conseil de sécurité, elle est un membre fondateur et influent de l’Union européenne. Or, depuis l’élargissement de 2004, qui a fait passer l’Europe de 15 à 25 membres, l’Europe s’est diluée et engluée. Elle est devenue ingérable et incapable de faire quoi que ce soit. En particulier, elle n’a rien fait pour stabiliser l’Irak après l’intervention de 2003, elle n’a pas pris les mesures pour sortir définitivement de la crise financière de 2008, elle n’a rien fait pour accompagner la démocratisation du monde musulman depuis le Printemps arabe de 2011, elle est incapable de gérer la crise des migrants, sauf en passant un marché de dupe avec la Turquie qui se retourne aujourd’hui contre nous. Cette démission de l’Europe va devenir encore plus problématique avec le nouvel isolationnisme qui s’empare des Etats-Unis. La déclaration de Donald Trump sur le fait que, en cas d’attaque russe sur les pays baltes, l’intervention des Etats-Unis ne serait plus automatique, devrait sérieusement faire réfléchir les autorités européennes.

Sur ce genre de dossier comme sur tant d’autres, si la France ne reprend pas des initiatives fortes, qui le fera ? François Hollande a déjà gâché une chance historique en 2012 : fort de sa nouvelle légitimité électorale, il aurait dû taper du poing sur la table face à l’Allemagne, quitte à provoquer une crise. Bref, des défis considérables sont devant nous, et un silence de la France dans un tel contexte serait catastrophique. Mais cela suppose de prendre les dossiers à bras le corps en clarifiant les enjeux et les options possibles : que fait-on pour la crise des migrants ? De même, pour la crise irako-syrienne, on attend des réponses simples : puisque nous sommes en guerre, qui sont nos ennemis et qui sont nos alliés ? Au-delà, c’est même toute la question d’un nouvel interventionnisme européen en Afrique qui se posera un jour ou l’autre, surtout si l’on veut canaliser le boom démographique qui s’annonce : peut-on laisser l’Afrique s’enfoncer dans une spirale de crises et de guerres ? Doit-on attendre les bras croisés la création d’un nouveau califat ?

Christophe de Voogd : Tout d’abord ces grands "dossiers" comme vous dites, tous redoutables, détruisent le phasage du quinquennat tel que l’avait prévu François Hollande : un temps pour "l’effort" (comprendre l’effort fiscal) et un temps pour la "redistribution". Ce calcul était habile car, de fait, la conjoncture européenne s’est redressée à partir de 2013 et permettait de mettre le président candidat dans la meilleure posture pour se représenter. Mais, d’une part, l’absence de réformes structurelles a empêché notre pays de profiter de la croissance générale et, surtout, malgré tous les cadeaux concédés cette année, ce calcul s’est brisé sur les nouvelles réalités du monde : terrorisme, Brexit, ralentissement de la croissance mondiale. Après tant d’autres, François Hollande aura été victime de lui­-même et de Dame Fortune, comme disait Machiavel.

Ces dossiers et les autres que vous évoquez seront donc tous présents pendant la campagne mais à des degrés divers. Tout laisse malheureusement à penser que le terrorisme sera en tête de l’agenda électoral. En un sens, l’on peut trouver au moins une consolation en songeant que ce sont tous de vrais sujets, alors que l’agenda 2012 s’est polarisé sur le "pour ou contre Sarko".

Tout dépend dès lors du discours des différents candidats sur ces enjeux et de leur capacité à les articuler et à y répondre. A cet égard, il faut bien voir que Marine Le Pen a su formuler une réponse SYNTHETIQUE à l’ensemble de ces questions. Je ne parle pas ici de la pertinence de cette réponse mais de son efficacité rhétorique, donc politique. Reprenons votre liste : lutte contre le terrorisme, immigration, crise économique réforme de l’UE : à tout cela, Marine Le Pen répond par une solution unique : "rétablissons les frontières !". Les candidats de la droite devront trouver et proposer leur propre synthèse : Nicolas Sarkozy avec son approche combinée sécuritaire/identitaire/autoritaire et Bruno Le Maire avec son "combat pour la culture française" me paraissent avoir une longueur d’avance en la matière. Les deux autres candidats majeurs de la droite, malgré de très bonnes propositions sectorielles, sont en retard d’une réponse globale. Je n’aurai pas la cruauté de passer en revue les réponses de la gauche pour la bonne raison que je ne les vois pas (cf. Emmanuel Macron qui ne peut ou n’ose pas formuler de vision d’ensemble). Extrême­-gauche exceptée, mais je doute de sa force de conviction sur l’électorat...

Quelles conséquences l'accaparement que vont susciter les échéances électorales mentionnées plus haut va-t-il avoir sur la gestion de chacun des dossiers mentionnés plus haut  ?

Christophe de Voogd : Malgré toutes ses proclamations, le gouvernement n’est plus en état de réformer sur le plan socio-­économique depuis au moins un an. Voir ce qui reste de la loi Travail. Sur l’enjeu sécuritaire, il semble aussi en panne d’idées, car il est allé au bout des possibilités de la gauche française sur ces questions. On le voit bien avec l’échec de la déchéance de nationalité et surtout depuis la tragédie de Nice, où il navigue à vue entre "garde nationale" et "défense de l’Etat de droit" et entre les positions des uns et des autres sur l’Islam et la laïcité. D’autant que la droite refuse désormais de se taire. Enfin, sur la réforme de l’UE, tout montre que nos partenaires, y compris les Britanniques, attendent le résultat de nos élections et des élections allemandes.

N'y a-t-il pas un risque de voir ces dossiers d'actualité supplanter les autres questions politiques importantes dans cette campagne, telles par exemple les questions de cumul des mandats ou d'introduction d'une part de proportionnelle dans les élections législatives ? Doit-on s'attendre à voir disparaître toute volonté de restructurer notre modèle politique ?

Vincent Tournier : Je pense au contraire que les questions que vous évoquez sont en partie secondaires. Ces sujets ne sont pas sans pertinence, mais très franchement, ce n’est pas la priorité. Ni l’interdiction du cumul des mandats, ni l’introduction d’une dose de proportionnelle ne permettront de résoudre les problèmes liés à la mondialisation ou à l’islam. De plus, il ne faut pas se disperser. Cela fait maintenant trop longtemps que les campagnes électorales sont "polluées" par ces débats périphériques, notamment les questions dites "sociétales" comme la parité, le mariage gay ou le vote des étrangers, qui ne servent qu’à faire diversion pour éviter d’affronter les grands débats tels que la politique économique, le contrôle des frontières ou la cohésion nationale.

Pour diverses raisons, le débat politique a été anesthésié. Quand on voit que l’interdiction du burkini est dénoncée sur les réseaux sociaux comme une mesure fasciste, on mesure que le chemin va être long pour remettre les choses à l’endroit. Car tout de même, comment peut-on soutenir que l’islamisme ne doit pas être confondu avec l’islam si, dans le même temps, on défend les emblèmes vestimentaires qui symbolisent justement l’islamisme le plus radical ? Pourquoi, d’ailleurs, les associations musulmanes ne dénoncent-elles pas une telle pratique, elles qui se disent tellement soucieuses de lutter contre les amalgames ? Le CFCM et la Grande mosquée de Paris sont aux abonnés absents, et les sites musulmans dénoncent une discrimination contre l’islam, ce qui est désastreux car cela revient à brouiller totalement la frontière entre l’islam et l’islamisme.

En fait, cette question du burkini est tout sauf anodine. Elle est révélatrice d’un double problème : d’une part l’offensive islamiste qui s’inscrit dans ce que le journaliste Luc Rosenzweig appelle un "djihad culturel", d’autre part la difficulté que nous éprouvons pour répondre à ces menaces d’un nouveau genre. Comme avec le voile à l’école, la burqa ou les prières de rue, les islamistes tentent d’avancer leurs pions avec la complicité d’une élite aveuglée ou tétanisée, et dans l’indifférence ou la résignation d’une grande partie de la population musulmane. Il a fallu attendre le 15 août pour que Laurence Rossignol, ministre des Droits des femmes, s’exprime sur le sujet et on ne sait toujours pas ce qu’en pense Najat Vallaud-Belkacem, qui a pourtant fait de l’égalité hommes-femmes son cheval de combat lorsqu’elle est arrivée en 2012. On devine que les débats au sein du gouvernement ont été difficiles, ce qui est très inquiétant. Sur ce sujet comme sur bien d’autres, le gouvernement préfère rester en retrait et se réfugier hypocritement derrière la défense de l’Etat de droit. Cette posture attentiste pourra difficilement être tenue pendant la campagne de 2017, sous peine d’accroître des tensions sociales déjà très fortes.

Alors que le président Hollande semble abandonné par sa majorité, comment peut-il espérer achever son quinquennat dans ce contexte électoral particulièrement chargé ? 

Vincent Tournier : Il ne faut pas sous-estimer François Hollande. Il a réussi à l’emporter en 2012. Donc rien ne dit qu’il ne trouvera pas la formule gagnante en 2017, même si cela paraît plus difficile. Il va vraisemblablement attendre que Nicolas Sarkozy s’engage pleinement avant de dévoiler son jeu. Donc, il va très probablement rester silencieux jusqu’à la fin de l’automne en misant sur une droitisation de la droite, ce qui est effectivement assez prévisible. Vu le contexte, la primaire ne va pas se gagner au centre, contrairement à ce que pense Alain Juppé dont on voit bien d’ailleurs qu’il perd du terrain. Pour l’emporter, Nicolas Sarkozy va être amené à durcir sa position, comme il a commencé à le faire en proposant de revenir sur le droit du sol, désavouant au passage ce qu’il a lui-même dit dans son dernier livre. Pour convaincre ses électeurs, il lui faut en effet apparaître comme le véritable chef d’Etat et de guerre. Mais du coup, il va libérer un boulevard sur le centre. C’est probablement sur ce décentrage que mise François Hollande, espérant pouvoir faire la synthèse entre les électeurs de centre-gauche et les électeurs de centre-droit. La réforme du droit du travail avec la loi El Khomri lui donne un bon argument dans ce sens. Cette stratégie centriste est cohérente avec le fait que le gouvernement actuel n’a pas l’air de s’inquiéter beaucoup d’une éventuelle poussée du Front national, bien au contraire. A la limite, plus le FN sera fort, plus les chances de François Hollande seront élevées puisqu’il suffit d’être présent au second tour face à Marine Le Pen pour l’emporter. Actuellement, la seule stratégie qui peut s’avérer gagnante pour François Hollande consiste à pousser Nicolas Sarkozy vers la droite tout en réduisant son électorat en laissant prospérer le FN. La victoire devient alors possible : avec un FN à 30%, même un score de 15-16% suffit pour se retrouver au second tour et gagner sans trop de problème la présidentielle face à Marine Le Pen.

Christophe de Voogd : Votre question est double : la question du terme du mandat d’abord. Sauf catastrophe majeure du genre invasion étrangère ou révolution intérieure, François Hollande va normalement terminer son quinquennat au terme fixé par la Constitution, c’est­-à­-dire en mai 2017. Il est protégé des secousses par la "solidité des institutions", comme on dit toujours ; mais aussi, ce que l’on dit moins, par une pratique bien française qui est l’absence de toute responsabilité politique depuis le départ du général de Gaulle en 1969. Absence qui étonne nos voisins. Vous avez vu la démission rapide de Cameron après le Brexit, même s’il a eu la velléité de rester quelques mois. Impensable en France.

Mais autre aspect de votre question : dans quel état politique François Hollande terminera­-t­-il son mandat ? Aucune certitude absolue là-dessus, mais vu l’énormité des défis évoqués plus haut et la faiblesse des atouts dans la main du Président, la probabilité (seule dimension possible de l’analyse) est désormais une fin très difficile du quinquennat avec une impopularité record et une impossibilité de se représenter. Je pense qu’en acceptant la primaire à gauche, François Hollande a anticipé lui­-même cette éventualité en se ménageant une porte de sortie élégante.

Le sujet vous intéresse ?

À Lire Aussi

Sondage exclusif : tenez-le vous pour dit, le terrorisme s’impose comme le premier déterminant du vote des Français pour la présidentielle 2017NKM et maintenant Nadine Morano… Pourquoi les favoris de la primaire représentent autant le problème que la solution des outsidersPrésidentielle 2017 : les Français ne veulent ni de Hollande ni de Sarkozy

Mots-Clés

Thématiques

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !